Pour ce qui est de l'interprétation des faits, soutenir chacune matérialistes motifs valables, illusions ou
transmissions de pensée. Pour ce qui est de l'explication matérialiste des théories de la
réincarnation, de l'explication spiritualiste, j'envisagerai ces hypothèses en les discutant.
D'ailleurs je n'ai nullement l'intention ni la folle prétention de vouloir trancher la question. C'est
une étude que j'offre à mes collègues psychistes ; qu'ils veuillent bien l'approfondir et me dire ce
qu'ils en pensent.
Alors qu'elle était encore toute petite, il paraît que Laure n'était pas comme toutes les enfants de son
âge. Sa mère, une brave femme qui avait dépassé la cinquantaine, a bien voulu venir me voir à
Paris et m'a affirmé ce qui suit « Ma fille Laure eut dès ses premières années des idées que nous ne
comprenions pas, qu'elle s'était faites elle-même sans qu'on les lui eût apprises. Souvent elle nous
embêtait (sic) avec ses histoires, et je lui dis qu'elle deviendrait folle si elle continuait à
penser ainsi ; elle savait que les données enseignées par les prêtres à l'église ne sont pas la
vérité et ses idées étaient si tenaces, si arrêtées, qu'elle refusait obstinément d'aller le dimanche à
la messe avec les siens. Il fallait, continue sa vieille mère, la conduire à la messe avec une
cachouère. Et la cachouère (lisez le fouet) n'avait pas raison des idées de l'enfant. Le curé du
village s'intéressait à Laure, car elle était intelligente et il se plaisait à aller la voir pour converser
avec elle. La petite Laure lui contestait le paradis, le purgatoire, l'enfer, et lui disait que l'esprit
après la mort revient sur terre dans un autre corps. Alors le curé se fâchait tout rouge et
murmurait entre ses dents : « Etrange enfant ! Fillette mystérieuse ! » Et puis il s'en allait rêveur
sans avoir réussi à obtenir de l'enfant d'autre repentir qu'une grosse moue et un « Ah ! Bon, je
ne dirai plus rien. »
Ce curé exerce son ministère à Auront, dans la Somme, pays natal de Lauré Raynaud ; c'est un
vieillard de 72 ans nommé Géimbard. Les idées « bizarres » de la petite Lauré n'allèrent point
en s'effaçant à mesure qu'elle prit de l'âge. Quand le langage lui permit de mieux les exprimer,
elles se précisèrent. A l'âge de 17 ans, elle vient à Ariens. Là, elle est hantée par l'idée de
toucher les malades pour les guérir, et à ses intimes, à ses voisins elle expose aux heures de
confidences ses conceptions sur la survie. Je ne parle pas autrement de cette époque et j'arrive
en 1904, année où elle se marie.
Il m'a été aisé de reconstituer les idées de Lauré Raynaud à partir de ce moment, grâce à ceux de
ses amis que j'ai pu retrouver. Lauré Raynaud savait que les humains possèdent un principe
spirituel immatériel qui survit à la mort. Mais cette survivance ne se fait pas en un lointain
paradis ou enfer ; c'est sur terre que l'âme revient pour se réincarner, après avoir vécu pendant des
années une vie céleste. Laure Raynaud savait tout cela ; elle se souvenait d'avoir déjà vécu et
elle aimait à raconter sa vie précédente ; son souvenir n'était pas complet, elle connaissait
seulement quelques passages, quelques circonstances de cette existence, mais ces passages, ces
circonstances étaient pour elle d'une netteté inouïe.
La maison où elle avait vécu, ou plutôt l'extérieur de celle-ci, le parc qui l'entourait, les environs, le
ciel d'un bleu d'azur, tout cela était présent à son esprit comme un cliché lumineux. Elle disait
qu'elle saurait reconnaître sa demeure aussi aisément qu'un amateur de tableaux reconnaît une
toile qui lui a plu. Elle se voyait elle-même dans cette existence précédente, mais elle ne savait
rien des menus détails de sa vie ; elle se voyait à 25 ans et donnait d'elle-même un
signalement précis. Quant à sa famille, elle ne se la rappelait pas.
