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donc véritablement et des maux qu'ils ont endurés, et de ceux qu'ils ont fait
endurer aux autres ; et comme ils souffrent longtemps, ils croient souffrir
toujours ; Dieu, pour les punir, veut qu'ils le croient ainsi.
On peut les diviser en quatre groupes principaux.
Neuvième classe. ESPRITS IMPURS. - Ils sont enclins au mal et en font
l'objet de leurs préoccupations. Comme Esprits, ils donnent des conseils
perfides, soufflent la discorde et la défiance, et prennent tous les masques
pour mieux tromper. Ils s'attachent aux caractères assez faibles pour céder à
leurs suggestions afin de les pousser à leur perte, satisfaits de pouvoir retarder
leur avancement en les faisant succomber dans les épreuves qu'ils subissent.
Dans les manifestations on les reconnaît à leur langage ; la trivialité et la
grossièreté des expressions, chez les Esprits comme chez les hommes, est
toujours un indice d'infériorité morale sinon intellectuelle. Leurs
communications décèlent la bassesse de leurs inclinations, et s'ils veulent
faire prendre le change en parlant d'une manière sensée, ils ne peuvent
longtemps soutenir leur rôle et finissent toujours par trahir leur origine.
Certains peuples en ont fait des divinités malfaisantes, d'autres les
désignent sous les noms de démons, mauvais génies, Esprits du mal.
Les êtres vivants qu'ils animent, quand ils sont incarnés, sont enclins à
tous les vices qu'engendrent les passions viles et dégradantes : la sensualité,
la cruauté, la fourberie, l'hypocrisie, la cupidité, l'avarice sordide.
Ils font le mal pour le plaisir de le faire, le plus souvent sans motifs, et
par haine du bien ils choisissent presque toujours leurs victimes parmi les
honnêtes gens. Ce sont des fléaux pour l'humanité, à quelque rang de la
société qu'ils appartiennent, et le vernis de la civilisation ne les garantit pas
de l'opprobre et de l'ignominie.
Huitième classe. ESPRITS LEGERS. - Ils sont ignorants, malins,
inconséquents et moqueurs. Ils se mêlent de tout, répondent à tout, sans se
soucier de la vérité. Ils se plaisent à causer de petites peines et de petites
joies, à faire des tracasseries, à induire malicieusement en erreur par des
mystifications et des espiègleries. A cette classe appartiennent les Esprits
vulgairement désignés sous les noms de follets, lutins, gnomes, farfadets.
Ils sont sous la dépendance des Esprits supérieurs, qui les emploient
souvent comme nous le faisons des serviteurs et des manœuvres.
Ils paraissent, plus que d'autres, attachés à la matière, et semblent être les
agents principaux des vicissitudes des éléments du globe, soit qu'ils habitent
l'air, l'eau, le feu, les corps durs ou les entrailles de la terre. Ils manifestent
souvent leur présence par des effets sensibles, tels que les coups, le
mouvement et le déplacement anormal des corps solides, l'agitation de l'air,
etc., ce qui leur a fait donner le nom d'Esprits frappeurs ou perturbateurs. On
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reconnaît que ces phénomènes ne sont point dus à une cause fortuite et
naturelle, quand ils ont un caractère intentionnel et intelligent. Tous les
Esprits peuvent produire ces phénomènes, mais les Esprits élevés les
laissent en général dans les attributions des Esprits inférieurs plus aptes aux
choses matérielles qu'aux choses intelligentes.
Dans leurs communications avec les hommes, leur langage est
quelquefois spirituel et facétieux, mais presque toujours sans profondeur ;
ils saisissent les travers et les ridicules qu'ils expriment en traits mordants
et satiriques. S'ils empruntent des noms supposés, c'est plus souvent par
malice que par méchanceté.
Septième classe. ESPRITS FAUX-SAVANTS. - Leurs connaissances
sont assez étendues, mais ils croient savoir plus qu'ils ne savent en réalité.
