Spiritualité, Nouvel-Age - Réincarnation
L’immortalité et la réincarnation ; livre en version complete par GABRIEL DELANNE

Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la loi.
Allan Kardec

INTRODUCTION
« L’immortalité est une chose qui nous importe si fort, a dit Pascal, qui nous touche si
profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de
savoir ce qu'il en est. » Ce besoin de connaître notre destinée a été le souci d'innombrables
générations, puisque toutes les grandes révolutions qui ont transformé les sociétés furent
accomplies par des réformateurs religieux. Cependant, de nos jours, l'incertitude règne dans
l'esprit de la majorité de nos contemporains sur ce sujet si important, car la religion
ayant perdu une grande partie de son autorité morale a vu diminuer sa puissance
suggestive. Avec les philosophes spiritualistes, l'âme, avide de vérité, erre éperdue dans
les obscurs dédales d'une métaphysique abstraite, souvent contradictoire et parfois
incompréhensible.

Le siècle dernier a été remarquable par l'extraordinaire développement des recherches
positives dans toutes les branches de la science. Les connaissances nouvelles que nous
avons acquises ont révolutionné nos conditions d'existence et amélioré notre vie matérielle
dans des proportions qui eussent paru invraisemblables à nos arrières grands-pères ; et
cependant on a pu accuser la science de faire faillite à toutes nos espérances, car, si elle
triomphe dans le domaine de la matière, elle est restée volontairement étrangère à ce qu'il
nous importe le plus de savoir, c'est-à-dire si nous avons une âme immortelle et, dans
l'affirmative, ce qu'elle devient après la mort, et, à plus forte raison, si elle existe avant
la naissance. Mais si elle a été incapable d'édifier, elle fut un puissant instrument de
destruction.
Les découvertes de l'astronomie, de la géologie, de l'anthropologie ont soulevé le voile de nos
origines et, à la lumière de ces grandioses révélations naturelles, les fictions religieuses
sur l'origine de la terre et celle de l'homme se sont évanouies comme le font les légendes devant
l'histoire. D'autre part, la critique intensive des exégètes a enlevé à la Bible son caractère
de révélation divine, de sorte que beaucoup d'esprits sincères refusent maintenant de se
soumettre à son autorité. Cette déchéance de la foi résulte aussi de l'antagonisme qui existe
entre l'enseignement religieux et la raison. Les antiques conceptions du Ciel et de l'Enfer
sont surannées, car on ne comprend pas plus une éternité de souffrance comme punition d'une
existence qui est moins d'une seconde vis-à-vis de l'immensité du temps, que l'on ne
conçoit une félicité oisive et béate dont l'éternelle monotonie serait un véritable supplice.
Pour apporter des lumières nouvelles sur un sujet aussi anciennement controversé que celui
de l'existence de l'âme, il faut résolument abandonner le terrain des stériles discussions,
philosophiques, qui n'aboutissent dans la plupart des cas qu'à des solutions contradictoires,
et aborder cette question par l'observation et l'expérience.
L'âme existe substantiellement ; si elle est réellement différente du corps, il doit être possible de
trouver, dans ses manifestations, des preuves de son indépendance de l'organisme. Or, ces
preuves existent, et il est facile de s'en convaincre lorsque l'on étudie impartialement les faits
classés aujourd'hui sous les noms de clairvoyance, de télépathie, de prémonition,
d'extériorisation de la sensibilité ou de la motricité et du dédoublement de l'être humain.
Pendant longtemps, la science est restée sceptique en face de ces phénomènes auxquels elle
ne croyait pas, et il a fallu les efforts persévérants des spirites depuis soixante-dix ans pour
orienter les chercheurs indépendants dans des voies si nouvelles. L'heure de la justice a
enfin sonné, puisque M. le professeur Charles Richet a déposé sur le bureau de l'Académie des
Sciences, au mois de mars 1922, son Traité de métapsychique, qui est une reconnaissance
formelle de la réalité indiscutable des phénomènes dont nous parlons plus haut. Si le célèbre
physiologiste reste encore opposé à l'interprétation spirite des faits, ce n'est que timidement
qu'il combat cette explication ; beaucoup d'illustres savants n'ont pas eu ses scrupules,
puisque Crookes, Alfred Russel Wallace, Myers, Sir Oliver Lodge, Lombroso et bien d'autres,
pour expliquer les mêmes faits, acceptent pleinement la théorie spirite, qui est la seule capable
de s'adapter à tous les cas. La Société anglaise des Recherches psychiques, composée
zéd'hommes de science de premier ordre et de psychologues éminents, a, depuis 1882, contrôlé
des milliers d'observations, institué des expériences irréprochables et, grâce à la vulgarisation
des procédés hypnotiques, le public lettré commence à se familiariser avec ces faits qui
révèlent en nous la présence de l'âme humaine.
Mais il ne suffit pas d'établir que l'être pensant est une réalité ; il est nécessaire de prouver,
aussi, que son individualité survit à la mort, et cela avec le même luxe de démonstrations
positives que celles qui rendent certaine son existence pendant la vie. Les spirites ont
répondu à cette attente en montrant que les rapports entre les vivants et les morts
s'établissent sous les formes très variées de l'écriture, de la typtologie, de la voyance, de
l'audition, etc. Ils ont employé la photographie, la balance, les empreintes et les moulages
pour établir l'objectivité des fantômes qui apparaissent dans les séances de matérialisation
et la corporéité temporaire de ces apparitions est irrécusable quand tous ces documents
subsistent après que les fantômes se sont évanouis.
Toutes les objections de fraudes, d'hallucinations, etc., ont été réfutées par les enquêtes
réitérées entreprises dans le monde entier par les savants les plus qualifiés et, en face
de la masse de documents accumulés, l'on peut affirmer maintenant que la matérialité
des faits n'est plus contestable. Sans doute, la lutte contre le parti pris sera longue
encore, car nous voyons unis, dans une coalition hétéroclite, les prêtres et les matérialistes,
qui se sentent également menacés par cette science nouvelle ; mais la force démonstrative du
spiritisme est si grande qu'il a conquis des millions d'adhérents dans toutes les classes de la
société et qu'il pousse, haut et ferme, sur les ruines du passé.
Ne pouvant nous étendre sur ces démonstrations si variées, nous renvoyons le lecteur désireux
de s'instruire aux ouvrages déjà publiés.
Il reste acquis pour nous que l'âme humaine a une existence certaine pendant la vie, qu'elle
survit à la désagrégation du corps et qu'elle emporte dans l'Au-delà toutes les facultés et
tous les pouvoirs qu'elle possédait ici-bas. Maintenant, la question se pose de savoir si elle
existait avant la naissance et quelles sont les preuves que l'on peut réunir pour appuyer la théorie
de la préexistence. Elles sont de deux sortes :
10 Des arguments philosophiques ;
20 Des observations scientifiques.
Examinons rapidement ces deux aspects de la question.
La croyance à la pluralité des existences a été admise par les esprits les plus éminents de l'antiquité
sous des formes d'abord un peu obscures, mais qui se sont, à la longue, précisées d'une
manière compréhensible. Le Christianisme ayant repoussé cette théorie, les hommes de nos jours
sont peu familiarisés avec cette idée si éminemment rationnelle. Nous verrons qu'il existe des
arguments irrésistibles en sa faveur, si l'on veut concilier les inégalités intellectuelles et
morales qui existent sur la terre entre les hommes avec une justice immanente.
Si l'on admet que l'âme d'un homme ne vient pas pour la première fois sur la terre, que
son apparition n'est pas subite, on est conduit à supposer, en remontant jusqu'à l'origine
de l'humanité, qu'elle a passé antérieurement par le règne animal qu'elle aurait parcouru
tout entier, depuis l'origine de la vie sur le globe. Nous verrons que les découvertes de la
science appuient fortement cette manière de voir, car il est possible de constater, par la
filiation des êtres vivants, une corrélation progressivement croissante entre les organismes
matériels et les formes de plus en plus développées des facultés psychiques.
C'est à ce moment que nous faisons intervenir les expériences du spiritisme, afin d'essayer de
donner à cette théorie philosophique une base expérimentale, autrement dit de la faire
entrer dans la science. Voici, brièvement résumés, les points les plus saillants de cette
démonstration.
L'expérience nous prouve que l'âme est inséparable d'un corps fluidique appelé périsprit.
Cette enveloppe contient en elle toutes les lois qui président à l'organisation et à l'entretien
du corps matériel en même temps que celles qui régissent le fonctionnement
psychologique de l'esprit. Les matérialisations d'esprits nous montrent à l’oeuvre cette
puissance formatrice et plastique et nous font supposer que ce qui a lieu, momentanément
et anormalement, dans une séance spirite, se produit, lentement et naturellement, au
moment de la naissance. Dès lors, chaque être apporte avec lui se puissance de
développement et seule la forme, c'est-à-dire le type structural interne et externe, est
modifiée par les lois de l'hérédité qui peuvent en troubler plus ou moins le
fonctionnement. J'ai tenté une esquisse de cette démonstration, il y a plus de trente
ans, dans mon livre L'Evolution animique et dans un mémoire présenté 1898 au Congrès
spiritualiste de Londres.
Si les faits précédents sont exacts, nous devons retrouver dans la série animale les mêmes
phénomènes que dans l'être humain et pouvoir les contrôler expérimentalement.
J'exposerai les preuves physiologiques et psychologiques que nous possédons sur ce point et
l'on verra que si les documents sont encore trop peu nombreux pour imposer une conviction
absolue, ils ont cependant assez de valeur pour nous obliger à en tenir le plus grand
compte.
Une autre série d'arguments peut être tirée du témoignage des Esprits, et j'aurai grand
soin de ne pas négliger cette source de renseignements, tout en faisant les réserves
nécessaires sur la valeur que nous devons attribuer aux affirmations de cette nature. Il
existe, en effet, une divergence assez grande sur cette question entre les Esprits qui se
manifestent dans les différentes parties du monde. Les êtres désincarnés des pays latins
enseignent presque unanimement les vies successives, puisque c'est grâce à eux qu'Allan
Kardec adopta cette théorie, à laquelle il était opposé auparavant. Au contraire, dans les
pays anglo-saxons, la plupart des Esprits rejettent cette hypothèse. Il ne faut pas trop nous
effrayer de ce désaccord, car dans l'espace, de même que sur la terre, les avis sont
partagés sur les grandes lois de la nature et, chez eux comme chez nous, ce ne sont que les
plus instruits, les plus évolués, qui finissent par démontrer le bien fondé de leurs opinions.
Depuis vingt ans on constate que la réincarnation est admise maintenant par un grand
nombre d'Esprits d'Angleterre et des Etats-Unis1, et nous concluons de ce fait que cette
théorie avait été jusqu'alors laissée de côté par les guides spirituels pour ne pas heurter
trop rudement les croyances anciennes et compromettre par là le développement du
spiritisme. Aujourd'hui que cette doctrine compte des millions d'adeptes dans le Nouveau
Monde, ce danger n'existe plus et la théorie des vies successives gagne chaque jour du terrain.
On peut trouver dans les communications spirites deux sortes de preuves de la
réincarnation : 1° celles qui proviennent d'Esprits qui affirment se souvenir de leurs vies
antérieures ; 2° celles dans lesquelles les Esprits annoncent à l'avance quelles seront leurs
réincarnations ici-bas, en spécifiant leur sexe et les caractères particuliers auxquels on
pourra les reconnaître. Nous discuterons soigneusement ces documents et l'on verra que
beaucoup d'entre eux résistent à toutes les critiques.
Il est encore deux séries de preuves concernant les vies successives ; ce sont d'abord celles qui
nous sont fournies par les êtres humains qui se souviennent avoir vécu déjà sur la terre. En
cette matière, une comparaison de ces phénomènes avec ceux de la paramnésie nous
permettra de ne conserver que des documents inattaquables. Ce sont ensuite celles qui
se déduisent de l'existence des enfants prodiges. Car l'hérédité psychique est inadmissible,
puisque nous savons que l'âme n'est pas engendrée par les parents, de sorte que la réincarnation
est la seule explication logique de ces anomalies apparentes.
Ces faits, si négligés jusqu'alors par les philosophes, ont une importance considérable : si l'on
veut bien les examiner attentivement et en déduire les conséquences, il en résultera une
presque certitude de la théorie des vies successives et l'on comprendra la grandiose
évolution de l'âme humaine, depuis les formes les plus inférieures jusqu'aux degrés les
plus élevés de la vie supranormale et morale. Cette doctrine a une portée philosophique et sociale
d'une importance considérable pour l'avenir de l'humanité, car elle pose les bases d'une
psychologie intégrale qui s'adapte merveilleusement avec toutes les sciences contemporaines
dans leurs conceptions les plus hautes.
Etudions-la donc impartialement et nous verrons qu'elle est plus qu'une simple théorie
scientifique, mais une grandiose et irrécusable vérité.
1 Voir la traduction française du livre de Sir William Barrett : Au Seuil de l'Invisible, chap.
XXXII, p. 212.