Son mari, M. Pierre Raynaud, qui habite à Paris, rue Pétrarque, m'exprime ainsi ses souvenirs
concernant les sentiments et les idées de sa femme :
«Vous savez combien je suis sceptique sur beaucoup de phénomènes psychiques. Eh bien, je suis
tout de même obligé de reconnaître qu'il y a dans l'histoire de la réincarnation de ma femme des
choses bien drôles. Pour ce qui me concerne personnellement je puis vous assurer que Mme Raynaud
m'a fait dès le début de nos relations le récit de faits se rapportant à une vie qu'elle aurait vécue
antérieurement. Je ne me rappelle pas avec précision tout ce qu'elle m'a dit ; néanmoins je sais
qu'elle parlait souvent d'une sorte de cliché qu'elle avait d'elle-même. Elle se voyait jeune et
malade de la poitrine, errant dans un grand parc, dans un pays qu'elle ne pouvait nommer, mais
dont le ciel était pur.., un pays du Midi sans doute. Si vous saviez que Mme Raynaud,
quoique née dans le Nord, a un type nettement méridional, une peau mate, des cheveux très bruns,
vous diriez comme ceux qui la voient pour la première fois qu'elle est du Midi. Ma femme a
l'explication de cela : son type lui vient de sa vie antérieure. Je me rappelle parfaitement qu'elle
pensait retrouver un jour son pays. Or, dans ce qu'elle a découvert en son voyage à Gênes, il y a des
choses qui coïncident d'une façon étrange avec ce qu'elle m'a raconté autrefois. »
Une vieille amie de Mme Raynaud, Mme Dutilleu, qui habite, 2, rue Dammartin, à Amiens, m'a
rapporté sur le sujet qui nous occupe une histoire analogue à celle que m'exposa M. Raynaud.
J'y trouve, en outre, quelques détails nouveaux.
« C'est pendant les longues soirées, me dit-elle, que nous passions ensemble, que mon amie me
détaillait son autre vie, passée si vite sous un ciel plus hospitalier que le nôtre. Elle se plaignait
du climat froid du Nord : son pays avait un autre soleil plus chaud, plus gai. Les années ont passé,
Laure Raynaud réalise son rêve d'enfance ; elle touche les malades pour les guérir et elle obtient
des guérisons remarquables. Le bruit de ses cures s'étend comme une traînée de poudre. Riches et
pauvres s'entassent dans son salon de la rue Enguerrand, à Amiens, pour trouver un
soulagement à leurs maux. Les gens les plus en vue de la région, juges, avocats, médecins
même, viennent la consulter. Mais bientôt Mme Raynaud, ne se plaisant plus à Amiens, voulut
venir à Paris, et au moment même de sa plus grande vogue, à l'époque où ses adeptes la
vénéraient à l'égal d'un dieu, elle quitte brusquement sa clientèle. On l'appelle à Paris... elle y
va ! C'est pour parfaire son savoir de guérisseur qu'elle venait dans la capitale ; elle s'inscrivit à
l'école pratique de magnétisme ; c'est là que je fis sa connaissance. Je remarquai vite sa
remarquable faculté, si bien qu'en 1911, je lui offris la direction de ma maison de santé, qu'elle
accepta.
Ce que Mme Raynaud a dit en 1911 à M. Durville.
Depuis 1911 j'ai vécu aux côtés de Mme Raynaud ; j'ai donc pu la suivre au jour le jour et
étudier à tête reposée ses curieuses facultés et ses originales idées. Je puis affirmer qu'elle est
au point de vue mental parfaitement équilibrée. Ce n'est pas une psychopathe ; elle n'a aucune
hallucination, aucune idée morbide ; c'est une femme calme et raisonnable ; elle a une grande foi en
la puissance thérapeutique de sa main. Mais les résultats que je l'ai vu obtenir chez moi
l'autorisent à avoir confiance en elle. C'est enfin une merveilleuse intuitive, qui m'a prédit à
l'avance nombre d'événements de ma vie que rien ne pouvait faire prévoir. Malgré cela j'avoue n'être
pas convaincu de tout ce qu'elle dit, et en particulier de ses dires au sujet des vies
successives. Il me faudrait des preuves solides et ce que j'ai recueilli ne peut être considéré, ne
l'ai-je pas dit déjà, que comme une série d'intéressantes coïncidences. Mme Raynaud parla devant
moi bien des fois de sa dernière vie antérieure, mais j'attachais peu de prix à ces histoires,
puisque je ne voyais pas la possibilité d'une vérification quelconque. Mme Raynaud me disait
qu'elle avait déjà vécu. Elle avait habité à coup sûr un pays du Midi ; sa maison était grande,
très grande, bien plus grande que les maisons ordinaires, avec sur le devant, une terrasse, une grande
terrasse ; les fenêtres étaient larges, nombreuses, cintrées en haut ; il y avait deux étages et encore
une terrasse en haut.