Ayant accompli quelques progrès à divers points de vue, leur langage a un
caractère sérieux qui peut donner le change sur leurs capacités et leurs
lumières ; mais ce n'est le plus souvent qu'un reflet des préjugés et des
idées systématiques de la vie terrestre ; c'est un mélange de quelques
vérités à côté des erreurs les plus absurdes, au milieu desquelles percent la
présomption, l'orgueil, la jalousie et l'entêtement dont ils n'ont pu se
dépouiller.
Sixième classe. ESPRITS NEUTRES. - Ils ne sont ni assez bons pour
faire le bien, ni assez mauvais pour faire le mal ; ils penchent autant vers
l'un que vers l'autre, et ne s'élèvent pas au-dessus de la condition vulgaire
de l'humanité tant pour le moral que pour l'intelligence. Ils tiennent aux
choses de ce monde, dont ils regrettent les joies grossières.
SECOND ORDRE. - BONS ESPRITS.
Caractères généraux. - Prédominance de l'Esprit sur la matière ; désir du
bien. Leurs qualités et leur pouvoir pour faire le bien sont en raison du
degré auquel ils sont parvenus : les uns ont la science, les autres la sagesse
et la bonté ; les plus avancés réunissent le savoir aux qualités morales.
N'étant point encore complètement dématérialisés, ils conservent plus ou
moins, selon leur rang, les traces de l'existence corporelle, soit dans la
forme du langage, soit dans leurs habitudes où l'on retrouve même
quelques-unes de leurs manies, autrement ils seraient Esprits parfaits.
Ils comprennent Dieu et l'infini, et jouissent déjà de la félicité des bons.
Ils sont heureux du bien qu'ils font et du mal qu'ils empêchent. L'amour qui
les unit est pour eux la source d'un bonheur ineffable que n'altèrent ni
l'envie, ni les regrets, ni les remords, ni aucune des mauvaises passions qui
font le tourment des Esprits imparfaits, mais tous ont encore des épreuves à
subir jusqu'à ce qu'ils aient atteint la perfection absolue.
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Comme Esprits, ils suscitent de bonnes pensées, détournent les hommes
de la voie du mal, protègent dans la vie ceux qui s'en rendent dignes, et
neutralisent l'influence des Esprits imparfaits chez ceux qui ne se
complaisent pas à la subir.
Ceux en qui ils sont incarnés sont bons et bienveillants pour leurs
semblables ; ils ne sont mus ni par l'orgueil, ni par l'égoïsme, ni par
l'ambition ; ils n'éprouvent ni haine, ni rancune, ni envie, ni jalousie et font
le bien pour le bien.
A cet ordre appartiennent les Esprits désignés dans les croyances
vulgaires sous les noms de bons génies, génies protecteurs, Esprits du bien.
Dans les temps de superstition et d'ignorance on en a fait des divinités
bienfaisantes.
On peut également les diviser en quatre groupes principaux.
Cinquième classe. ESPRITS BIENVEILLANTS. - Leur qualité
dominante est la bonté ; ils se plaisent à rendre service aux hommes et à les
protéger, mais leur savoir est borné : leur progrès s'est plus accompli dans
le sens moral que dans le sens intellectuel.
Quatrième classe. ESPRITS SAVANTS. - Ce qui les distingue
spécialement, c'est l'étendue de leurs connaissances. Ils se préoccupent
moins des questions morales que des questions scientifiques, pour
lesquelles ils ont plus d'aptitude ; mais ils n'envisagent la science qu'au
point de vue de l'utilité, et n'y mêlent aucune des passions qui sont le
propre des Esprits imparfaits.
Troisième classe. ESPRITS SAGES. - Les qualités morales de l'ordre le
plus élevé forment leur caractère distinctif. Sans avoir des connaissances
illimitées, ils sont doués d'une capacité intellectuelle qui leur donne un
jugement sain sur les hommes et sur les choses.
Deuxième classe. ESPRITS SUPERIEURS. - Ils réunissent la science, la
sagesse et la bonté. Leur langage ne respire que la bienveillance ; il est
constamment digne, élevé, souvent sublime. Leur supériorité les rend plus
que les autres aptes à nous donner les notions les plus justes sur les choses
du monde incorporel dans les limites de ce qu'il est permis à l'homme de
connaître. Ils se communiquent volontiers à ceux qui cherchent la vérité de
bonne foi, et dont l'âme est assez dégagée des liens terrestres pour la
comprendre, mais ils s'éloignent de ceux qu'anime la seule curiosité, ou que
l'influence de la matière détourne de la pratique du bien.
