Inversement, il y a toujours quelque chose de pas net chez les maniaques
des armes à feu. J'avoue que quand j'écoutais le polytechnicien Gallois, si
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sûr de lui, dans cette rencontre à la maison de la radio, au milieu de cette
avalanche de chiffres et d'affirmations préremptoires, j'avais soudain
l'impression d'être face à un enfant aux cheveux gris, un forte en thème qui
aurait un peu trop joué à la guerre.
Mais quelle est la solution ? Le Thanatos suggéré par Freud est-il à
jamais en chacun de nous ?
En vérité on cherche toujours à juger l'individu de manière statique. On
cherche à savoir s'il est bon ou mauvais, agressif ou pacifique, intelligent
ou stupide. Je suis persuadé que des conditions de vie prolongées à l'échelle
de plusieurs générations gravent dans les cerveaux des impressions
transmissibles, comparable à ce que l'on appelle en électromagnétisme
l'hystérésis. Il ne doit pas être possible de prendre un peuple qui a connu la
violence pendant des générations et de lui dire à brûle-pourpoint :
- Voilà, c'est fini, le guerre est terminée, il faut maintenant vivre la paix.
Les expériences vécues par les êtres vivants le transforment, au fil des
générations. Petit à petit le bagage génétique est modifié et on appelle cela
l'évolution. Pourquoi en serait-il différemment avec le mental ? Lorsqu'un
enfant naît, son cerveau est tout sauf une boite vide. Bien qu'il ne soit pas
immédiatement doté du pouvoir de s'exprimer pleinement, l'éducation qu'il
recevra ne fera le plus souvent que révéler, en bien ou en mal, des
structures qui existaient déjà à la naissance.
Ces structures mentales de base ont la même nature génétique que les
structures morphologiques, et donc la même lenteur d'évolution. Fini le
"bon sauvage" ou "l'honnête homme" parfaitement objectif. Nous traînons
derrière nous des millions d'années d'histoire, comme des métaux
conservent le souvenir d'une magnétisation antérieure.
Au point de vue biologique, les exemples abondent. Le cholestérol est
une substance sécrétée par une glande endocrine qui accélère la
mobilisation des sucres dans le sang. C'est "l'overdrive", utilisé par nos
ancêtres pour mieux prendre leurs jambes à leur cou en cas de danger.
Dans la vie moderne l'homme est soumis à un stress intense. Le pdg
d'une affaire en difficulté, au cours d'un conseil d'administration
particulièrement tendu, sécrète sans le savoir des quantités importantes de
cholestérol, tant son désir inconscient de fuir est grand. Hélas cette
substance, non éliminée par l'effort, se déposera dans ses artères,
provoquant à terme de graves troubles cardiovasculaires.
Nos structures mentales possède de tels archaïsmes, quelle que soit
l'ethnie considérée et c'est cela qui nous met en danger de mort. Le cerveau
reptilien, ou mammalien, palpite sous la mince couche "rationnelle", y
compris chez le général Gallois et chez tous ceux qui ont en charge notre
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"sécurité" ( on aurait envie de dire notre "insécurité" ). Mais le mythe de la
rationalité, cultivé par les adeptes de La Rouche, a la vie dure. Dans la
bouche d'un Gallois on entend sans cesse :
- Ne vous inquiétez pas, ces gens savent très bien ce qu'ils font...
Je n'en suis pas si sûr. Nous parlions à ce moment-là de l'affaire du
Boeing sud coréen abattu par les Russes en 83. Gallois était convaincu qu'il
s'agissait là d'une décision prise froidement par le Kremlin, dans le but de
décourager les actions d'espionnage occidental.
- Vous comprenez, ils en ont eu marre...
Moi je pencherais plutôt pour la thèse de la bavure. Il existe dans les
Boeing plusieurs centrales inertielles.Peu après le décollage le pilote, ou le
navigateur, affichent sur un clavier les coordonnées de la route à suivre,
avec l'altitude. Puis l'appareil passe entièrement sous le contrôle du pilote
automatique est des ordinateurs de bord. Dans un vol nocturne de ce genre,
le travail de l'équipage se résume alors, jusqu'à arrivée en vue du point de
destination, à une surveillance des régimes moteurs et des différents circuits.