C'est sur cette terrasse qu'elle aimait à se promener, jeune, brune, avec des yeux très noirs et
grands ; elle était triste, car elle était très gravement malade. Elle toussait et bientôt allait
mourir de la poitrine. Son caractère était fier, hautain, sévère, presque méchant ; la maladie
l'avait aigrie sans doute. Elle était nonchalante et aimait à errer, oisive, dans le parc. Ce parc
était planté de vieux arbres ; il allait en pente ascendante ; derrière et sur les côtés : de petites
maisons habitées par un groupe d'ouvriers. La mort la surprenait bientôt, vers 25 ans peut-être, elle
s'en allait épuisée, maigre, pâle. Plus d'un demi-siècle se passa pendant lequel elle vécut une vie
extra-terrestre. Puis elle se réincarna dans le village d'Aumont, dans la Somme. Voilà ce que
je l'ai entendu raconter bien des fois.
Le témoignage de Mme la princesse Fazyl.
En juin 1912, Mme la princesse Fazyl, qui habite à Paris, 116, rue de la Faisanderie, était chez
moi fatiguée. Elle s'était étendue sur un lit. Mme Raynaud lui tenait compagnie. Alors la princesse
commença à évoquer des souvenirs d'enfance, l'Egypte au ciel de feu avec ses bois de mimosas, ses
tamaris, ses grenadiers, ses figuiers, ses palmiers, et le Nil, le Nil bienfaisant aux eaux vertes ou rouges
que l'Ibis à tête noire vient visiter. Et près du fleuve, la grande maison de sa famille, blanche, avec
son jardin descendant jusqu'à l'eau. « Et moi aussi, continua Mme Raynaud, j'ai connu le pays du
Soleil, mais pas dans cette existence. » Et elle raconta à la princesse ses souvenirs sur sa vie
antérieure, sur elle-même, sur sa maison, sur son pays.
« Je ne sais si c'est en Egypte que j'ai vécu. Pourtant non, je ne me rappelle pas un grand fleuve ; ce
serait plutôt l'Italie ; d'ailleurs j'ai toujours su que je retournerais un jour dans ce pays et je sais que je
le reconnaîtrai, tant les images que j'en ai sont nettes en mes yeux. » Et la princesse de sourire, non
pas incrédule, mais surprise.
Comment Mme Raynaud retrouva sa maison.
Les choses en étaient là et les mois passaient ; j'en étais toujours à n'accorder aux idées de Mme
Raynaud concernant sa vie antérieure que la valeur toute relative qu'on accorde à un rêve, quand
survint une circonstance imprévue.
Je reçus en mars 1913, au début, une lettre venant de Gênes, me demandant auprès d'une dame de
l'aristocratie génoise. A cette époque nous étions en plein deuxième congrès international de
Psychologie expérimentale, et j'étais très occupé à présider ma commission et à suivre le concours de
la baguette. Je ne pouvais quitter Paris. Heureusement, la malade en question aimait beaucoup Mme
Raynaud. Elle avait été déjà magnétisée chez moi par elle à Paris. Je priai donc Mme Raynaud de
partir en Italie. Le voyage devait être fertile en curieuses surprises. En arrivant à Turin, Mme Raynaud
eut la vague impression que le pays ne lui était pas inconnu. Il lui semblait qu'elle avait déjà vu des
sites comme ceux qui se déroulaient sous ses yeux. Pourtant elle n'était jamais venue en Italie, elle
n'avait pas non plus lu d'ouvrages sur ce pays et pas davantage elle ne croyait avoir vu d'images le
représentant ; et le rapide roulait toujours. Il arriva à Gênes. Là, ce qui n'avait été jusqu'alors pour
Mme Raynaud qu'une impression devint une certitude. Elle connaissait vraiment ce pays : c'est là
qu'elle avait vécu dans une existence précédente. En arrivant chez ses hôtes, elle leur fit part de ses
idées et de son désir d'aller à la recherche de sa maison.