Lorsque, par exception, ils s'incarnent sur la terre, c'est pour y accomplir
une mission de progrès, et ils nous offrent alors le type de la perfection à
laquelle l'humanité peut aspirer ici-bas.
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PREMIER ORDRE. - PURS ESPRITS.
Caractères généraux. - Influence de la matière nulle. Supériorité
intellectuelle et morale absolue par rapport aux Esprits des autres ordres.
Première classe. Classe unique. - Ils ont parcouru tous les degrés de
l'échelle et dépouillé toutes les impuretés de la matière. Ayant atteint la
somme de perfection dont est susceptible la créature, ils n'ont plus à subir
ni épreuves, ni expiations. N'étant plus sujets à la réincarnation dans des
corps périssables, c'est pour eux la vie éternelle qu'ils accomplissent dans le
sein de Dieu.
Ils jouissent d'un bonheur inaltérable, parce qu'ils ne sont sujets ni aux
besoins, ni aux vicissitudes de la vie matérielle ; mais ce bonheur n'est
point celui d'une oisiveté monotone passée dans une contemplation
perpétuelle. Ils sont les messagers et les ministres de Dieu dont ils
exécutent les ordres pour le maintien de l'harmonie universelle. Ils
commandent à tous les Esprits qui leur sont inférieurs, les aident à se
perfectionner et leur assignent leur mission. Assister les hommes dans leur
détresse, les exciter au bien ou à l'expiation des fautes qui les éloignent de
la félicité suprême, est pour eux une douce occupation. On les désigne
quelquefois sous les noms d'anges, archanges ou séraphins.
Les hommes peuvent entrer en communication avec eux, mais bien
présomptueux serait celui qui prétendrait les avoir constamment à ses
ordres.
ESPRITS ERRANTS OU INCARNÉS.
Sous le rapport des qualités intimes, les Esprits sont de différents ordres
qu'ils parcourent successivement à mesure qu'ils s'épurent. Comme état, ils
peuvent être incarnés, c'est-à-dire unis à un corps, dans un monde
quelconque ; ou errants, c'est-à-dire dégagés du corps matériel et attendant
une nouvelle incantation pour s'améliorer.
Les Esprits errants ne forment point une catégorie spéciale ; c'est un des
états dans lesquels ils peuvent se trouver.
L'état errant ou erraticité ne constitue point une infériorité pour les
Esprits, puisqu'il peut y en avoir de tous les degrés. Tout Esprit qui n'est
pas incarné est, par cela même, errant, à l'exception des Purs Esprits qui,
n'ayant plus d'incarnation à subir, sont dans leur état définitif.
L'incarnation n'étant qu'un état transitoire, l'erraticité est en réalité l'état
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normal des esprits, et cet état n'est point forcément une expiation pour eux ;
ils y sont heureux ou malheureux selon le degré de leur élévation, et selon
le bien ou le mal qu'ils ont fait.
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4
Le revenant de mademoiselle Clairon4.
Cette histoire fit beaucoup de bruit dans le temps, et par la position de
l'héroïne, et par le grand nombre de personnes qui en furent témoins.
Malgré sa singularité, elle serait probablement oubliée, si mademoiselle
Clairon ne l'eût consignée dans ses Mémoires, d'où nous extrayons le récit
que nous allons en faire. L'analogie qu'elle présente avec quelques-uns des
faits qui se passent de nos jours lui donne une place naturelle dans ce
Recueil.
Mademoiselle Clairon, comme on le sait, était aussi remarquable par sa
beauté que par son talent comme cantatrice et tragédienne ; elle avait
inspiré à un jeune Breton, M. de S..., une de ces passions qui décident
souvent de la vie, lorsqu'on n'a pas assez de force de caractère pour en
triompher. Mademoiselle Clairon n'y répondit que par de l'amitié ; toutefois
les assiduités de M. de S... lui devinrent tellement importunes qu'elle
résolut de rompre tout rapport avec lui. Le chagrin qu'il en ressentit lui
causa une longue maladie dont il mourut. La chose se passait en 1743.