On peut imaginer que l'opérateur, en affichant les coordonnées de la
route, ait fait une légère confusion de chiffres. L'avion aurait alors
doucement dérivé vers l'ouest. Au moment où la radio aurait détecté les
conversations de routine émises par le sol, en vue de l'île de Sakhaline, haut
lieu stratégique Soviétique, l'équipage aurait réalisé son erreur.
Mais il y avait longtemps que l'appareil avait été détecté par les Russes,
dès approche des eaux territoriales, et était convoyé par des groupes de
Sukhoï se relayant.
Lorsque le pilote du Boeing réalisa à quel point il s'était aventuré, il était
au sud est de l'île. Il fit alors ce que n'importe pilote aurait fait à sa place : il
se dérouta en tentant de prendre de l'altitude.
Le chef du groupe des Sukhoï rendit un avis de spécialiste :
- Il a mis ses volets, grimpe et perd de la vitesse. Nous n'allons pas
pouvoir nous maintenir dans son sillage et dans quelques secondes
nous allons le dépasser. Si nous voulons être de nouveau en position
de tir il nous faudra faire un large virage et alors il pourra sortir des
eaux territoriales. Qu'est-ce que je fais ?
-
L'ordre d'abattre l'intrus ne put être donné par le Kremlin. Il émana
probablement d'un simple colonel chargé de la défense côtière, un peu
nerveux. Ce n'est pas l'homme "rationnel" qui prit cette décision en aussi
Les Enfants du Diable 1/j/aa
207
peu de temps, mais celle-ci partit d'une des sous-couches cervicales,
comme un simple réflexe.
Comment sortir d'un tel dilemme ? D'abord en prenant les hommes tels
qu'ils sont, comme d'anciens animaux, ni bons, ni mauvais, mais pétris
d'irrationalité.
Peut-on changer le mental ? Peut-être, mais pas à l'échelle d'une
génération. Nos attitudes agressives sont le fait d'un lent conditionnement.
Si nous réussissons à aborder le vingt et unième siècle, il nous faudra, à
l'échelle planétaire, réussir une vaste opération de psychanalyse terrestre et
créer d'autres conditionnements que nous devrons découvrir et dont nous ne
pouvons pas avoir la moindre idée. Edgar Morin a bien raison quand il écrit
dans un de ses derniers livres :
Sciences sociales : an zéro.
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208
L'année d'après.
A partir de 1984 tout le monde se mit à parler de l'IDS et de l'Hiver
Nucléaire. Le sujet devint à la mode. La revue La Recherche publia en
Juillet un article assez documenté intitulé The Year After, c'est à dire "
l'année d'après", par opposition au titre du film "Le Jour d'Après". Dans
celui-ci on trouvait, enfin, des informations abondantes sur les recherches
d'Alexandrov et de ses équivalents Américains. D'autres journaux reprirent
ce thème dans leurs "pages magazine" du dimanche.
Paradoxes....
Dans les revues de vulgarisation style Science et Vie, le point de vue
développé, apparemment assez contradictoire , était le suivant :
- La guerre des étoiles, ça ne marchera jamais, c'est irréaliste, c'est une
illusion. Ceci dit, ça se développe....
-
Suivait quelque nouvelle faisant état d'un nouveau pas franchi.
Les Soviétiques, par exemple, avaient développé des années plus tôt une
procédure d'interception de satellites en reprenant la méthode du rendezvous.
Le satellite "tueur" se lançait à la poursuite du satellite-cible, puis
explosait comme une grenade en arrivant à proximité.
La Américains s'étaient lancés dans quelque chose de totalement
différent mais d'infiniment plus efficace : l'interception en collision.
Un simple chasseur Eagle lançait à la rencontre de la cible orbitale, un
missile très modeste, de 3 mètres de long et pesant une tonne tout au plus,
dont le système d'autoguidage était assez précis pour permettre un
croisement, à quelques quinze kilomètres par seconde, au mètre près, ce qui
représente une performance assez incroyable.
Dès qu'il quittait l'atmosphère terrestre, ce missile intercepteur déployait
une trentaine de "faux", simplement par rotation, lesquelles découpaient
l'engin-cible en rondelles, à la manière dont les lames acérées placées dans
l'antiquité sur les roues des chars réduisaient les combattants adverses en
nourriture pour chats.
Tout cela fonctionna à la perfection. Il y eut également des destructions
au sol de fusées par lasers chimiques. Par ailleurs, à Livermore, Sandia et
Los Alamos, ou Semipalatinsk, on accroissait la puissance des "beams",
pied au plancher.