CHAPITRE PREMIER

Coup d’oeil historique sur la théorie des vies successives.

Antiquité de la croyance aux vies successives. – L’Inde. – La Perse. – L’Egypte. – La Grèce. – La
Judée – L’Ecole néo-platonicienne d’Alexandrie. – Les Romains. – Les Druides. – Le moyen âge. –
Dans les temps modernes : Penseurs et philosophes qui ont admis cette doctrine. – Une enquête sur ce
sujet du Dr Calderone.

L’INDE
La doctrine des vies successives ou réincarnation est appelée aussi Palingénésie, de deux
mots grecs Palin, de nouveau, génésis, naissance1. Ce qui est très remarquable, c'est que,
dès l'aurore de la civilisation, elle a été formulée dans l'Inde avec une précision que
l'état intellectuel de cette époque lointaine ne faisait guère présager. En effet, dès la
plus haute antiquité, les peuples de l'Asie et de la Grèce ont cru à l'immortalité de
l'âme et, mieux encore, certains se sont préoccupés de savoir si cette âme était créée
au moment de la naissance ou si elle existait antérieurement.
Je vais rappeler brièvement les opinions des auteurs qui ont étudié cette question.
L'Inde est très probablement le berceau intellectuel de l'humanité, et il est tout à fait
remarquable que l'on trouve dans les Vedas et dans la Bhagavad Gita des passages
comme celui-ci :
L'âme ne naît ni ne meurt jamais ; elle n'est pas née jadis, elle ne doit pas renaître ; sans naissance, sans fin,
éternelle, antique, elle n'est pas tuée quand on tue le corps.
Comment celui qui la sait impérissable, éternelle, sans naissance et sans fin, pourrait-il tuer quelqu'un
ou le faire tuer ?
Comme l'on quitte des vêtements usés pour en prendre des nouveaux, ainsi l'âme quitte les corps usés pour revêtir
de nouveaux corps...
J'ai eu bien des naissances et toi-même aussi, Arjuna ; je les sais toutes, mais toi, tu ne les connais pas...
Ici s'affirment, dans la doctrine védique, l'éternité de l'âme et son évolution
progressive par des réincarnations multiples qui ont pour objet la destruction de tout
désir et de toute pensée de récompense personnelle. En effet, poursuit encore l'instructeur
(c'est toujours la voix céleste) :
Parvenues jusqu'à moi, ces grandes âmes, qui ont atteint la perfection suprême, ne rentrent plus dans cette vie
périssable, séjour des maux.
Les mondes retourneront à Brahma, ô Arjuna, mais celui qui m'a atteint ne doit plus renaître...
LA PERSE ET LA GRÈCE
1 Pour la partie historique, consulter l'ouvrage très bien fait d'André Pezzani, intitulé : La
Pluralité des existences ; voir également le livre du Dr Pascal : L'Evolulion humaine ; La
Palingénésie de Charles Bonnet et L'Essai de Palingénésie sociale de Ballanche.

On trouve dans le Mazdéisme, religion de la Perse, une conception très haute, celle de
la rédemption finale accordée à toutes les créatures, après avoir, toutefois, subi des
épreuves expiatoires qui doivent mériter à l'âme humaine son bonheur final. C'est la
condamnation d'un enfer éternel qui serait en contradiction absolue avec la bonté de
l'Auteur de tous les êtres.
Pythagore fut le premier qui introduisit en Grèce la doctrine des renaissances de l'âme
qu'il avait connue dans ses voyages en Egypte et en Perse. Il avait deux doctrines,
l'une réservée aux initiés qui fréquentaient les Mystères, et une autre destinée au peuple;
cette dernière a donné naissance à l'erreur de la métempsycose. Pour les initiés, l'ascension
était graduelle et progressive, sans régression dans des formes inférieures, tandis
que pour le peuple, peu évolué, on enseignait que les âmes mauvaises devaient renaître
dans le corps des animaux, comme l'expose nettement son disciple Timée de Locres1
dans le passage suivant :
C'est par la même raison qu'il faut établir des peines passagères (fondées sur la croyance) de la
transformation des âmes (ou de la métempsycose), en sorte que les âmes (des hommes) timides passent
(après la mort) dans le corps des femmes, exposées au mépris et aux injures ; les âmes des meurtriers dans le
corps des bêtes féroces pour (y recevoir) leur punition ; celles des impudiques dans les porcs et les
sangliers ; celle des inconstants et des évaporés dans les oiseaux, qui volent dans les airs : celles des
paresseux, des fainéants, des ignorants et des fous, dans les formes des animaux aquatiques.
Chez les Grecs, il est tout à fait remarquable qu'Hérodote, en parlant de la doctrine
des Egyptiens, ait pressenti la nécessité du passage de l'âme à travers la filière
animale, mais en lui attribuant un caractère de pénalité qui a confirmé l'erreur de la
métempsycose.
Cependant le « Père de l'Histoire » croyait que les âmes pures pouvaient évoluer dans les
autres astres du ciel. Il dit que les hiérophantes de Mithra, chez les Perses, représentaient les
transmigrations des âmes dans les corps célestes sous le symbole mystérieux d'une échelle ou
d'un escalier avec sept pointes, chacune d'un différent métal, qui figuraient les sept
astres auxquels les jours de la semaine étaient dédiés, mais disposés dans un ordre inverse,
selon que Celse le rapporte, et comme il suit : Saturne, Vénus, Jupiter, Mercure, Mars, la
Lune et le Soleil.
Il y avait donc, dans l'antiquité grecque, deux enseignements, l'un pour la foule, l'autre
pour les hommes sages auxquels on révélait la vérité après qu'ils avaient subi l'initiation
à de que l'on appelait « les Mystères ». Aristophane et Sophocle désignent les Mystères les
espérances de la mort. Porphyre disait aussi :
Notre âme doit être au moment de la mort telle qu'elle était durant les mystères, c'est-à-dire exempte de passion,
d'envie, de haine et de colère.
On voit quelle était l'importance morale et civilisatrice des Mystères. En effet, on y enseignait
secrètement :
1° L'Unité de Dieu ;
2° La pluralité des mondes et la rotation de la terre, telle qu'elle fut affirmée plus tard
par Copernic et Galilée ;
3°La multiplicité des existences successives de l'âme.
Platon adopte l'idée pythagoricienne de la Palingénésie. Il l'a fondée sur deux raisons
principales exposées dans le Phédon. La première est que dans la nature, la mort succédant à la
vie, il est logique d'admettre que la vie succède à la mort, car, rien ne pouvant naître de
rien, si les êtres que nous voyons mourir ne devaient jamais revenir à la vie, tout finirait
par s'absorber dans la mort. En second lieu, le grand philosophe se base sur la réminiscence,
car, selon lui, apprendre c'est se ressouvenir. Or, dit-il, si notre âme se souvient d'avoir
déjà vécu avant de descendre dans le corps, pourquoi ne croirions-nous pas qu'en le
quittant elle en pourra animer successivement plusieurs autres ?
1 Timée de Locres, en grec et en français, par le marquis d'ARGENS, Berlin, 1763, p. 252. Je traduis le texte.
S'élevant plus haut encore, Platon1 affirme que l'âme, débarrassée de ses imperfections, qui
s'est attachée à la divine vertu, devient en quelque sorte sainte et ne retourne plus sur la
terre.
Mais, avant d'arriver à ce degré d'élévation, les âmes retournent pendant mille ans dans
le « Hadès » et, lorsqu'elles doivent revenir ici-bas, elles boivent les eaux du Léthé, qui
leur enlèvent le souvenir de leurs existences passées.
L'ECOLE NÉO-PLATONICIENNE
L'Ecole néo-platonicienne d'Alexandrie enseigna la réincarnation en précisant davantage les
conditions pour l'âme de cette évolution progressive. Plotin, le premier de tous, y revient
maintes fois dans le cours de ses Ennéades. C'est un dogme, dit-il, de toute antiquité et
universellement enseigné que, si l'âme commet des fautes, elle est condamnée à les expier
en subissant des punitions dans les enfers ténébreux, puis elle est admise à passer dans
un nouveau corps pour recommencer ses épreuves. Dans le livre IX de la deuxième
«Ennéade », il précise encore davantage sa pensée dans la phrase suivante : «La
providence des Dieux assure, à chacun de nous le sort qui lui convient et qui est
harmonique avec ses antécédents selon ses existences successives. » C'est déjà toute la
doctrine moderne sur l'évolution du principe intelligent s'élevant, par degrés jusqu'au
sommet de la spiritualité. Porphyre ne croit plus à la métempsycose, même comme
punition des âmes perverses et, suivant lui, la réincarnation ne s'opère que dans le
règne humain. Il n'y avait donc pas pour les adeptes de Pythagore et de Platon de
peines éternelles. Toutes les âmes devaient arriver à une rédemption finale par leurs
propres efforts. C'est là une doctrine éminemment morale, puisqu'elle incite l'homme à
s'affranchir volontairement des vices et des passions mauvaises pour se rapprocher
progressivement de la source de toutes les vertus.
Jamblique synthétise ainsi la doctrine des vies successives :
La justice de Dieu, dit-il, n'est point la justice des hommes. L'homme définit la justice sur des rapports
tirés de sa vie actuelle et de son état présent. Dieu la définit relativement à nos existences successives et à
l'universalité de nos vies. Ainsi les peines qui nous affligent sont souvent les châtiments d'un péché dont l'âme
s'est rendue coupable dans une vie antérieure. Quelquefois, Dieu nous en cache la raison, mais nous ne
devons pas moins l'attribuer à sa justice.
Ainsi donc, suivant lui, ni hasard ni fatalité, mais une inflexible justice règle
l'existence de tous les êtres et, si quelques-uns sont accablés d'affliction, ce n'est pas en
vertu d'une décision arbitraire de la divinité, mais par une conséquence inéluctable des
fautes qu'ils ont commises antérieurement. On verra plus tard que l'Esprit qui revient
sur la terre accepte parfois librement de pénibles épreuves, non plus comme châtiment,
mais pour arriver plus vite à un degré supérieur de son évolution.