Laissons parler mademoiselle Clairon.
« Deux ans et demi s'étaient écoulés entre notre connaissance et sa mort.
Il me fit prier d'accorder, à ses derniers moments, la douceur de me voir
encore ; mes entours m'empêchèrent de faire cette démarche. Il mourut,
n'ayant auprès de lui que ses domestiques et une vieille dame, seule société
qu'il eût depuis longtemps. Il logeait alors sur le Rempart, près la Chaussée
d'Antin, où l'on commençait à bâtir ; moi, rue de Bussy, près la rue de
Seine et l'abbaye Saint-Germain. J'avais ma mère, et plusieurs amis
venaient souper avec moi... Je venais de chanter de fort jolies
moutonnades, dont mes amis étaient dans le ravissement, lorsque au coup
de onze heures succéda le cri le plus aigu. Sa sombre modulation et sa
longueur étonnèrent tout le monde ; je me sentis défaillir, et je fus près d'un
quart d'heure sans connaissance...
» Tous mes gens, mes amis, mes voisins, la police même, ont entendu ce
Mademoiselle Clairon, née en 1723, mourut en 1803. Elle débuta dans la troupe italienne à l'âge
de 13 ans, et à la Comédie française en 1743. Elle se retira du théâtre en 1765, à l'âge de 42 ans.
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même cri, toujours à la même heure, toujours partant sous mes fenêtres, et
ne paraissant sortir que du vague de l'air… Je soupais rarement en ville,
mais les jours où j'y soupais, l'on n'entendait rien, et plusieurs fois,
demandant de ses nouvelles à ma mère, à mes gens, lorsque je rentrais dans
ma chambre, il partait au milieu de nous. Une fois, le président de B…,
chez lequel j'avais soupé, voulut me reconduire pour s'assurer qu'il ne
m'était rien arrivé en chemin. Comme il me souhaitait le bonsoir à ma
porte, le cri partit entre lui et moi. Ainsi que tout Paris, il savait cette
histoire : cependant on le remit dans son carrosse plus mort que vivant.
» Une autre fois je priai mon camarade Rosely de m'accompagner rue
Saint-Honoré pour choisir des étoffes. L'unique sujet de notre entretien fut
mon revenant (c'est ainsi qu'on l'appelait). Ce jeune homme, plein d'esprit,
ne croyant à rien, était cependant frappé de mon aventure ; il me pressait
d'évoquer le fantôme, en me promettant d'y croire s'il me répondait. Soit
par faiblesse, soit par audace, je fis ce qu'il me demandait : le cri partit à
trois reprises, terribles par leur éclat et leur rapidité. A notre retour, il fallut
le secours de toute la maison pour nous tirer du carrosse où nous étions
sans connaissance l'un et l'autre. Après cette scène je restai quelques mois
sans rien entendre. Je me croyais à jamais quitte, je me trompais.
» Tous les spectacles avaient été mandés à Versailles pour le mariage du
Dauphin. On m'avait arrangé, dans l'avenue de Saint-Cloud, une chambre
que j'occupais avec madame Grandval. A trois heures du matin, je lui dis :
Nous sommes au bout du monde ; le cri serait bien embarrassé d'avoir à
nous chercher ici… Il partit ! Madame Grandval crut que l'enfer entier était
dans la chambre ; elle courut en chemise du haut en bas de la maison, où
personne ne put fermer l'œil de la nuit ; mais ce fut au moins la dernière
fois qu'il se fit entendre.
» Sept ou huit jours après, causant avec ma société ordinaire, la cloche de
onze heures fut suivie d'un coup de fusil tiré dans une de mes fenêtres.
Tous nous entendimes le coup ; tous nous vîmes le feu ; la fenêtre n'avait
aucune espèce de dommage. Nous conclûmes tous qu'on en voulait à ma
vie, qu'on m'avait manquée, et qu'il fallait prendre des précautions pour
l'avenir. M. de Marville, alors lieutenant de police, fit visiter les maisons
vis-à-vis la mienne ; la rue fut remplie de tous les espions possibles ; mais,
quelques soins que l'on prit, ce coup, pendant trois mois entiers, fut
entendu, vu, frappant toujours à la même heure, dans le même carreau de
vitre, sans que personne ait jamais pu voir de quel endroit il partait. Ce fait
a été constaté sur les registres de la police.