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.. et récupération.
On vit alors apparaître une floraison d'ouvrages luxueusement illustrés,
qui rappelaient les catalogues d'armes et cycles édités par la manufacture de
Saint-Etienne. Quand on ouvrait un de ces livres, on saturait très vite. SS-
20, Pershing II, Trident, sous-marins, ABM, bombes "de théâtre" ( des
opérations ), lasers en tous genres, tout cela donnait le tournis. Mais ces
ouvrages avaient un dénominateur commun : il dénonçaient la poussée
formidable des armements Soviétiques.
Dans les ouvrages en couleur, les engins Américains avaient de belles
couleurs et de jolies cocardes étoilées, alors que les missiles Russes étaient
d'un kaki inquiétant. Des cartes du monde montrait l'Union Soviétique
constellée de fusées, de bombardiers et de sous-marins et la conclusion des
ouvrages ou des articles restait invariablement : ne restons pas les bras
croisés face à cette menace croissante. Armons-nous, armons-nous.
Lisez, lisez chez Fayard, l'ouvrage de Pierre Gallois, expert en matière de
stratégie ( qui a, au passage, effectué un sérieux recyclage après notre face
à face radiophonique ), intutulé "la Guerre des Cent Secondes". Il est
constellé de chiffres, de graphiques en couleur, d'illustrations seyantes.
C'est un très beau livre. Il ne manque que les corps calcinés, les visages
tordus de souffrance. Sa conclusion : il faut que les Européens se dotent,
eux aussi, d'un bouclier spatial, quel qu'en soit le coût. Pour le
polytechnicien Gallois, qui n'a jamais vu un mort de sa vie et n'en verra
sans doute jamais, la guerre est un jeu. En lisant ce livre on a l'impression
que la seule chose qui existe c'est la stratégie et que le reste du monde
n'existe pas.
Information, désinformation.
Alexandrov avait participé au printemps 84 à cette fameuse réunion
Vaticane, trouvant un écho très vif chez Carl Sagan. Avec la bénédiction du
pouvoir Soviétique il poursuivait maintenant une croisade à travers le
monde en présentant sa thèse de l'Hiver Nucléaire. Les Japonais,
particulièrement sensibilisés, firent en 85 un film, diffusés sur de
nombreuses chaînes étrangères, consacré aux conséquences d'une guerre
nucléaire.
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Inutile de dire que du côté occidental, les stratèges et maîtres à penser se
mirent à dénoncer ce qu'ils considéraient comme une intoxication
mûrement orchestrée par le KGB, destinée à démobiliser le monde libre.
Dans son ouvrage "La Guerre des Cent Secondes", le général Gallois
évacuait carrément le problème en quelques lignes, sans donner la moindre
justification. Citons-le :
- Visitant Hiroshima, en février 1981, le pape prononça un discours
montrant à l'évidence que le phénomène nucléaire ne lui était pas familier,
lors qu'il disait : ".. aujourd'hui c'est l'ensemble de la planête qui se trouve
sous la menace nucléaire... à partir de maintenant, c'est seulement par un
choix raisonné et une politique délibérément définie que l'humanité peut
survivre". La réalité est toute autre. On peut exprimer les vues de la
majorité de l'opinion publique, mal documentée, sans pour cela dire le vrai.
On ne voit pas en effet, pour quelles raisons, s'il y avait conflit nucléaire,
les belligérants se détruiraient mutuellement, en anéantissant la planète;
quant à l'humanité, sa survie n'est pas assurée par une politique déterminée,
mais par l'évidente absurdité d'un massacre mutuel, chaque partie détenant
des armes invulnérables qui frapperaient aussitôt celui qui aurait frappé le
premier. En imaginant le pire, c'est à dire l'irréalisable, l'analyse des effets
d'une guerre imaginaire a démontré que ni l'espère humaine, encore moins
la planète, ne seraient en péril. Le Saint-Père avait repris à son compte un
cliché très répandu, mais dépourvu de fondements.
Autrement dit, primo les grandes puissances ne seraient jamais assez
sottes pour utiliser leur plein potentiel nucléaire et s'entre détruire. Secondo,
si par malheur cela arrivait, ça ne serait pas si grave qu'on le dit..
Sur quelle analyse Gallois se basait-t-il ? L'histoire ne le dit pas.