LA JUDÉE
Chez les Hébreux, l'idée des vies antérieures était admise généralement.
Elie, dit l'apôtre saint Jacques, n'était pas différent de ce que nous sommes ; il n'a pas eu un décret de
prédestination autre que celui que nous avons nous-mêmes seulement, son âme, quand Dieu l'a envoyée sur
la terre, était déjà parvenue à un degré très éminent de perfection, qui lui a attiré, dans sa vie nouvelle, des
grâces plus efficaces et plus hautes.
La croyance aux renaissances de l'âme se trouve indiquée d'une manière voilée dans la
Bible2, mais beaucoup plus explicitement dans les Évangiles, comme il est facile de
s'en assurer par les passages suivants.
1 Voir Livre des Lois, t. X

En effet, les Juifs croyaient que le retour d'Elie sur la terre devait précéder celui du
Messie. C'est pourquoi, dans l'Evangile, lorsque ses disciples demandent à Jésus si
Elie est revenu, il leur répond affirmativement en disant :
Elie est déjà venu et ils ne l'ont point reconnu, mais ils lui ont fait tout ce qui leur a plu.
Et ses disciples comprirent, dit l'évangéliste, que c'était de Jean qu'il leur parlait.
Une autre fois, ayant rencontré sur leur chemin un homme aveugle de naissance qui
mendiait, ses disciples l'interrogèrent sur cet homme : « si c'étaient les péchés qu'il avait
commis, ou ceux de ses parents, qui étaient cause qu'il était né aveugle » ; ils
croyaient donc qu'il avait pu pécher avant que d'être né ? Et pourtant Jésus ne relève
point une demande si étrange ; et, sans les détromper, comme il semble qu'il n'eût pas
manqué de le faire s'ils avaient été dans l'erreur, il se contente de leur répondre :
Ce n'est point que cet homme ait péché, ni ceux qui lui ont donné le jour, mais c'est afin que les oeuvres de
la puissance de Dieu éclatent en lui.
Dans l'évangile de saint Jean, un sénateur juif, un Pharisien, Nicodème, demande à
Jésus des explications sur le dogme de la vie future. Jésus répond :
En vérité, en vérité, je vous le dis, personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne naît de nouveau.
Nicodème est bouleversé par cette réponse, parce qu'il la prend dans son sens grossier.
« Comment, dit-il, peut renaître un homme qui est déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère pour
renaître une seconde fois? » Jésus reprend : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si un homme ne renaît
pas de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ; ne vous étonnez pas de ce que je
vous ai dit qu'il faut que vous naissiez de nouveau ; l'esprit souffle où il veut, et vous entendez sa voix,
mais vous ne savez d'où il vient, ni où il va. »
« Comment cela peut-il se faire ? »
Jésus lui dit
« Quoi, vous êtes maître en Israël et vous ignorez cela. »
Cette dernière observation du Christ montre bien qu'il est surpris qu'un maître en Israël
ne connaisse pas la réincarnation, car celle-ci était enseignée comme doctrine secrète
aux intellectuels de cette époque. Une des preuves que l'on en peut donner, c'est qu'il
existait des enseignements cachés aux vulgaires, qui ont été recueillis dans les différents
ouvrages qui constituent la Kabbale.
Dans l'enseignement secret réservé aux initiés, on proclamait l'immortalité de l'âme, les
vies successives et la pluralité des mondes habités. On trouve ces doctrines dans le
Zohar1, rédigé par Siméon Ben Jochaï, vraisemblablement vers l'an 121 de notre ère, mais
connu seulement en Europe vers la fin du IIIème siècle. D'autre part, la transmigration
des âmes, si nous en croyons saint Jérôme, a été longtemps enseignée comme une
vérité ésotérique et traditionnelle qui ne devait être confiée qu'à un petit nombre
d'élus. Origène admettait comme une nécessité logique la préexistence de l'âme pour
expliquer certains passages de la Bible, sans quoi, dit-il, on pourrait accuser Dieu
d'iniquité. Ces conceptions, bien que repoussées par les conciles, furent conservées,
même dans le clergé, par des esprits indépendants comme le cardinal Nicolas de Cusa,
et parmi les philosophes, par les adeptes des sciences secrètes, qui se transmettaient
ces traditions sous le sceau du secret.
2 Voir : Isaïe, chap. XXIV, verset 19, et Job, chap. XIV, versets 10 et 14. Traductions
d'Osterwald.
1 Voir Franck : La Kabbale, p. 51
LES ROMAINS
Parmi les Romains qui puisèrent la plupart de leurs connaissances en Grèce, Virgile
exprime clairement l'idée de la Palingénésie en ces termes :
Toutes ces âmes, lorsque pendant mille ans elles ont tourné la roue de cette existence (dans l'Elysée ou le
Tartare) Dieu les appelle en nombreux essaims au fleuve Léthé, afin que, privées du souvenir, elles
revoient les lieux supérieurs et convexes et commencent à vouloir retourner dans le corps.
Ovide dit aussi que son âme, lorsqu'elle sera purifiée, habitera les astres qui peuplent
le firmament, ce qui étend la palingénésie jusqu'aux autres mondes semés dans l'espace.

DRUIDISME
Les Gaulois, nos ancêtres, pratiquaient la religion des druides et croyaient à l'unité de
Dieu et aux vies successives. César dit1 :
Une croyance qu'ils cherchent toujours à établir, c'est que les âmes ne périssent point et qu'après la mort
elles passent d'un corps dans un autre.
Ammien Marcellin2 rapporte qu'en conformité avec l'opinion de Pythagore, ils
affirmaient que les âmes sont immortelles et qu'elles doivent animer d'autres corps.
C'est pourquoi, lorsqu'ils brûlaient leurs morts, ils jetaient dans le bûcher des lettres
qu'ils adressaient à leurs parents ou à leurs amis défunts, comme si ceux-ci devaient
les recevoir et les lire. Les Druides enseignaient qu'il y a trois cycles : 10 celui de
Ceugant, qui n'appartenait qu'à Dieu ; 2° celui de Gwynfid ou séjour de bonheur, et 30
celui d'Abri ou cycle des voyages, auquel appartenaient notre terre et les autres
planètes. La terre était un lieu de passage pour s'élever vers des mondes supérieurs.
L'idée de préexistence, et non de métempsycose, est nettement formulée par le barde
Taliésin, lorsqu'il dit : « J'ai été vipère dans le lac, j'ai été couleuvre tachetée sur la
montagne ; j'ai été étoile, j'ai été prêtre. Depuis que j'ai été pasteur, un long temps
s'est écoulé ; j'ai dormi dans cent mondes, je me suis agité dans cent cercles.

MOYEN AGE
Pendant toute la durée du moyen âge, la doctrine palingénésique resta voilée, car elle
était sévèrement proscrite par l'Eglise, alors toute-puissante ; cet enseignement fut
confiné dans les sociétés secrètes ou se transmit oralement entre initiés qui
s'occupaient des sciences occultes.
TEMPS MODERNES
Il faut arriver aux temps modernes et à la liberté de penser et de discuter
publiquement pour que cette vérité des vies successives renaisse à la grande lumière de
la publicité.
Un des plus éminents philosophes du XVIIe siècle, Leibniz, en étudiant le problème
de l'origine de l'âme, admet que le principe intelligent, sous forme de monade, a pu
se développer dans la filière animale.
1 Guerre des Gaules, livre VI, chap. XIV. Voyez aussi le chapitre XIX ad finem.
2 Livre XVI chap. IX.

Dupont de Nemours, un profond penseur du XVIIIe siècle, par la seule force du
raisonnement, admet, comme Charles Bonnet, que l'âme dégagée du corps est toujours
unie à une forme spirituelle qui lui permet de conserver son individualité, et
qu'après un séjour dans l'espace, elle revient sur la terre pour s'y perfectionner en
acquérant une moralité de plus en plus haute.
Dupont de Nemours, comme Leibniz, suppose que le principe intelligent a passé par tous
les organismes vivants avant d'arriver à l'humanité.
Le philosophe Lessing écrit :
Qui empêche que chaque homme ait existé plusieurs fois dans le monde ? Cette hypothèse est-elle si ridicule
pour être la plus ancienne ?... Pourquoi n'aurai-je pas fait dans le monde tous les pas successifs dans mon
perfectionnement qui, seuls, peuvent constituer pour l'homme des punitions et des récompenses temporelles
? »
A citer Ballanche, Schlegel, Saint-Martin qui expriment, chacun à sa façon, des idées se
rapprochant de celles de Dupont de Nemours au sujet de la Palingénésie.
Constant Savy, qui vivait au commencement du XIXème siècle, n'admet pas l'enfer
éternel, car ce châtiment serait une vengeance aveugle et implacable, puisqu'elle
punirait, par une éternité de supplices, les fautes d'une vie qui, si longue soit-elle, n'est
que quelques instants vis-à-vis de l'éternité. Il. admet la théorie des vies successives,
car, dit-il, l'immortalité de l'homme consiste en une marche progressive ; il prépare la
vie dans laquelle il entre par celle qu'il laisse ; enfin, puisqu'il y a deux mondes,
nécessairement l'un matériel et l'autre intellectuel, ces deux mondes, qui composent la
vie à venir, doivent avoir des rapports harmoniques avec le nôtre. En progressant luimême,
il fera progresser le monde.
Les philosophes de l'école spiritualiste, tels que Pierre Leroux et Fourier, ont admis la
pluralité des existences de l'âme.
Mais Fourier, avec son esprit systématique et aventureux, imagine des périodes de vies
humaines et extra-terrestres entremêlées. C'est ainsi qu'il y aurait exactement huit cent
dix existences, partagées en cinq périodes d'inégales étendues, et embrassa et une
durée de quatre-vingt mille ans !
Esquiros nous affirme que chacun de nous est l'auteur et pour ainsi dire l'ouvrier de
ses destinées futures. Les êtres ignorants ou dégradés qui n'ont pas su faire éclore leur
âme rentrent dans le sein d'une femme pour y revêtir un nouveau corps et accomplir
une nouvelle existence terrestre. Cette réincarnation se fait en vertu d'une grande loi
d'équilibre qui ramène tous les êtres au châtiment ou à la rémunération exacts de leurs
oeuvres. Ces renaissances sur la terre sont limitées et l'âme épurée va habiter des
mondes supérieurs.
Dans son beau livre : Terre et Ciel, Jean Reynaud expose magnifiquement la nécessité des
vies successives se développant sur la terre d'abord et ensuite sur les autres mondes qui
parsèment l'infini.
Malgré l'absence de la mémoire de nos existences passées, toujours nous nous succédons à
nous-même, toujours nous portons en nous-mêmes le principe de ce que nous serons
plus tard, toujours nous montons. Il suppose que dans la vie parfaite nous recouvrerons
la mémoire intégrale de tout notre passé, et ce sera pour nous un spectacle grandiose,
puisqu'il embrassera tout le cours de nos connaissances terrestres. Donc naître, ce n'est
pas commencer, c'est seulement changer de figure.
Il a eu pour disciple Pelletan et Henri Martin.
Si l'on admet, comme le croyaient déjà les Druides, que l'évolution ascendante de
l'âme a lieu dans l'infini du Cosmos, la pluralité des mondes habités devient un corollaire
logique de la pluralité des existences. C'est ce qu'a bien mis en lumière mon éminent
ami Camille Flammarion au milieu du siècle dernier.
Résumant sa pensée, voilà ce qu'il écrit :
Si le monde intellectuel et le monde physique forment une unité absolue, et l'ensemble des humanités
sidérales forme une série progressive d'êtres pensants, depuis les intelligences d'en-bas, à peine sorties des
langes de la matière, jusqu'aux divines puissances qui peuvent contempler Dieu dans sa gloire et comprendre
ses oeuvres les plus sublimes, tout s'explique et tout s'harmonise ; l'humanité terrestre trouve sa place dans les
degrés inférieurs de cette vaste hiérarchie et l'unité du plan divin est établie.
C'est en 1857 qu'Allan Kardec publia son Livre des Esprits dans lequel il expose
toutes les raisons philosophiques qui l'ont conduit à l'admission de la théorie des vies
successives, et c'est à lui, principalement, qu'est due la propagation de cette grande
vérité dans les pays de langue latine. Je reviendrai plus tard sur les arguments si
puissants qu'il a groupés et qui imposent la conviction à tout esprit impartial.
Il est bon de noter que la doctrine des vies successives a été vulgarisée au siècle
dernier, dans le grand public, par des romanciers tel que Balzac, Théophile Gautier,
George Sand, ainsi que par le grand poète Victor Hugo.