» Accoutumée à mon revenant, que je trouvais assez bon diable, puisqu'il
s'en tenait à des tours de passe-passe, ne prenant pas garde à l'heure qu'il
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était, ayant fort chaud, j'ouvris la fenêtre consacrée, et l'intendant et moi
nous appuyâmes sur le balcon. Onze heures sonnent, le coup part, et nous
jette tous les deux au milieu de la chambre, où nous tombons comme morts.
Revenus à nous-mêmes, sentant que nous n'avions rien, nous regardant,
nous avouant que nous avions reçu, lui sur la joue gauche, moi sur la joue
droite, le plus terrible soufflet qui se soit jamais appliqué, nous nous mîmes
à rire comme deux fous.
» Le surlendemain, priée par mademoiselle Dumesnil d'être d'une petite
fête nocturne qu'elle donnait à sa maison de la barrière Blanche, je montai en
fiacre à onze heures avec ma femme de chambre. Il faisait le plus beau clair
de lune, et l'on nous conduisit par les boulevards qui commençaient à se
garnir de maisons. Ma femme de chambre me dit : N'est-ce pas ici qu'est
mort M. de S…? - D'après les renseignements qu'on m'a donnés, ce doit être,
lui dis-je, en les désignant avec mon doigt, dans l'une des deux maisons que
voilà devant nous. D'une des deux partit ce même coup de fusil qui me
poursuivait : il traversa notre voiture ; le cocher doubla son train, se croyant
attaqué par des voleurs. Nous, nous arrivâmes au rendez-vous, ayant à peine
repris nos sens, et, pour ma part, pénétrée d'une terreur que j'ai gardée
longtemps, je l'avoue ; mais cet exploit fut le dernier des armes à feu.
» A leur explosion succéda un claquement de mains, ayant une certaine
mesure et des redoublements. Ce bruit, auquel les bontés du public
m'avaient accoutumée, ne me laissa faire aucune remarque pendant
longtemps ; mes amis en firent pour moi. Nous avons guetté, me dirent-ils ;
c'est à onze heures, presque sous votre porte, qu'il se fait ; nous l'entendons,
nous ne voyons personne ; ce ne peut être qu'une suite de ce que vous avez
éprouvé. Comme ce bruit n'avait rien de terrible, je ne conservai point la
date de sa durée. Je ne fis pas plus d'attention aux sons mélodieux qui se
firent entendre après ; il semblait qu'une voix céleste donnait le canevas de
l'air noble et touchant qu'elle allait chanter ; cette voix commençait au
carrefour de Bussy et finissait à ma porte ; et, comme il en avait été de tous
les sons précédents, on entendait et l'on ne voyait rien. Enfin, tout cessa
après un peu plus de deux ans et demi. »
A quelque temps de là, mademoiselle Clairon apprit de la dame âgée qui
était restée l'amie dévouée de M. de S…, le récit de ses derniers moments.
« Il comptait, lui dit-elle, toutes les minutes, lorsqu'à dix heures et demie
son laquais vint lui dire que, décidément, vous ne viendriez pas. Après un
moment de silence, il me prit la main avec un redoublement de désespoir
qui m'effraya. La barbare !… elle n'y gagnera rien ; je la poursuivrai
autant après ma mort que je l'ai poursuivie pendant ma vie !… Je voulus
tâcher de le calmer ; il n'était plus. »
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Dans l'édition que nous avons sous les yeux, ce récit est précédé de la
note suivante sans signature :
« Voici une anecdote bien singulière dont on a porté et dont on portera
sans doute bien des jugements différents. On aime le merveilleux, même
sans y croire : mademoiselle Clairon paraît convaincue de la réalité des
faits qu'elle raconte. Nous nous contenterons de remarquer que dans le
temps où elle fut, ou se crut tourmentée par son revenant, elle avait de
vingt-deux ans et demi à vingt-cinq ans ; que c'est l'âge de l'imagination, et
que cette faculté était continuellement exercée et exaltée en elle par le
genre de vie qu'elle menait au théâtre et hors du théâtre. On peut se
rappeler encore qu'elle a dit, au commencement de ses Mémoires, que, dans
son enfance, on ne l'entretenait que d'aventures de revenants et de sorciers,
qu'on lui disait être des histoires véritables. »
Ne connaissant le fait que par le récit de mademoiselle Clairon, nous ne
pouvons en juger que par induction ; or, voici notre raisonnement. Cet
événement décrit dans ses plus minutieux détails par mademoiselle Clairon
elle-même, a plus d'authenticité que s'il eût été rapporté par un tiers.