En France je fus invité de nombreuses fois à faire des conférences ou à
participer à des débats dans le cadre de cellules ou d'instituts de recherche
Marxistes. Je reçus même une lettre d'encouragement du comité central
Soviétique pour le désarmement ( Ils n'avaient pas du bien lire mes papiers
dans l'Huma ). Mais cette curiosité et ce parrainage cessèrent lorsqu'on se
rendit compte que je ne voulais absolument pas passer sous silence les
projets d'IDS Russe.
On peut douter de l'impact de ce battage médiatique sur le grand public.
Le premier effet est sans doute la saturation, avec comme corollaire un effet
de désinformation naturelle. Un attentat, une guerre, ça frappe les gens.
Dix attentats, dix guerres, ça ne passe plus. Soyons réalistes, quelle
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211
différence, maintenant, entre les nouvelles diffusées par le journal télévisé
et le bon série B du soir ? Je laisse le lecteur être son propre juge.
Disparition d'Alexandrov
Au printemps 1985 un court article du Monde signala, en France, la
disparition de Vladimir Alexandrov, lors d'un colloque qui s'était tenu en
Espagne. On signalait que le conférencier, avant de disparaître sans laisser
de trace, s'était copieusement enivré.
La nouvelle n'émut pas grand-monde et passa totalement inaperçue au
plan international.
Immédiatement je tentais d'en savoir plus. Des rumeurs variées et sans
fondement se mirent à courir. On se demanda si Alexandrov n'était pas
passé à l'ouest. Mon dieu, pourquoi faire ? Vladimir, mécanicien des
fluides de son état, n'avait à ma connaissance aucune connaissance
"sensible", exploitable.
Ceci fut confirmé par un propos de Teller, durant l'été qui suivit, lors
des rencontres internationales d'Erice , en Sicile.
L'île contenait un luxueux centre consacré à la culture scientifique
internationale qui recevait chaque année le Gotha de la physique. En 1983
Alexandrov s'y était d'ailleurs rendu, en compagnie de Vélikhov, et avait
présenté ses travaux sur l'Hiver Nucléaire. En cet été 1985, à Erice,
quelqu'un demanda à Teller :
- Sont-ce les Américains qui ont enlevé Alexandrov ?
- Diable, répondit-il, que voulez-vous que nous fassions d'un
météorologue ?
Cette thèse du passage à L'ouest est certainement la moins crédible de
toutes. Lorsqu'un Soviétique saute le pas, la chose est exploitée
abondamment. Ce geste est interprèté comme une dénonciation du régime
Soviétique, ou comme un choix de meilleures conditions de travail.
Sans laisser de trace.
Plus d'un an après, aucune trace, aucun écho. Il fallut attendre l'été 1985
pour qu'une revue Américaine, Science Digest, publie le résultat de la
première enquête faite sur place, et aux Etats-Unis, auprès des différents
collègues qu'Alexandrov avait connu, en particulier à l'université de
Colorado.
Les Enfants du Diable 1/j/aa
212
Son premier voyage aux Etats-Unis avait eu lieu en 1978, mais en 1980
il fit un séjour de plusieurs mois à l'université de l'état d'Oregon, invité par
son collègue et ami Larry Gates, qui faisait exactement le même travail
que lui. Il se fit énormément d'amis là-bas, et cela ne m'étonne guère,
c'était un homme très ouvert et chaleureux. Il résida donc plusieurs mois
au domicile de son collègue.
Il est peut-être difficile de se faire une idée précise sur quelqu'un qu'on
rencontre de loin en loin dans des congrès, mais une cohabitation de
plusieurs mois est beaucoup plus révélatrice. Gates, qui était de nous tous
celui qui le connaissait le mieux, a toujours dit qu'Alex était un type sans
problème particulier, enthousiaste, aimant la vie, et en tout cas sobre.
Dans un appartement confortable, empli de souvenirs de voyages, au 5
rue Archipov, à deux pas de la place Rouge, Alexandrov vivait avec sa
femme , la fragile Alia, et sa fille Olga, une gentille petite boulotte qu'il
adorait.
Aux Etats-Unis, Vladimir et Gates avaient travaillé dans une ambiance
très agréable à la mise au point du modèle de dynamique de la biosphère,
basé sur les premiers travaux de Larry. Alexandrov avait accès aux super
ordinateurs Américains Cray-one, ce qui le changeait des machines
Soviétiques, qui accusent quand même un retard certain par rapport aux
engins Américains ( Le Cray faisait en six minutes ce que le BESM de
Moscou faisait en 48 heures ). Il faisait également de fréquentes visites au
LLL ( Lawrence Livermore Laboratory ).