L'ENQUÊTE DE M. CALDERONE
Une enquête, instituée par M. Calderone1, directeur de la revue Filoso fia della
Scienza, en 1915, a prouvé que beaucoup de penseurs et de philosophes ont adopté
cette magnifique théorie palingénésique.
Le Dr Maxwell, l'auteur du livre Le Phénomène psychique, déclare :
Quant à moi, l'hypothèse de la Réincarnation me parait très acceptable... Elle explique l'Evolution et
l'Hérédité. Elle est moralisatrice. C'est une source d'énergie et en même temps elle aide au développement des
sociétés par le sentiment qu'elle impose d'une hiérarchie nécessaire.
Mais M. Maxwell ne croit pas qu'elle puisse se démontrer scientifiquement. J'essaierai
de prouver le contraire dans le cours de ce volume.
Le Dr Moutin admet la possibilité des vies successives, mais il les conçoit comme
s'accomplissant sur les autres terres du ciel au lieu de rester confinées à la terre.
M. de Rochas croit à l'évolution de l'être humain et il reconnaît, loyalement, que ses
expériences avec des sujets magnétiques pour provoquer la régression de la mémoire
jusqu'aux vies antérieures, n'ont pas donné de résultats positifs. Néanmoins il croit au
principe des vies successives comme il admet l'existence de Dieu, par le
raisonnement.
Le Dr Geley est nettement affirmatif ; il écrit :
Vous savez, mon cher ami, que je suis réincarnationniste et je le suis pour trois raisons : parce que la
doctrine palingénésique me semble, au point de vue moral, parfaitement satisfaisante ; au point de vue
philosophique, absolument rationnelle ; au point de vue scientifique, vraisemblable, ou mieux encore
probablement vraie.
M. Lancelin, dans sa réponse à l'enquête, affirme sa croyance à la réincarnation, car il
considère que la subconscience est la résultante de toutes nos consciences antérieures.
M. Léon Denis répond, bien entendu, affirmativement, d'autant plus qu'il a obtenu, ditil,
par des médiums inconnus les uns des autres, des détails concordants sur ses vies
antérieures. Par l'introspection, il croit à la réalité de ces révélations, car elles sont
conformes à l'étude analytique de son caractère et de sa nature psychique.
En Italie, le professeur Tummolo est un ardent défenseur de l'idée réincarnationniste.
M. Carreras admet qu'un commencement de preuves scientifiques a déjà été obtenu.
M. de Vesme, directeur des Annales des sciences psychiques, reste indécis, mais il a une
tendance à supposer qu'un jour nous arriverons à instituer des expériences qui nous
permettront de pénétrer le mystère de nos existences.
C'est à l'établissement de ce commencement de démonstration scientifique que ce livre
est consacré, et j'ai l'espoir qu'il ne sera pas inutile à la constitution de la future
science concernant l'âme humaine.
1 Voir Revue scientifique et morale du spiritisme, numéros d'août et septembre 1913.

Depuis quelques années nous assistons à la vulgarisation au moyen du roman de la
croyance aux vies successives.
C'est ainsi que nous avons vu paraître, presque coup sur coup, La Villa du silence, de
M. Paul Bodier; Réincarné, du Dr Lucien Graux ; Le fils de Marousia, de M. Gobron ; Un
mort vivait parmi nous, de Jean Galmot, et d'autres encore qui présentent cette
doctrine au moyen de fictions plus ou moins vraisemblables.
La Palingénésie a parfois inspiré des poètes tels que Théophile Gautier, Gérard de
Nerval et Jean Lahore, dont voici une pièce qui caractérise nettement son beau talent
et ses croyances :
Comme au fond des forêts et des chastes fontaines
Tremble un pâle rayon de lune enseveli,
Ami, le souvenir d'existences lointaines
Frissonne dans mon coeur sous les flots de l'oubli.
Je sens un monde en moi de confuses pensées,
Je sens obscurément que j'ai vécu toujours,
Que j'ai longtemps erré dans les forêts passées
Et que la bête encore garde en moi des amours.
Je sens confusément, l'hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal ou plante, j'ai souffert,
Lorsque Adonis saignant dormait pâle en sa tombe,
Et mon coeur reverdit quand tout redevient vert.
Quand mon esprit aspire à la pure lumière,
Je sens tout un passé qui le tient enchaîné ;
Je sens couler en moi l'obscurité première,
La terre était si sombre aux temps où je suis né.
Mon âme a trop dormi dans la nuit maternelle ;
Pour monter vers le jour, qu'il me fallut d'efforts !
Je voudrais être pur : la honte originelle,
Le vieux sang de la bête est resté dans mon corps !
Si intéressants et si démonstratifs que soient les raisonnements philosophiques que nous
venons d'exposer, il faut nécessairement leur donner la consécration scientifique de
l'observation et de l'expérience pour faire passer la grande loi des vies successives dans
le domaine scientifique.
Je vais donc, en premier lieu, exposer les faits qui appuient irréfutablement
l'existence de l'âme, sa véritable nature si différente de ce que les religions et les
philosophies nous avaient enseigné à cet égard.

CHAPITRE II

Les bases scientifiques de la réincarnation.
Les propriétés du périsprit.
Le Spiritisme démontre scientifiquement l’existence de l’âme et du périsprit. – Celui-ci est
inséparable du principe pensant. – Démonstration de cette grande vérité par l’étude des manifestations
de l’âme pendant la vie et après la mort. .
Le périsprit est l’idée directrice d’après laquelle le corps humain est construit. – Il entretient et répare
l’organisme. – Il ne peut pas être un produit de la matière. – emporte avec lui dans l’espace cette
faculté organisatrice qui lui serait inutile s’il ne devait pas revenir sur la terre. – Où a-t-il pu acquérir
ces propriétés ? – Sur la terre évidemment. – Il est logique d’admettre qu’il a passé par la filière
animale.
Le grand mérite des magnétiseurs spiritualistes et des spirites est d'avoir essayé de faire passer
l'étude de l'âme humaine du domaine de la psychologie proprement dite dans celui de
l'observation scientifique, en étudiant les manifestations objectives de l'être pensant. Pendant
tout le XIXème siècle, la philosophie officielle s'est cantonnée dans le domaine de
l'introspection, en négligeant systématiquement les faits si nombreux et si intéressants des
actions extra-sensorielles de l'être humain.
Mais, grâce à la Société anglaise des Recherches psychiques, il est établi maintenant que la
télépathie est une réalité indiscutable, que la clairvoyance, soit pendant le sommeil, soit à l'état
de veille, est bien réelle, et qu'enfin la prévision de l'avenir a été maintes fois constatée.
Ces facultés nouvellement connues appartiennent en propre à l'âme et ne peuvent
s'expliquer par aucune propriété physiologique du corps. Ces constatations sont d'une
importance considérable, mais ces découvertes sont encore surpassées par celle du corps fluidique
de l'âme que les spirites appellent périsprit. Ce corps spirituel a été soupçonné de tout
temps, car les Hindous l'appelaient déjà le Linga Sharira ; les Hébreux, Néphesph ; les
Égyptiens, Ka ou Bai ; les Grecs, Ochéma ; Pythagore, le Char subtil de l'âme ou
Eidolon; le philosophe Cudworth, le médiateur plastique ; et les occultistes, le corps astral.
Ce double de l'organisme a été signalé par les somnambules qui le voyaient sortir du corps
matériel au moment de la mort, ou se dégager d'eux-mêmes quand ils s'extériorisaient. C'est
ce principe intermédiaire entre l'esprit et la matière qui individualise l'âme, qui lui permet de
conserver sa conscience et ses souvenirs après la mort, de même que pendant la vie, il maintient
le type corporel, l'entretient et le répare pendant toute la durée de l'existence. Je vais donc
rappeler sommairement les différents genres de preuves que nous possédons pour établir la réalité
de cet organisme suprasensible, encore si inconnu de la science actuelle.

APPARITIONS DE VIVANTS
J'ai résumé, dans le premier volume de l'ouvrage : Les apparitions matérialisées des
Vivants et des Morts, un certain nombre d'exemples authentiques qui démontrent que,
pendant la vie, l'âme peut sortir de son corps physique pour se montrer au loin avec un second
corps identique au premier, et, dans certains cas, jouissant temporairement des mêmes
propriétés. Il ne s'agit plus ici de théories plus ou moins contestables : c'est la nature ellemême
qui parle. Entre cent autres preuves, citons celle rapportée par l'illustre journaliste
anglais W. Stead1 ; il a vu, durant plus d'une heure, le double matérialisé d'une de ses
amies qui, pendant ce temps, était couchée dans sa chambre.
Le sosie avait assez de force pour pousser une porte, tenir un livre et marcher. Le
double était à ce point identique au corps charnel que les assistants ne se sont pas doutés
qu'ils étaient en présence de l'apparition matérialisée d'une vivante.
1 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, p. 266, t. I.