Ajoutons que lorsqu'elle a écrit la lettre dans laquelle il se trouve relaté,
elle avait environ soixante ans et passé l'âge de la crédulité dont parle
l'auteur de la note. Cet auteur ne révoque pas en doute la bonne foi de
mademoiselle Clairon sur son aventure, seulement il pense qu'elle a pu être
le jouet d'une illusion. Qu'elle l'ait été une fois, cela n'aurait rien d'étonnant,
mais qu'elle l'ait été pendant deux ans et demi, cela nous paraît plus
difficile ; il nous paraît plus difficile encore de supposer que cette illusion
ait été partagée par tant de personnes, témoins oculaires et auriculaires des
faits, et par la police elle-même. Pour nous, qui connaissons ce qui peut se
passer dans les manifestations spirites, l'aventure n'a rien qui puisse nous
surprendre, et nous la tenons pour probable. Dans cette hypothèse, nous
n'hésitons pas à penser que l'auteur de tous ces mauvais tours n'était autre
que l'âme ou l'esprit de M. de S…, si nous remarquons surtout la
coïncidence de ses dernières paroles avec la durée des phénomènes. Il avait
dit : Je la poursuivrai autant après ma mort que pendant ma vie. Or, ses
rapports avec mademoiselle Clairon avaient duré deux ans et demi, juste
autant de temps que les manifestations qui suivirent sa mort.
Quelques mots encore sur la nature de cet Esprit. Il n'était pas méchant,
et c'est avec raison que mademoiselle Clairon le qualifie d'assez bon
diable ; mais on ne peut pas dire non plus qu'il fût la bonté même. La
passion violente à laquelle il a succombé, comme homme, prouve que
chez lui les idées terrestres étaient dominantes. Les traces profondes de
cette passion, qui survit à la destruction du corps, prouvent
que, comme Esprit, il était encore sous
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l'influence de la matière. Sa vengeance, tout inoffensive qu'elle était,
dénote des sentiments peu élevés. Si donc on veut bien se reporter à notre
tableau de la classification des Esprits, il ne sera pas difficile de lui
assigner son rang ; l'absence de méchanceté réelle l'écarte naturellement de
la dernière classe, celle des Esprits impurs ; mais il tenait évidemment des
autres classes du même ordre ; rien chez lui ne pourrait justifier un rang
supérieur.
Une chose digne de remarque, c'est la succession des différents modes
par lesquels il a manifesté sa présence. C'est le jour même et au moment de
sa mort qu'il se fait entendre pour la première fois, et cela au milieu d'un
joyeux souper. De son vivant, il voyait mademoiselle Clairon par la pensée,
entourée de l'auréole que prête l'imagination à l'objet d'une passion
ardente ; mais une fois l'âme débarrassée de son voile matériel, l'illusion
fait place à la réalité. Il est là, à ses côtés, il la voit entourée d'amis, tout
devait exciter sa jalousie ; elle semble, par sa gaîté et par ses chants,
insulter à son désespoir, et son désespoir se traduit par un cri de rage qu'il
répète chaque jour à la même heure, comme pour lui reprocher son refus
d'avoir été le consoler à ses derniers moments. Aux cris succèdent des
coups de fusil, inoffensifs, il est vrai, mais qui n'en dénotent pas moins une
rage impuissante et l'envie de troubler son repos. Plus tard, son désespoir
prend un caractère plus calme ; revenu sans doute à des idées plus saines, il
semble avoir pris son parti ; il lui reste le souvenir des applaudissements
dont elle était l'objet, et il les répète. Plus tard enfin, il lui dit adieu en
faisant entendre des sons qui semblaient comme l'écho de cette voix
mélodieuse qui l'avait tant charmé de son vivant.