Début 1984, après la conférence du Vatican où il avait été invité par
Rovasenda, il retourna aux Etats-Unis, puis gagna Tokyo et Hiroshima, où
fut tournée une courte séquence avec Carl Sagan, destinée à être incluse
dans le film que préparaient les Japonais. A Tokyo, il acheta un
magnétoscope, puis revint à Moscou.
Gates dit que sa femme était malade, souffrait d'une sorte de cirrhose,
ce qui le préoccupait. Inquiet, il était entré en contact avec des spécialistes
étrangers et avait en particulier eu un long entretien téléphonique avec un
médecin Anglais qui avait tenté un diagnostic sur la base de ce
qu'Alexandrov avait pu lui dire.
Il devait aussi soutenir sa Soviet Doktorat, à la fin de l'année. Ses pairs
le lui avaient signifié. Ce grade est bien supérieur à la thèse de doctorat
d'Etat française ou au Phd Américain. C'est une sorte de brevet pour une
entrée ultérieure à l'Académie des Sciences d'Union Soviétique.
L'impétrant doit soutenir un feu roulant de questions pendant cinq heures,
et Gates dit qu'Alexandrov appréhendait un peu cet examen et qu'il n'avait
Les Enfants du Diable 1/j/aa
213
pas que des amis à l'université ( mais dans le monde de la recherche les
gens sans ennemis sont bien rares ).
Contre-attaque du Pentagone.
En Mars 1985 le Pentagone publia un communiqué tendant à
discréditer ses travaux. Peu de mois avant l'accès aux super ordinateurs
Américains lui avait été interdit. Mesure purement politique. En effet
lorsqu'il utilisaient les machines, Vladimir devait fournir ses listings, qui
étaient analysés et introduits par un programmeur Américain, et n'avait pas
un contact direct avec l'ordinateur. Impossible, dans ces conditions, de
glisser à la sauvette un calcul de bombe à neutrons au milieu du lot.
Contrairement aux allégations du Département de la Défense, cette
exclusion n'était absolument pas basée sur des critères de sécurité.
Dans son communiqué du premier mars 85, le Pentagone écrivit :
- Il est difficile de faire la différence entre un scientifique Soviétique et
un propagandiste Soviétique... Vladimir Alexandrov et G. Stenchikov ont
développé des travaux basés sur un modèle Américain ancien considéré
depuis comme totalement obsolete.... Ils tirent des conclusions exagérées
de leurs travaux, qui leur ont attiré de vives critiques de leurs collègues
étrangers...En dépit de ces critiques ils persistent à donner la même
présentation de leur thèse.
Après avoir, dans les milieux scientifique, baigné presque comme un
poisson dans l'eau ( Alexandrov était plus Américain que les Américains,
disait Gates ) , c'était soudain la disgrâce.
Mais, n'exagérons rien. Les Soviétiques ont quand même des
ordinateurs très convenables et le fait d'être soudain "interdit de Cray-one"
ne pouvait pas pousser un tel homme, plein de ressources, à la dépression.
S'agissant des déclarations du Pentagone, je peux préciser qu'elles ne
reposent sur aucun fondement scientifique établi. J'ai reçu en 1986 une
publication de Stenchikov, intitulée "Mathematical modelling of the
influence of the atmospheric pollution on climate and nature". Elle
contenait une étude sur l'influence des quantités croissantes de gaz
carbonique relâchée dans l'atmopshère par l'activité des hommes, mais
reprenait aussi l'ensemble du travail sur l'hiver nucléaire, dont les résultats
se trouvent confirmés amplement : Stenchikov avait exploré une large
gamme de scenarii initiaux, allant de 100 à 25 000 MT et montrait en
particulier qu'il ne pouvait pas exister de "petite" guerre nucléaire, vis à vis
Les Enfants du Diable 1/j/aa
214
des graves désordres causés à la biosphère. Les effets étaient toujours
présents et qualitativement semblables.
Au cas où une fèlure importante eût existé dans l'ensemble de l'édifice
théorique je vois mal comment Stenchikov aurait délibérément décidé de
la passer sous silence, au risque d'un grave discrédit sur le plan
scientifique, pour lui et pour toute l'équipe travaillant sur ce sujet au centre
de calcul de l'université de Moscou.