Il existe bien d'autres cas semblables, et l'on ne saurait trop appeler l'attention des
chercheurs sur ces manifestations spontanées. Ici aucun médium n'est nécessaire. C'est dans
son propre organisme que l'esprit trouve les forces suffisantes pour donner à son corps
spirituel les apparences de la matière. Or, pour marcher, pour tenir un livre, il faut que
le fantôme soit organisé. Il est indispensable qu'il ait des appareils extra-physiologiques
qui jouent le même rôle que des membres charnels. La dame de Stead tenait, avec sa
main fantômale, le livre qu'on lui offrit, exactement comme elle eût agi avec sa main
ordinaire ; c'est là un fait, et non une hypothèse.
De même1, quand le fantôme d'un passager écrivait sur une ardoise l'indication qui devait
sauver le navire en détresse sur lequel son corps physique se trouvait endormi, il agissait
encore comme il l'eût fait pour écrire dans la vie normale ; il possédait un organe de
préhension qui lui permettait de tenir la craie. Il dirigeait les mouvements du crayon en
lui imprimant les changements de direction nécessaires pour produire le graphisme. En
un mot, il y avait une véritable duplication du corps physique et elle devait s'étendre
jusqu'aux plus petits détails de la constitution anatomique, puisque les actes exécutés
sont les mêmes. Je rappellerai également que le double de Mme Fay2, dans la célèbre
expérience de Crookes et Varley, apparut entre les rideaux du cabinet, tenant elle aussi un
livre à la main qu'elle donna à un assistant, alors que son corps de chair et d'os, en
léthargie, était parcouru par un courant électrique qui assurait qu'il n'avait pas bougé.
La déduction qui s'impose immédiatement à l'esprit, c'est qu'il existe en chacun de nous
un second corps, identiquement semblable au premier, qui peut s'en séparer, et,
momentanément ; le remplacer, afin de permettre à l'âme extériorisée d'entrer en rapport
avec le monde extérieur. Parlant de la bilocation d'Alphonse de Liguori, lequel assista le pape
Clément XIV à ses derniers moments, à Rome, pendant que ses serviteurs constataient, le
même jour, que le vénérable prélat dormait dans sa cellule d'Arienzo, province de
Naples, Durand (de Gros), un médecin de haute envergure philosophique, est amené à
écrire3 :
Si le fait en cause et les faits ou prétendus faits semblables qui nous sont décrits journellement dans
les publications de la télépathie scientifique sont avérés, sont prouvés ; si, en un mot, force nous est de
les admettre, quoi qu'il nous en coûte, eh bien, une conséquence me parait découler de là avec la plus
limpide et la plus irrésistible évidence : c'est qu'à la nature physique apparente est associée une nature
physique occulte qui est fonctionnellement son équivalente, quoique de constitution tout autre.
C'est que l'organisme vivant que nous voyons, et que l'anatomie dissèque, a également pour doublure
(si ce n'est plutôt lui-même qui est la doublure) un organisme occulte sur lequel n'a prise ni le scalpel,
ni le microscope, et qui, pour cela, n'en est pas moins pourvu - mieux que l'autre peut-être - de tous les
organes nécessaires au double effet qui est toute la raison d'être de l'organisation vitale recueillir et
transmettre à la conscience les impressions du dehors et mettre l'activité psychique à même de s'exercer
sur le monde environnant et de la modifier à son tour !!
C'est, sous une forme lapidaire, la conclusion à laquelle on ne pourra plus échapper
désormais.
En effet, dans son dernier livre de l'Inconscient au Conscient, le Dr Geley est
amené lui aussi aux conclusions suivantes, après avoir signalé toutes les obscurités
de l'enseignement physiologique officiel4 :
Il faut et il suffit, en effet, dit-il, pour tout comprendre, le mystère de la forme spécifique, le
développement embryonnaire et post-embryonnaire, la constitution et le maintien de la
personnalité, les réparations organiques et tous les autres problèmes généraux de la biologie,
d'admettre une notion non pas nouvelle, certes, mais envisagée d'une façon nouvelle, celle d'un
dynamisme supérieur à l'organisme et le conditionnant5 .
1 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, t I, p. 275.
2 Les apparitions matérialisées des vivants et des morts p. 400.
3 DURAND (de Gros), Le Merveilleux scientifique, p. 148.
4 Dr Gustave GELEY. De l'Inconscient au Conscient, p. 51.
5 Voir mon livre, L'Evolution animique, dans lequel j'attribue au périsprit ce mécanisme
psycho-dynamique.

Il ne s'agit pas seulement de l'idée directrice de Claude Bernard, sorte d'abstraction, d'entité
métaphysico-biologique incompréhensible ; il s'agit d'une notion concrète, celle d'un dynamisme
directeur et centralisateur, dominant les contingences intrinsèques, les réactions chimiques du milieu
organique comme les influences ambiantes du milieu extérieur.
Allan Kardec, voici plus de soixante-dix ans, enseignait déjà cette duplication de l'organisme,
que nous vérifions aujourd'hui avec tout le luxe de précautions qu'exige la
méthode scientifique. Si, en effet, le scalpel et le microscope sont impuissants à
révéler l'existence du périsprit, la photographie, d'une part, peut déceler la présence
du fantôme extériorisé d'un vivant, même invisible pour l’oeil, car nous en avons
des exemples parfaitement authentiques, de même que les expériences du colonel
de Rochas nous font assister à l'exode de la sensibilité et de la motricité du sujet
en expérience. Ces phénomènes objectifs font heureusement intervenir l'expérience
dans un domaine qui semblait réservé exclusivement à l'observation ; en même temps,
ils enlèvent jusqu'à l'ombre d'une incertitude sur la véritable cause. Dans tous les cas, c'est
l'âme humaine, et elle seule, qui intervient, car, lorsque l'on veut obtenir des
dédoublements expérimentaux, on choisit le lieu, le temps, les conditions, et celui qui
agit peut même parfois se souvenir de ce qui s'est produit pendant qu'on le voyait à distance. Il
a la sensation d'être transporté à l'endroit même où il a été visible, et il ne se trompe
pas, car il -peut décrire avec exactitude les choses inconnues qui se trouvaient dans
les lieux qu'il a visités anormalement.
Mieux encore, dans les séances avec Eusapia, par exemple, on assiste au synchronisme des
mouvements physiques du corps charnel et de ceux du corps fluidique : l'effort physique,
physiologique, s'est transporté à distance, et il reste des traces objectives de cette action
extra-corporelle. Ce sont des meubles déplacés, des pressions exercées sur des appareils
enregistreurs et surtout, résultat précieux, des empreintes et des moulages qui permettent de
se rendre compte, de visu, de la nature de la cause agissante1.
En présence de pareilles constatations apparaît l'inanité des théories catholiques, occultistes,
théosophiques qui font intervenir des êtres étrangers pour l'explication des phénomènes. Lorsque
M. Siemiradsky constate que les empreintes laissées sur du noir de fumée par la main
fluidique, que l'on a sentie ou que l'on a vue opérer, sont identiques aux dessins de
l'épiderme de la main d'Eusapia, il faut avoir une robuste imagination et une absence totale
d'esprit scientifique, pour s'imaginer que c'est un démon qui s'est amusé à ce petit jeu.
De même, quand on obtient une empreinte en creux de son visage dans du mastic,
comme je l'ai constaté moi-même2, point n'est besoin des cohortes infernales pour l'explication. Il
n'y a là aucun miracle, nulle intervention étrangère, mais seulement l'action du corps fluidique,
dont ces phénomènes démontrent l'existence avec une force irrésistible.
Si réellement on cherche la vérité, en dehors de toute idée préconçue, il est nécessaire de
suivre les faits pas à pas et de ne pas multiplier les causes sans nécessité. Lorsqu'on
trouve dans l'être humain la raison suffisante d'un phénomène, il est anti-scientifique de les
interpréter par des causes étrangères - surtout lorsque celles-ci sont hypothétiques - comme
c'est le cas pour les démons, les anges, les loques, les coques astrales, les élémentaires,
etc.., ou toutes autres entités jusqu'alors imaginaires.
Il ressort directement de l'observation et de l'expérience que l'individu humain est capable,
dans des circonstances spéciales, de se séparer en deux parties : d'une part, on voit le
corps physique, généralement inerte, plongé dans un sommeil profond, et, de l'autre, un
second corps, duplicata absolu du premier, qui agit au loin intelligemment, d'où il faut inférer
que l'intelligence accompagne le sosie et que celui-ci n'est pas une simple image virtuelle,
une effigie sans conscience.
1 Voir pour la justification, les expériences du professeur BOTAZZI, dans le tome I des
Apparitions matérialisées des vivants et des morts. Voir aussi les travaux du professeur de
CRAWFORD, Revue métapsychique, 1921.
2 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts ; t. I, p. 452 et suivantes.