_______
Isolement des corps graves.
Le mouvement imprimé aux corps inertes par la volonté est aujourd'hui
tellement connu qu'il y aurait presque de la puérilité à rapporter des faits de
ce genre ; il n'en est pas de même lorsque ce mouvement est accompagné
de certains phénomènes moins vulgaires, tels que celui, par exemple, de la
suspension dans l'espace. Bien que les annales du Spiritisme en citent de
nombreux exemples, ce phénomène présente une telle dérogation aux lois
de la gravitation que le doute paraît très naturel pour quiconque n'en a pas
été témoin. Nous-même, nous l'avouons, tout habitué que nous sommes aux
choses extraordinaires, avons été bien aise de pouvoir en constater la réalité.
Le fait que nous allons rapporter s'est passé plusieurs fois sous nos yeux
dans les réunions qui avaient lieu jadis chez M. B***, rue Lamartine, et
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nous savons qu'il s'est maintes fois produit ailleurs ; nous pouvons donc le
certifier comme incontestable. Voici comment les choses se passaient.
Huit ou dix personnes, parmi lesquelles il s'en trouvait de douées d'une
puissance spéciale, sans être toutefois des médiums reconnus, se plaçaient
autour d'une table de salon lourde et massive, les mains posées sur le bord
et toutes unies d'intention et de volonté. Au bout d'un temps plus ou moins
long, dix minutes ou un quart d'heure, selon que les dispositions ambiantes
étaient plus ou moins favorables, la table, malgré son poids de près de 100
kilos, se mettait en mouvement, glissait à droite ou à gauche sur le parquet,
se transportait dans les diverses parties désignées du salon, puis se
soulevant, tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, jusqu'à former un angle de
45°, se balançait avec rapidité, imitant le tangage et le roulis d'un navire.
Si, dans cette position, les assistants redoublaient d'efforts par leur volonté,
la table se détachait entièrement du sol, à 10 ou 20 centimètres d'élévation,
se soutenait ainsi dans l'espace sans aucun point d'appui, pendant quelques
secondes, puis retombait de tout son poids.
Le mouvement de la table, son soulèvement sur un pied, son
balancement, se produisaient à peu près à volonté, souvent plusieurs fois
dans la soirée, et souvent aussi sans aucun contact des mains ; la volonté
seule suffisait pour que la table se dirigeât du côté indiqué. L'isolement
complet était plus difficile à obtenir, mais il a été répété assez souvent pour
qu'on ne pût le regarder comme un fait exceptionnel. Or ceci ne se passait
point en présence d'adeptes seuls qu'on pourrait croire trop accessibles à
l'illusion, mais devant vingt ou trente personnes, parmi lesquelles il s'en
trouvait quelquefois de fort peu sympathiques qui ne manquaient pas de
supposer quelque préparation secrète, sans égard pour les maîtres de la
maison, dont le caractère honorable devait éloigner tout soupçon de
supercherie, et pour qui d'ailleurs c'eût été un singulier plaisir de passer
toutes les semaines plusieurs heures à mystifier une assemblée sans profit.
Nous avons rapporté le fait dans toute sa simplicité, sans restriction ni
exagération. Nous ne dirons donc pas que nous avons vu la table voltiger
en l'air comme une plume ; mais tel qu'il est, ce fait n'en démontre pas
moins la possibilité de l'isolement des corps graves sans point d'appui, au
moyen d'une puissance jusqu'alors inconnue. Nous ne dirons pas non plus
qu'il suffisait d'étendre la main ou de faire un signe quelconque, pour qu'à
l'instant la table se mût et s'enlevât comme par enchantement.
Nous dirons, au contraire, pour être dans le vrai, que les premiers
mouvements s'opéraient toujours avec une certaine lenteur, et n'acquéraient que
graduellement leur maximum d'intensité. Le soulèvement complet n'avait lieu
qu'après plusieurs mouvements préparatoires qui étaient comme des |
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