Notre excellent M. C..., psychiste érudit et spiritualiste convaincu, s'offrit tout de suite d'aider Mme
Raynaud dans ses recherches. Connaissant Gênes à fond, il pria Mme Raynaud de lui donner de sa
maison tout le signalement qu'elle connaissait ; et elle de redire à M. C... ce qu'on a lu plus haut.
« Il existe, non pas à Gênes même, dit M. C..., mais aux environs, une grande maison qui me
semblerait répondre à la forme, à la situation et à l'architecture que vous indiquez, allons-y. » Et
Monsieur C... prie Mme Raynaud de venir avec lui. Ils montèrent en automobile et traversèrent tout
Gênes. Bientôt la voiture stoppa devant une grande maison blanche. Non, pas celle-là, dit Mme Raynaud,
mais je connais très bien cet endroit et ma demeure n'est pas loin. Partons, nous allons trouver
en tournant, à gauche, une route qui monte, et de cette route nous apercevrons à travers les arbres ce
qui nous concerne. » L'automobile avance suivant les indications de Mme Raynaud, et on trouve, en
effet, la route à gauche s'étalant en pente assez forte jusqu'à une belle maison blanche qui répondait au
signalement indiqué, grand quadrilatère avec sa grande terrasse en bas, sa terrasse dessus, les fenêtres
nombreuses, larges, cintrées en haut, de style renaissance italienne. Le parc inculte en avant,
descendant en arrière : « Ah ! dit M. C..., là c'est la maison de la famille S..., famille très connue à
Gênes. - C'est là que j'ai vécu, ajouta Mme Raynaud ; c'est là, sur cette terrasse, que je me suis
promenée faible, malade de la poitrine. J'étais bien souffrante, j'étais triste ; c'est là que je suis morte à
la fleur de l'âge, il y a un siècle. »
Et l'automobile emporta M. C... et Mme Raynaud satisfaits de leur découverte.
Maintenant on allait chercher des preuves.
ON RETROUVE A GÊNES UN ACTE DE DÉCÈS QUI SERAIT CELUI DE Mme RAYNAUD.
Rentrée chez nos amis, Mme Raynaud, au dîner, donna des détails sur sa trouvaille et
évoqua avec plaisir quelques souvenirs de son existence précédente, et puis elle ajouta «
Je sais que je ne suis pas enterrée comme tout le monde, au cimetière ; mon corps repose
dans une église, j'en ai la conviction. » Chacun resta perplexe.
Mais le temps pressait. Mme Raynaud avait terminé sa mission à Gênes ; il fallait revenir
en France. J'avais, en effet, grand besoin d'elle pour magnétiser mes malades, et elle, de
son côté, désirait rentrer avant la fin du Congrès international du psychisme
expérimental.
Elle rentra. J'eus alors connaissance de toutes les surprises que lui avait réservées son
voyage et je pris tout de suite la décision de contrôler les dires de ma collaboratrice
dans la limite du possible. Il y avait plusieurs points intéressants à rechercher.
D'abord :
- Avait-il existé dans la maison en question, à Gênes, une dame pouvant être identifiée
avec l'hypothétique Mme Raynaud, femme brune, toujours malade, morte de la poitrine, il
y a environ un siècle ?
- Si cette personne avait existé, où était sa sépulture ?
C'est muni de ces points d'interrogation que je fis faire, par l'intermédiaire de mes amis, de
longues recherches à Gênes ; elles amenèrent de bien étranges constatations. L'église San
Francisco d'Albaro garde en ses minutes les actes de décès des gens décédés en cette
maison indiquée par Mme Raynaud comme étant la sienne. Dans ces minutes, mon ami
découvrit un acte dont il m'adressa copie et que je reproduis intégralement, sauf pour ce
qui est du nom de famille que je désigne par la lettre D. On remarquera :
1° Qu'il a trait à une femme qui a toujours été maladive, ce qui est conforme à ce qu'a dit
Mme Raynaud ;
2° Que cette femme semble bien être morte de la poitrine, puisqu'il est dit qu'elle est
morte d'un refroidissement ; le terme mourir de refroidissement est généralement
synonyme de mourir de tuberculose pulmonaire. Ceci est également conforme aux dires de
Mme Raynaud ;
3° Que le décès remonte à un siècle environ, exactement le 13 octobre 1809. Ceci est
également conforme ;
4° Que le corps de la défunte est enterré dans une église (ceci est également conforme).