En vérité le Département de la défense Américain n'avait sans doute
pas trop prèté attention à ces travaux, toutes ce dernières années. Quel était
au juste l'impact des thèses d'Alexandrov ? Elles démontraient qu'il était
inutile d'accroître plus avant le potentiel nucléaire, puisque celui qui
existait déja, non seulement pouvait tuer des milliards de personnes, mais
mettait catégoriquement en danger la survie de l'humanité en tant
qu'espèce .
En 1985 Lyndon La Rouche avait publié un nouvel article dans sa
revue Fusion où il se félicitait de voir Edward Teller, puis le président
Reagan, épouser ses thèses. Suivait un appel vibrant à une militarisation à
outrance pour rétablir la parité vis à vis de Moscou.
Sur ce fond de décor les théories d'Alexandrov risquaient d'entraîner
une réflexion, suivie d'une possible remise en question de cette mass
production d'ogives, de sous-marins et de bombadiers, si profitable pour le
lobby militaro-industriel Américain. D'où une vigoureuse exculsion du
Soviétique des cénacles scientifiques Américains, suivie d'une opération
de désinformation, pas très étayée scientifiquement, à vrai dire.
Il serait intéressant de connaître l'opinion des chercheurs réellement
compétents sur ces travaux, et en particulier celle de Gates et de son
équipe, dont les travaux étaient en même temps remis en cause.
On rejette ce qui vous dérange. En 84 j'avais trouvé cette même attitude
systématique chez Gallois, confirmée dans son livre paru en 86, 42 accrue
sans doute par la crainte de voir les armes spatiales, hors de portée des
européens, mettre au rencart les missiles du site d'Albion et la flotte des
sous-marins nucléaires, véritable fierté française.
Le film de la disparition.
L'élimination d'Alexandrov fut l'œuvre de grands professionnels. Il se
volatilisa purement et simplement à Madrid à la suite d'une conférence
qu'il donne, sur l'invite du groupe communiste de Cordoue. Ses dernières
42 Pierre Gallois : La Guerre des Cent Secondes, édité chez Fayard, page 36
Les Enfants du Diable 1/j/aa
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heures durent être semblable à celles du personnage des "Trois Jours du
Condor" et il ne vit vraisemblablement pas venir le coup. La presse
internationale, pour le peu d'écho qu'elle donna à cette affaire, vite
étouffée, parla de son état d'ébriété. Faux, Alexandrov ne buvait pas. On
perd subitement sa trace devant l'hôtel Habana.
Le lendemain de sa disparition, le lundi 31 avril 1985 des employés de
l'ambassade Soviétiques vinrent à l'hôtel Habana. Constatant son absence
ils décidèrent de récupérer ses affaires et de payer sa note. Ils prirent aussi,
détail qui a son importance, son passeport.
Par la suite l'ambassade aurait officieusement demandé à la police
espagnole d'effectuer des recherches au sujet de son ressortissant. Ici
s'arrète l'histoire Espagnole.
Le 3 mai John Wallace, directeur du département des études de la
biosphère à Washington reçut un appel téléphonique d'Alya, l'épouse
d'Alexandrov, qui s'inquiétait de ne pas voir réapparaître son mari.
La conversation fut difficile parce qu'Alya parlait très mal l'Anglais et
Wallace pas du tout le Russe. Néanmoins la nouvelle se répandit
rapidement dans cette petite communauté scientifique, qui décida un black
out, au cas où Alexandrov aurait tenté un passage à l'ouest ou se serait
caché quelque part en Espagne.
Les mois passèrent et le 4 juillet la revue Nature brisa le silence, suivie
par le New York Times et le quotidien Espagnol El Pais. Un jour après la
diffusion de cette nouvelle, et 108 jours après la disparition d'Alexandrov,
les autorités Soviétiques déposèrent une requête officielle auprès de la
police et du ministère des affaires étrangères espagnols.
La première mention de la disparition du savant Russe ne fut faite dans
la presse Soviétique qu'en décembre 85. Celle-ci accusa alors la CIA, en se
basant sur un article signé de Ralph de Toledano, daté du 29 octobre et
paru dans le Washington Times, où celui-ci évoquait, de sources secrètes,
un interrogatoire qu'Alexandrov aurait subi après son passage à l'ouest.
Cette thèse fut fortement réfutée par John Wallace : |
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