APPARITIONS DE DÉFUNTS
Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que le dédoublement s'observe aussi bien chez
les personnes parfaitement vivantes qu'avec celles qui sont sur le point de mourir, ou enfin
qui ont disparu depuis plus ou moins longtemps de notre monde objectif. Les fantômes des
morts sont aussi nombreux, aussi bien observés que ceux des vivants. Ils ont exactement
les mêmes apparences extérieures et souvent la même objectivité que les doubles de vivants
matérialisés, ce qui nous contraint logiquement à leur attribuer la même cause : l'âme
humaine, ; d'où il résulte péremptoirement ce fait si important que la mort ne l'a pas
anéantie. C'est la preuve de la survivance qui se révèle à nous par l'observation des
phénomènes naturels, et chaque jour qui s'écoule voit s'augmenter le formidable dossier
que nous possédons déjà.
Il existe dans les Proceedings de la Société de Recherches psychiques deux mémoires sur les
apparitions des morts, celui de M. Gurney complété par F.-W.-H. Myers, et un autre de
Mme Sidgwick, dans lesquels il est possible d'observer tous les genres d'apparitions.
On y remarque des hallucinations télépathiques proprement dites, celles que le voyant
construit lui-même ; puis des visions clairvoyantes ; enfin des apparitions collectives, comme
cela a lieu pour les fantômes des vivants. Nous savons que l'on peut obtenir,
expérimentalement, la même série de phénomènes entre deux opérateurs vivants dont l'un,
sans prévenir l'autre, agit sur lui pour apparaître à ce dernier1. Ici, la cause du phénomène
n'est pas douteuse, c'est l'agent2, et lui seul, qui est l'auteur de l'apparition dont il a fixé
à son gré le jour et l'heure ; parfois il a conservé le souvenir de son déplacement et a pu
noter les détails de ce qu'il a observé pendant que le percipient le voyait.
Après la mort, je le répète avec insistance, des faits absolument semblables se produisent3. Les
apparitions de défunts ont des caractères identiques à celles des fantômes de vivants, et, si
c'est bien l'âme humaine qui produit ces derniers, l'induction la plus légitime permet
d'attribuer les fantômes des morts à la même cause, c'est-à-dire à l'âme que la mort
corporelle n'a pas anéantie. Celle-ci continue donc sa vie et possède encore une substantialité
qui perpétue son type terrestre. L'hallucination doit être exclue pour - l'explication lorsque
la vision d'un décédé possède un des caractères suivants :
1° Le fantôme, s'il est connu du percipient, montre par des signes particuliers,
ignorés du voyant, qu'il était ainsi de son vivant (blessures, cicatrices, vêtement spécial, etc..). Il
est manifeste que si la vision est seulement clairvoyante, il faut néanmoins que celui qui la
produit soit là, sans quoi elle n'aurait pas lieu.
2° L'apparition est celle d'une personne que le sujet n'avait jamais vue auparavant ;
cependant, la description qu'il en fait est suffisamment précise pour en établir l'identité. Il
serait absurde d'attribuer au hasard la reconstitution assez fidèle d'un individu pour
qu'elle permette de le reconnaître ; il faut donc que celui-ci soit présent, ce n'est pas une
simple image, une sorte de cliché coloré, car ces manifestations montrent un caractère intentionnel
qui décèle une intelligence.
3° L'apparition donne un renseignement dont l'exactitude est reconnue
ultérieurement, ou elle relate un fait réel totalement inconnu du percipient.
4° On a pu obtenir, accidentellement ou volontairement, des photographies de
ces fantômes.
5° Plusieurs témoins ont été successivement ou simultanément affectés par la
manifestation de l'être matérialisé.
6° Enfin des animaux et des hommes ont perçu collectivement l'apparition.
Tous ces faits sont inexplicables autrement que par l'action directe de l'être
désincarné. La télépathie entre vivants, ou la télépathie retardée ne s'appliquent
pas à ces phénomènes, qui sont des démonstrations directes de l'immortalité du moi.
1 Voir : Les Apparitions des vivants et des morts, vol. I, chap. V : Essai d'apparitions
volontaires, p. 199.
2 On appelle agent celui dont on voit le fantôme, et percipient celui qui éprouve la vision.
3 Voir les trois volumes de C. FLAMMARION : La Mort et son Mystère, récemment parus.
Il en résulte que les rapports entre les vivants et les morts sont des faits naturels
se produisant spontanément lorsque les circonstances physiques et intellectuelles le
permettent. Il n'existe là ni surnaturel, ni merveilleux, ni intervention miraculeuse ; c'est
seulement une action animique, du même genre que celle qui a lieu entre les vivants. Si
l'extériorisation du sujet prouve l'existence du périsprit pendant la vie - et les
photographies et les empreintes du double ne permettent pas d'en douter - les mêmes
faits obtenus après la mort de l'opérateur établissent avec la même force la persistance du
périsprit.
Voilà ce que l'observation nous fait toucher du doigt. N'oublions pas qu'elle est
faite par des savants difficiles sur le choix des témoignages, qui discutent les plus
petits incidents et qui n'admettent dans leur collection que les récits qui leur paraissent
absolument irréprochables. On conçoit alors que Durand (de Gros) ait pu écrire
encore à ce sujet 1 :
« Si l'existence distincte et indépendante d'une physique et d'une physiologie occultes, à côté de la
physique et de la physiologie que nous connaissons, peut s'inférer logiquement des scènes de la télépathie
active où les acteurs sont des vivants, c'est une démonstration matérielle péremptoire qui nous en est
fournie par les actes télépathiques que, en dépit de toutes les horripilations de la science et de toutes les
révoltes du préjugé philosophique, notre raison se voit contrainte et forcée d'attribuer aux morts. Car si
en l'autre cas on peut encore, en désespoir de cause, imaginer, pour se rendre compte du miracle
télépathique, je ne sais quelle propriété nouvelle de la cellule cérébrale de produire toutes les
fantasmagories de la télépathie sans l'aide d'aucun organe ou d'aucun véhicule apparents, c'est là une
branche de salut à laquelle notre rationalisme à l'eau cesse de pouvoir s'accrocher, quand ce cerveau,
qui pouvait à la rigueur sauver les apparences, n'est plus qu'une pulpe désorganisée et putréfiée, ou même
un peu de poussière dans un crâne vide de squelette. »
Je prends les dieux à témoin que les spirites ne disent pas autre chose depuis un demisiècle
et ce n'est pas un mince avantage que de se rencontrer avec un esprit aussi
scientifique que celui de Durand (de Gros), un des pères de l'hypnotisme et un savant
physiologiste de premier ordre. Je continue ma citation :
« Et justement il se rencontre que la Société de Recherches Psychiques de Londres, et la rédaction des
Annales Psychiques de Paris, avec le Professeur Ch. Richet en tête, ayant organisé une vaste
enquête sur les fantômes de personnes vivantes (Phantasms of the livings), les fantômes de cette classe,
les seuls scientifiquement admis tout d'abord, se sont montrés d'une rareté désolante2, tandis que, en
revanche, c'est par légion que les fantômes des morts sortaient de l'enquête. Et ce n'est pas tout, ces
fantômes de l'autre monde, qui sont sans cerveau, et, par conséquent, sans cellules cérébrales, se montrent par
une bizarrerie singulièrement paradoxale, en quelque sorte les plus vivants de tous, car ils sont au
moins les plus bruyants et les plus remuants et il en est pas mal qui ont à leur charge des faits comme ceux-ci
: bousculer des meubles, enfoncer des portes, briser de la vaisselle, casser des carreaux, frapper et blesser les
gens, au grand et bien naturel désespoir des locataires et des propriétaires3. »
On ne peut pas y échapper ; les faits, quand on les analyse minutieusement, nous
mettent en présence d'êtres posthumes qui ont un corps psychique, puisque celui-ci
agit sur la matière ; mais il fallait pouvoir examiner de plus près ces fantômes pour
en connaître la nature, car les apparitions naturelles sont trop fugitives, ou se
produisent dans des circonstances si émotionnantes pour les témoins qu'il est difficile
à ces derniers de conserver un sang-froid suffisant pour en noter avec soin toutes les
particularités.
1 DURAND (de Gros), Le Merveilleux scientifique, p. 61.
2 Il existe ici une petite exagération, car les fantômes des vivants sont aussi nombreux que
ceux des morts. Voir sur ce sujet les trois derniers volumes de G. FLAMMARION, La Mort et
son mystère.
3 Voir de Camille Flammarion : Les maisons hantées et d’Ernest Bozzano : Les phénomènes
de hantise.

APPARITIONS PROVOQUÉES
Les spirites ont été les premiers à organiser des séances expérimentales dans des
endroits déterminés, à des jours choisis et en s'entourant des précautions nécessaires
pour observer avec fruit les apparitions. Du jour où l'on sut que les médiums
pouvaient servir aux matérialisations, une vaste enquête s'organisa, et elle fut fructueuse
à plus d’un titre.
Il ne faudrait pas s'imaginer que les apparitions provoquées furent acceptées d'emblée
par les expérimentateurs. Même parmi les spirites, de furieuses polémiques s'engagèrent
entre les convaincus et les incrédules. Toutes les suppositions que l'on nous oppose
encore aujourd'hui furent émises était-il croyable qu'un esprit, c'est-à-dire un être
d'essence immatérielle, allait revêtir un grossier corps charnel ? Où l'aurait-il pris ?
Pourquoi se montrait-il avec des draperies et parfois, horreur ! avec une redingote ou un
chapeau à haute forme ? N'était-ce pas la preuve que les assistants étaient ou
hallucinés ou honteusement trompés par des imposteurs ? Ces objections, et bien
d'autres, n'arrêtèrent pas les chercheurs. Les précautions prises contre la fraude furent
innombrables. Tantôt le médium était ficelé sur sa chaise, celle-ci fixée au parquet et
les bouts de la corde étaient tenus en dehors du cabinet par un des assistants. Une
autre fois, on mettait le sujet dans un sac fermé soigneusement autour du cou par une
tresse, à laquelle on faisait des noeuds, et ceux-ci étaient cachetés. Ou bien on
enfermait le médium dans une cage et, malgré tout, les apparitions se jouaient des
entraves dans lesquelles on croyait les retenir. On alla même, avec Florence Cook,
jusqu'à clouer ses cheveux sur le parquet. A la fin, on s'aperçut qu'avec de vrais
médiums, toutes ces mesures étaient parfaitement inutiles ; les êtres qui se montraient
et disparaissaient devant les assistants, ou fondaient sous leurs yeux, ont assez de
pouvoir pour se jouer de nos précautions, car, bien souvent, ils sortirent le médium
de ses liens, sans qu'aucun noeud fût défait1, sans qu'il fût possible de se rendre compte
de leur manière d'opérer.
Ceux qui voudront prendre la peine de compulser les riches Annales du Spiritisme
pourront se convaincre que, sous d'autres noms, toutes les hypothèses et théories
actuelles ont été discutées par les premiers chercheurs. On eut d'abord recours à
l'imagination somnambulique du médium, en lui attribuant les créations temporaires qui
se montraient aux assistants. C'était une suggestion que le sujet faisait subir à ceux
qu'une longue attente et l'obscurité prédisposaient à ces hallucinations. Hartmann n'a
pas eu la primeur de cette invention. Il fallut modifier cette hypothèse quand il fut certain
que les fantômes étaient objectifs. Alors, on prétendit que tout se comprenait parfaitement
par une extériorisation du double et par ses transfigurations. Le médium puisait dans la
subconscience des assistants les types sur lesquels il modelait son corps fluidique, pour lui
donner les apparences d'un ou de plusieurs décédés connus de quelqu'un du cercle. C'est là
qu'en sont encore les savants modernes qui n'ont pas suffisamment étudié ; témoin M. le
Professeur Richet, qui dans son dernier livre : Traité de métapsychique, baptise le fantôme
du nom d'ectoplasme, lequel ne serait qu'un phénomène d'idéoplastie de la matière extériorisée
par le médium.
L'Esopsychisme,1'Idéoplastie, le Psycho-dynamisme, le Panpsychisme, etc.., ne sont que des
expressions diverses pour signifier la même chose. Malgré l'ingéniosité de cette acrobatie
intellectuelle, ces théories sont fort loin de suffire à l'explication de tous les cas. Il arrive que
l'apparition s'exprime ou écrit dans une langue inconnue du médium et des assistants, et voilà
l'ésopsychisme à l'eau. Dans d'autres circonstances, ce sont deux, trois, quatre fantômes qui
parlent et s'agitent en même temps, ou font un concert dans lequel chacun tient sa partie,
et l'on doit dire adieu à l'idéoplastie, à moins de la douer d'un pouvoir miraculeux. Enfin,
des identités certaines sont venues établir irrésistiblement l'indépendance de l'apparition,
comme cela a eu lieu dans les cas d'apparitions spontanées.
Que la science officielle n'avance qu'avec la plus extrême circonspection dans ces régions
encore si peu explorées, rien de plus juste ; il est de son devoir de ne rien aventurer et
1 Voir la Revue Métapsychique, novembre-décembre 1922 p. 362