Enfin notons que rien dans l'acte ne contredit ce qu'exprime Mme Raynaud.
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉCÈS DE LA PAROISSE DE SAN-FRANCISCO-D'ALVARO, GÊNES.
« 23 octobre 1809. La dame Jeanne S..., veuve de B..., habitant depuis plusieurs années
dans sa maison, toujours maladive et dont l'état de santé s'est aggravé ces derniers jours
par suite d'un fort refroidissement, est morte le 21 courant, munie de tous les sacrements de
l'Église, et aujourd'hui, sur notre permission par écrit et avec l'autorisation de M. le
Maire également par écrit, son corps a été transporté en forme privée dans l'église de
Notre-Dame-du-Mont. »
(Suivent les signatures.)
UN SUJET DU DOCTEUR DURVILLE, Mme D'ELPHES, COMPLÈTE LES PREUVES DONNÉES PAR Mme RAYNAUD.
Lorsque je reçus de Gênes l'acte de décès qui serait celui de Mme Raynaud, il était 9
heures du matin environ ; j'étais à table et je prenais mon petit déjeuner ; j'étais ce jourlà
particulièrement en retard pour mes occupations. Plusieurs malades m'attendaient. En
avalant en hâte le contenu de ma tasse de lait, j'ouvrais également en hâte mon courrier,
me contentant de jeter un coup d'oeil sur la longueur, l'écriture, la nature et la
signature des correspondances, plus tard je verrais le détail. L'acte de décès eut le même
sort ; la lettre avec les timbres italiens et l'écriture de mon ami de Gênes
m'indiquèrent et la provenance du papier et sa nature. Je vis l'en-tête, quelques mots
du texte, puis les signatures, rien de plus. Je fermai le papier et le jetai sur la table
avec les autres correspondances, puis je pus voir mes malades. Pendant le cours de la matinée,
l'idée de l'acte me revint à l'esprit. J'en parlai à une amie qui me demanda des détails. Je lui
répondis à peu près ceci : « Je n'ai pas lu le papier, je sais seulement qu'il vient de Gênes, que c'est
un extrait de registre d'une paroisse, mais je ne sais laquelle, que le prénom de la défunte (qui
serait Mme Raynaud) est Jeanne, je crois aussi que le nom de la famille commence par D... C'est
tout ce que je sais. »
L'idée me vint alors de remettre l'acte génois à un de mes sujets voyants pour voir s'il saurait me
révéler quelques faits intéressants à vérifier, mais pour éviter autant que possible l'élément
transmission de pensée, ce gros écueil de la voyance, je voulus faire en sorte que personne de mon
entourage ne pût lire le contenu de l'acte. En connaissant l'acte, on eût pu, qui sait, agir
télépathiquement sur le sujet endormi et fausser peut-être la nature du résultat. Je pris donc le
papier et, sans jeter moi-même à nouveau les yeux sur l'écriture, je le mis sous l'enveloppe que
je cachetai. Moi seul l'avais vu à Paris et de lui je savais seulement les quelques mots qu'on a
lus précédemment. J'allais tout à l'heure recevoir un de mes sujets, Mme d'Elplies, 49, rue
Falguière, à Paris, l'endormir et lui remettre le papier, sans lui dire le moindre mot
relativement à ce que je désirais d'elle.
Séance du 28 mai 1913. - J'endors Mme d'Elphes et sans lui avoir dit le moindre mot ayant trait à
ce que je désire savoir, je lui remets l'enveloppe cachetée qui contient l'acte de décès. Je
m'installe à mon bureau, je prends ma plume et je note tout ce que dit le sujet, sans dire ni oui
ni non, ni si c'est mal, ni si c'est bien. Je transcris ici mes notes telles que je les lis sur mon
carnet d'expériences
« Ce papier vient de loin... Attendez que je m'oriente... Voyons, c'est par là... (Elle indique le Midi.)
Oui, eh ! Mais, c'est loin ; je quitte la France, mais sans traverser la mer... Ah ! J’y suis : c'est
l'Italie, il y a la mer tout près, un port c'est Gênes. (Depuis que je fais des expériences avec des
sujets endormis, c'est seulement la deuxième fois qu'un sujet peut me dire le nom précis d'une
ville. Dans une autre série d'expériences, ce même sujet m'indiqua qu'une lettre que je lui tendais
venait de Grenoble. Et c'était vrai.)
(Un silence)... Tiens ! Me voilà dans une grande maison ; quelle belle maison ; elle est blanche,
grande, sans être immense, mais qu'est-ce que c'est que ce style. Je vois de larges fenêtres et audessus
de plus petites, qui sont cintrées (jusqu'alors tout est rigoureusement superposable aux
déclarations qu'avait faites Mme Raynaud...) Sur la gauche, en regardant la façade, je vois une
tour ronde (ceci est inexact)... On accède par plusieurs marches dans un grand vestibule dallé. La
maison est sur une pente, le jardin monte derrière, tout autour de la maison ça penche (tout ceci
est très exact sur la photographie que j'ai publiée de la maison, on ne voit pas la façade
principale, donc pas les marches, nous n'avons pu faire autrement la photographie). Mais que
dois-je trouver dans cette maison, me demande Mme d'Elphes, j'y vois beaucoup de monde -
Cherchez, dis-je, une dame dont il est question dans le papier que vous tenez. - Une dame... Ah !
Oui, je vois, mais elle est morte, cette dame-là. - Pourriez-vous me dire son nom ? -Un nom, c'est bien
difficile. (Elle cherche, soupire, puis) je ne sais si je me trompe, je vois Jeanne. - Et le nom de
Famille ? - Attendez il m'en vient plusieurs (Sic) Broglie, je trouve que ce nom a rapport avec ce
qui nous intéresse ; je ne peux le chercher de mes yeux, j'en vois encore deux qui commencent par
un M... serait-ce Modène ? Médicis ? (Tout ceci est mauvais) Tiens, je vois maintenant un S... et le
nom à sept lettres, la deuxième lettre pourrait bien être un A et je vois deux F au milieu du
nom. (Très exact.) - Le sujet est fatigué, je le réveille.
Séance du 4 juin 1913. - J'endors Mme d'Elphes ; lorsqu'elle est en somnambulisme, je lui remets la
même enveloppe cachetée qui contient l'acte de décès et dis seulement : « Eh bien, reprenez votre
récit où vous l'avez laissé dans la précédente séance. » Alors Mme d'Elphes, après quelques
instants : « Ah ! J’y suis, je vois Jeanne là-bas dans la grande maison de Gênes. Tiens, mais comme
elle est souffrante... Elle tousse... Et puis elle n'est pas très douce de caractère... C'est un caractère
hautain, mais je ne la vois pas vivre longtemps, je la vois morte... (Un silence)... Alors, qui doisje
voir? (Tout jusqu'ici est conforme au tableau que Mme Raynaud nous avait fait d'elle-même.) -
Continuez, dis-je, à voir la dame Jeanne. - Que voulez-vous que je voie sur elle ? Ah !
Attendez, mais il me semble qu'elle n'est pas enterrée comme tout le monde dans un
cimetière. - Pas dans un cimetière I Alors, où peut-elle être enterrée ? - Mais, docteur, je ne sais si je
me trompe, mais il me semble que je la vois dans une église. (Je crois intéressant de faire
remarquer que jusqu'alors mon sujet ne m'avait dit que des choses connues de moi, et ici les
véritables révélations commencent.)
- Dans une église ? - Oui, continue Mme d'Elphes, l'église est rectangulaire, presque carrée, avec
des colonnes à l'entrée et des piliers plus loin, la dame Jeanne est là dans un tombeau ; le
tombeau est tout près de l'autel, il est assez modeste ; la pierre n'est pas horizontale, elle est
verticale, et derrière elle je vois sept cercueils. Ils contiennent des gens de la famille de
Jeanne et son cercueil à elle est situé tout à fait à gauche contre le mur... C'est tout ce que je
vois, je suis fatiguée. Ah ! Il me vient une idée ! Cette dame Jeanne n'a-t-elle pas des
descendants en France... dans le Midi... J'en vois plusieurs.
- Je n'en sais absolument rien (la séance a été longue, je réveille Mme d'Elphes).
Mme Raynaud ne m'avait jamais dit à moi qu'après sa courte existence elle avait été enterrée
dans une église. Je voulus donc chercher si le sujet avait vu juste. Je décachetai l'enveloppe
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