d'épuiser les possibilités naturelles ou prétendues telles, avant d'admettre une cause si
imprévue. Mais ses représentants ont mauvaise grâce à se prononcer trop catégoriquement
avant d'avoir une expérience suffisante. Nous, spirites, qui les avons devancés de
beaucoup, nous avons le droit, en nous appuyant sur notre passé, de nous étonner de leur
morgue, de leur reprocher leur ignorance des résultats acquis antérieurement, de leur dire
que leurs interprétations sont erronées et qu'ils finiront par le reconnaître lorsqu'ils auront
expérimenté davantage. Je sais bien que le progrès ne se fait que par étapes, qu'il faut
beaucoup de temps pour que l'opinion publique s'accoutume aux nouveautés, aussi est-ce
sans impatience que j'attends la venue de nouveaux médiums, avec lesquels on pourra
continuer ces passionnantes découvertes. Puisque les phénomènes sont réels et qu'ils se sont
produits déjà un peu partout, il est certain qu'on les reverra, et ce jour-là nous
triompherons, car la vérité finit toujours par s'imposer.
C'est ce qui se produit actuellement, comme nous allons le voir dans un instant.
Pour en revenir à l'objet de la présente étude, on a pu constater par la photographie
des fantômes (celles de Crookes, Aksakof, Boutlerow, etc..), que ceux-ci ont des formes
réelles ; que pendant la matérialisation, ils possèdent tous les caractères des êtres
vivants comme taille, volume du corps, etc.. ; leurs membres, bras ou jambes, sont
identiques aux nôtres. Ils marchent, ils parlent, ils écrivent. Quand on leur prend la
main, celle-ci produit l'impression d'une main humaine ordinaire. Mais cela n'était pas
encore suffisant pour étudier les différences qui existent entre le médium et l'apparition.
Il fallait qu'on pût voir celle-ci assez souvent et dans d'assez bonnes conditions,
pour noter les particularités qui en font une individualité distincte de celle du
médium. Les expériences de Crookes - pour ne prendre qu'un exemple authentique -
répondent à ces exigences.
Je rappelle les propres paroles du célèbre savant, qui opérait, chez lui, toutes portes
closes1.
Avant de terminer cet article, je désire faire connaître quelques-unes des différences que j'ai observées
entre Mlle Cook et Katie. La taille de Katie est variable : chez moi, je l'ai vue plus grande de six pouces
que Mlle Cook. Hier soir, ayant les pieds nus et ne se tenant pas sur la pointe des pieds, elle avait quatre
pouces et demi de plus que Mlle Cook. Hier soir, Katie avait le cou découvert, la peau était
parfaitement douce au toucher et à la vue, tandis que Mlle Cook a au cou une cicatrice qui, dans des
circonstances semblables, se voit distinctement et est rude au toucher. Les oreilles de Katie ne sont pas percées,
tandis que Mlle Cook porte ordinairement des boucles d'oreilles. Le teint de Katie est très blanc, tandis que
celui de Mlle Cook est très brun. Les doigts de Katie sont beaucoup plus longs que ceux de Mlle Cook, et
son visage est aussi plus grand. Dans les façons et manières de s'exprimer, il y a aussi bien des différences
marquées.
Pour apprécier la valeur de ces différences, il est bon de se souvenir que dans les
centaines de cas de dédoublements de vivants qui ont été vérifiés, toujours et partout,
on a observé que l'être extériorisé est la reproduction absolue du corps physique de
l'agent. C'est une règle qui, à ma connaissance du moins, ne souffre pas d'exception.
Lorsque l'on obtient des empreintes ou des moulages d'un double de vivant, soit avec
Eglinton, soit avec Eusapia, c'est une copie anatomique du corps réel que montre le
moulage. Les moindres détails du membre fluidique sont visibles. Les saillies produites
par les muscles, les veines ou les os, les dessins épidermiques, tout vient comme si on
avait opéré in anima vili. Dès lors, scientifiquement, en raison des divergences
signalées, on n'est pas autorisé à voir dans le fantôme de Katie le double de Mlle Cook
et, jusqu'à preuve du contraire, je croirai que ce sont deux personnes distinctes.
Voici encore d'autres divergences. Pour la taille, Crookes a pu s'assurer, par un
procédé ingénieux, que ses appréciations antérieures étaient exactes, en opérant de la
manière suivante2 :
1 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, t. II, p. 493.
2 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, t, II, p. 496.

Une des photographies les plus intéressantes est celle où je suis debout à côté de Katie ; elle a son pied nu
sur un point particulier du plancher. J'habillai ensuite Mlle Cook comme Katie ; elle et moi nous nous
plaçâmes exactement dans la même position, et nous fûmes photographiés par les mêmes objectifs
placés absolument comme dans l'autre expérience et éclairés par la même lumière. Lorsque ces deux
dessins sont placés l'un sur l'autre, les deux photographies de moi-même coïncident parfaitement quant à
la taille, etc. ! Mais Katie est plus grande d'une demi-tête que Mlle Cook, et auprès d'elle elle semble
une grosse femme. Dans beaucoup d'épreuves, la largeur de son visage et la grosseur de son corps diffèrent
essentiellement de son médium, et les photographies font voir plusieurs autres points de dissemblance.
Mais la photographie est aussi impuissante à dépeindre la beauté parfaite du visage de Katie que les
mots le sont eux-mêmes à décrire le charme de ses manières. La photographie peut, il est vrai, donner un
dessin de sa pose ; mais comment pourrait-elle reproduire la pureté brillante de son teint, ou l'expression
sans cesse changeante de ses traits si mobiles, tantôt voilés de tristesse, quand elle racontait quelque
amer événement de sa vie passée, tantôt souriant avec toute l'innocence d'une jeune fille, lorsqu'elle avait
réuni mes enfants autour d'elle et les amusait en leur racontant des épisodes de ses aventures dans
l'Inde.
L'apparition affirme donc qu'elle a vécu autrefois, puisqu'elle est morte, en un mot,
qu'elle est un esprit. Pourquoi douter de sa parole ?
Bah ! Répondent certains sceptiques, tel que M. Flournoy, ne nous laissons pas prendre
aux apparences. Katie peut parfaitement n'être qu'un personnage subconscient de Mlle
Cook, un clivage de sa personnalité, un type idéal qu'elle crée et qu'elle extériorise en
transfigurant son double. Vraiment, en parlant des manifestations spirites, il semble
que les meilleurs critiques, révérence gardée, perdent la tramontane. Il faudrait
d'abord établir que la transfiguration est un phénomène résultant de la volonté du
médium, chose qui n'a jamais été prouvée. De ce que l'esprit est capable d'agir sur
la force psychique pour lui donner les apparences de la réalité, il n'en résulte pas du
tout qu'il soit à même de se modifier lui-même. Un sculpteur peut manier à sa guise la
terre glaise pour façonner des hommes ou des animaux, mais on ne pensera pas,
j'espère, que cette faculté lui permette de changer la forme de son propre nez. C'est donc
une objection injustifiable que celle qui voit dans le médium l'auteur, conscient ou
non, de l'apparition. Cette interprétation révèle son caractère fantaisiste lorsque l'on
examine la question plus à fond. Il faudrait doter le médium d'un pouvoir créateur
sans égal, d'une puissance de génération spontanée vraiment miraculeuse, pour
produire instantanément un individu qui diffère si profondément de lui-même au point
de vue physiologique. En voici des preuves, toujours empruntées à Crookes1.
J'ai si bien vu Katie récemment, lorsqu'elle était éclairée par la lumière électrique, qu'il m'est possible
d'ajouter quelques traits aux différences que dans un précédent article j'ai établies entre elle et son
médium. J'ai la certitude la plus absolue que Mlle Cook et Katie sont deux individualités distinctes,
du moins en ce qui concerne leurs corps. Plusieurs petites marques qui se trouvent sur le visage de Mlle
Cook font défaut sur celui de Katie. La chevelure de Mlle Cook est d'un brun si foncé qu'elle parait
presque noire ; une boucle de celle de Katie, qui est là sous mes yeux, et qu'elle m'avait permis de
couper au milieu de ses tresses luxuriantes, après l'avoir suivie de mes propres doigts jusque sur le haut
de sa tête et m'être assuré qu'elle y avait bien poussé, est d'un riche châtain doré2.
C'est déjà bien complet ; mais voici mieux encore :
Un soir, je comptais les pulsations de Katie ; son pouls battait régulièrement 75, tandis que celui de Mlle
Cook, peu d'instants après, atteignait 90, son chiffre habituel. En appuyant mon oreille sur la
poitrine de Katie, je pouvais entendre un coeur battre à l'intérieur et ses pulsations étaient encore
plus régulières que celles du coeur de Mlle Cook, lorsque, après la séance, elle me permettait la même
expérience. Eprouvés de la même manière, les poumons de Katie se montrèrent plus sains que ceux de
1 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, t. II, p. 497.
2 M. Ch.. RICHET a pu, lui aussi, couper et conserver des cheveux d'une apparition ; voir son
dernier livre, p. 649. Il en fut de même pour Mme Bisson ; lire les détails dans son ouvrage : Les
Phénomènes de matérialisations.

son médium, car au moment où je fis mon expérience, Mlle Cook suivait un traitement médical pour un gros
rhume.
Si invraisemblables que puissent paraître ces phénomènes, ils sont cependant réels, car
malgré sa répugnance instinctive, le professeur Richet, après avoir lui-même constaté
des phénomènes identiques, est contraint d'écrire cinquante ans après William
Crookes1 :
Les spirites m'ont durement reproché ce mot d'absurde, et ils n'ont pas pu comprendre que je ne me
résignais pas sans douleur à admettre la réalité de ces phénomènes. Mais, pour faire à un
physiologiste, un physicien, un chimiste, admettre qu'il sort du corps humain une forme qui a une
circulation, une chaleur propre et des muscles, qui exhale de l'acide carbonique, qui pèse, qui parle, qui
pense, il faut lui demander un effort intellectuel qui est vraiment très douloureux.
Oui, c'est absurde ; mais peu importe : c'est vrai.
Ainsi, pour en revenir à William Crookes, l'apparition possède un coeur et des poumons !
Ceux-ci ont un mécanisme physiologique qui diffère de celui de Mlle Cook et, sans
faire aucune supposition, on doit en déduire ce qui en découle naturellement : c'est
que ce sont deux organismes différents, puisque, au même moment, l'un est sain et
l'autre malade.
Je le demande en toute sincérité, où se trouve le véritable esprit scientifique ? Est-il
avec ceux qui forgent les hypothèses les plus fantastiques, ou avec ceux qui ne
dépassent jamais ce que l'observation la plus rigoureuse leur permet de constater ? Il
me semble que la réponse n'est pas douteuse. Il est mille fois plus invraisemblable
d'imaginer que Katie est une création de Mlle Cook que de croire qu'elle est ce qu'elle
dit elle-même, c'est-à-dire un esprit. J'ai constaté moi-même, en présence du
professeur Ch. Richet, que le fantôme de Bien-Boa exhalait de l'acide carbonique,
puisque, en soufflant dans un ballon contenant une solution de baryte, il s'est produit
sous nos yeux un précipité de carbonate de baryte.
S'il fallait encore d'autres preuves de l'indépendance du fantôme, on les trouverait dans
les conversations que Florence Cook entretenait avec Katie pendant les derniers temps
de sa médiumnité, et le jour de la dernière séance. A moins de soutenir des absurdités
évidentes : par exemple que l'on peut être en même temps conscient et inconscient et
simultanément dans son propre corps et dans un autre, avec des idées tout à fait
différentes et un caractère opposé au sien, la fin du rapport de Crookes démontre avec,
la plus puissante évidence que Katie était bien une individualité distincte du médium
et des assistants. Ecoutons le récit émouvant de la dernière entrevue de l'esprit et du
médium2.
Ayant terminé ses instructions, dit Crookes, Katie m'engagea à entrer dans le cabinet avec elle et me
permit d'y demeurer jusqu'à la fin. Après avoir fermé le rideau, elle causa avec moi pendant quelque
temps, puis elle traversa la chambre pour aller à Mlle Cook qui gisait inanimée sur le plancher. Se penchant sur
elle, Katie la toucha et lui dit : « Eveillez-vous, Florence, éveillez-vous ? Il faut que je vous quitte maintenant.
» Mlle Cook s'éveilla, et, tout en larmes, elle supplia Katie de rester quelque temps encore. « Ma chère,
je ne le puis pas ; ma mission est accomplie : que Dieu vous bénisse ! » répondit Katie, et elle continua à
parler à Mlle Cook. Pendant quelques minutes elles causèrent ensemble jusqu'à ce qu'enfin les larmes
de Mlle Cook l'empêchèrent de parler. Suivant les instructions de Katie, je m'élançai pour soutenir Mlle
Cook qui allait tomber sur le plancher et qui sanglotait convulsivement. Je regardai autour de moi,
mais Katie et sa robe blanche avaient disparu. Dès que Mlle Cook fut assez calmée, on apporta une
lumière et je la conduisis hors du cabinet.
N'oublions pas que c'est un membre de la Société Royale, un des plus grands savants
de notre époque, qui affirme ces choses. Si je l'ai cité tout de suite, c'est pour n'avoir
pas à batailler au préalable pour établir l'authenticité du témoignage. Mais on en
1 Charles RICHET, Traité de métapsychique, p. 690.
2 Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, t. II, p. 498.

possède bien d'autres qui sont, à leur manière, aussi démonstratifs. Le défaut d'espace
m'interdit de donner à cette étude tous les développements qu'elle comporte, mais je
renvoie le lecteur au tome II des Apparitions matérialisées des vivants et des morts, où
sont exposées et commentées les expériences si nombreuses qui ont eu lieu dans tous
les pays. Là, on pourra constater que les apparitions matérialisées d'esprits de défunts
sont des êtres autonomes qui ont un coeur, un cerveau, des poumons, des muscles, des
nerfs, une intelligence différente de ceux du médium et qui, bien qu'étant désincarnés,
possèdent encore un mécanisme physiologique terrestre.
C'est en cela que l'expérimentation spirite est si précieuse. Les apparitions spontanées,
comme je l'ai déjà dit, sont généralement fugitives et se produisent dans des
conditions trop émotionnantes pour que le témoin soit capable d'une observation
détaillée. Au contraire, dans les séances de matérialisation organisées avec un groupe
homogène et un bon médium, il est possible de bien voir l'apparition. On peut, comme
Crookes et Aksakoff, M. Ch. Richet et moi-même l'avons fait, photographier le même
fantôme avec lequel on vient de causer, qui vous a donné des preuves indiscutables
de sa présence réelle. Mieux encore, il se peut que l'on obtienne des moulages de mains,
de pieds, de visages tels que ceux obtenus par MM. Reimers, Oxley, Ashead, Ashton, le
professeur Denton, Epes Sargent et plus récemment, en 1921, à l'Institut Métapsychique
International, en observant les plus sévères mesures de contrôle.
Ces moulages établissent indiscutablement l'objectivité absolue, bien que temporaire, du
fantôme. Ce sont des preuves absolues, et il est intéressant de signaler que tout
récemment on a pu en obtenir à Paris.
Voici d'ailleurs quelques détails sur ces récentes expériences.

EXPÉRIENCES A L'INSTITUT MÉTAPSYCHIQUE INTERNATIONAL1

En 1920, eurent lieu à l'Institut Métapsychique International, avec M. Franek Kluski,
médium non professionnel et complètement désintéressé, une série d'expériences tout à
fait concluantes.
Parmi les différentes manifestations, il se produisit entre autres une matérialisation
parfaitement reconnue de la soeur défunte du comte J. Potocki.
Mais l'intérêt grandit encore lorsque l'on obtint des moulages de membres
matérialisés dans des conditions de contrôle qui excluent toute idée de fraude ou de
supercherie.
Les expériences avaient lieu sous le contrôle de MM. les professeurs Ch. Richet ; de
Grammont, membre de l'Académie des Sciences, et du Dr Geley.
Il y eut constamment de la lumière pendant toute la durée des séances et les mains du
médium étaient tenues sans discontinuité, à droite et à gauche, par des contrôleurs qui
s'assuraient continuellement de la position des jambes et des pieds.
Les moulages furent de nature variée. On obtint en outre : un moulage de pied d'enfant
admirable de netteté dans ses contours, allant jusqu'au sommet du torse ; un autre de
la région inférieure d'une face d'adulte dans laquelle on distingue la lèvre supérieure, la
lèvre inférieure, la fossette sous-jacente et le menton barbu ; il y a comme une verrue
sur la lèvre inférieure à gauche2.
Pour s'assurer que c'était bien avec sa propre paraffine que les moulages étaient
produits, à l'insu de tout le monde, le Dr Geley y avait fait dissoudre de la
cholestérine; en prenant un peu de cette paraffine préparée ainsi, empruntée à un moule,
et en la faisant dissoudre dans du chloroforme, si l'on y ajoute de l'acide sulfurique, il
se produit un précipité rouge que la paraffine ordinaire ne donne pas. Par surcroît de
1 Fondation de M. Jean Meyer, reconnue d'utilité publique, 89, avenue Niel, Paris.
2 Ce moulage est à rapprocher de ceux de Lilly et d'Akosa dont je donne les photographies dans mon livre
des Apparitions matérialisées, t. II, p. 269-271.

précaution, le Docteur avait encore coloré en bleu cette paraffine ; or voici ce qui se
produisit3 :
La teinture bleue, ayant été mise en excès et n'étant pas entièrement dissoute, formait dans le récipient, audessus
de la paraffine, des grumeaux disséminés çà et là. Or, dans le moule du pied, au niveau du troisième
orteil, on constate la présence d'un de ces grumeaux, incorporé dans la paraffine qui s'est solidifiée pardessus.
Il a la dimension d'une grosse tête d'épingle en verre et est bleu foncé. Le grumeau est
identique à ceux qui restent dans le récipient. Il a donc été entraîné par l'ectoplasme brassant la
paraffine et incorporé dans le moule.
Cette preuve, imprévue et non cherchée, est convaincante. Enfin, immédiatement après la séance, je
prélève de menus fragments sur les bords du moule du pied. Je les place dans un tube à essai et les fais
dissoudre dans le chloroforme. J'ajoute de l'acide sulfurique : la teinture rouge, caractéristique de la
présence de la cholestérine, se développe, augmente et se fonce peu à peu.
Une épreuve de comparaison faite avec de la paraffine pure est négative. Le liquide reste blanc ; la
teinte légèrement jaunâtre de l'acide sulfurique (jaunâtre par oxydation du liège fermant le
flacon) n'est en rien modifiée.
La preuve est donc absolue : les moules ont été faits avec notre paraffine et pendant la séance.
Nous pouvons l'affirmer catégoriquement en nous appuyant non seulement sur les modalités
expérimentales, les précautions prises et les témoignages de nos sens, mais aussi sur la présence de la
coloration bleue, identique dans les moules et le récipient, sur l'incorporation accidentelle d'un
grumeau de couleur bleue dans le moule du pied et enfin sur la réaction décelant la présence de la
cholestérine. La pesée est concordante.
On obtint encore deux moulages de mains dans la séance du 8 novembre 1920 (1re
séance), deux autres dans celle du 11 novembre (2e séance), un seul à celle du 15
novembre (5e séance), deux à celle du 27 décembre (10e séance), deux à celle du 31
décembre (11e et dernière séance).
Les moulages n'auraient pas pu être produits frauduleusement, soit en employant :
1° un gant de caoutchouc souple rempli d'air à cause des déformations qu'il
présenterait ;
2° Si le caoutchouc était dur, il ne pourrait pas sortir du gant de paraffine
sans le briser ou le déformer, ce qui n'a pas eu lieu.
3° Une main artificielle faite sur un membre humain avec une matière fusible tel
que du sucre, par exemple, aurait pu en fondant dans l'eau laisser un gant de
paraffine ; mais alors le poids total de l'eau de la paraffine aurait été supérieur au
poids originel et la supercherie eût été découverte.
Il est donc bien établi que la matérialisation a été obligée de se volatiliser pour
laisser intact le moule d'une partie d'elle-même.
D'ailleurs, voici le rapport d'experts, MM. Gabrielli (père et fils), qui prouve
jusqu'à évidence l'incontestable authenticité des moulages obtenus à l'Institut
métapsychique.
RAPPORT DE M. GABRIELLI
Je soussigné, Charles Gabrielli, mouleur expert, 6, rue de Cheroy, certifie avoir expertisé des moules
de paraffine remplis de plâtre qui m'avaient été confiés à cet effet par le Dr Geley, directeur de
l'Institut Métapsychique international.
(Ici description des moules.)
Après un examen rapide dans le laboratoire du Docteur Geley, nous avons emporté ces pièces dans notre
atelier pour une étude approfondie.
Nous avons été immédiatement frappés par les trois remarques suivantes :
1° L'opération de coulage du plâtre dans les moules de paraffine révèle des fautes de
technique qui prouvent objectivement, en dehors de toute autre considération, le manque de
3 Revue métapsychique internationale, n° 5, 1921, p. 226-271.

compétence de l'opérateur, en même temps que sa bonne foi. Par exemple, dans le document n°1, les
extrémités des doigts sont restées pleines d'air, ce que l'on voit nettement par transparence. Le plâtre
n'a donc pas pu atteindre ces extrémités. Cette défectuosité qu'un mouleur expérimenté eût très
facilement évitée, est la preuve formelle que le plâtre a bien été coulé dans les moules et que la pièce
n'est pas un moule de plâtre qui a été plongé dans de la paraffine fondue. Du reste, le plâtre n'a pas
rempli entièrement les moules de paraffine. Sur les parcelles des gants de paraffine qui débordent des plâtres,
on trouve l'impression des détails anatomiques dont nous parlerons plus loin.
Donc aucun doute possible sur la manière dont les documents soumis à notre examen ont été obtenus ;
ce sont bien des moules de paraffine qui ont été remplis de plâtre.
2° La seconde remarque que nous avons faite est celle de la minceur extrême de la couche de
paraffine constituant les moules. Les parois n'atteignent nulle part un millimètre. Elles ont la minceur
d'une feuille de papier. Cette minceur est telle qu'on voit à travers la couche de paraffine, sur le
plâtre sous-jacent, tous les détails anatomiques, plis de la peau, sillons, lignes, ongles.
3° La troisième remarque est celle de la finesse et de la vérité des détails anatomiques.
On sent positivement la vie en dessous de ces moules étranges et décevants. Ce sont, de toute
évidence, des mains vivantes qui ont servi à ces moulages.
Nous retrouvons non seulement les détails anatomiques, mais aussi des traces de contractions
musculaires explicables seulement par des mouvements volontaires. Il y a des froissements de
la peau qui ne laissent aucun doute à ce sujet.
Après ce premier examen, nous avons procédé au démoulage en nous servant d'un jet de vapeur
qui nous permit d'enlever la paraffine, écaille par écaille, sans altérer le plâtre sous-jacent.
Nous retrouvâmes sur les plâtres les détails perçus à travers la couche de paraffine.
De notre examen minutieux et prolongé, nous sommes à même de conclure :
Des moulages aussi parfaits, avec une telle finesse de détails, avec des indices de contractions
musculaires actives et les plis de la peau, n'ont pu être obtenus que sur une main vivante.
Ce sont des moulages de première opération, des originaux et non des surmoulages.
Nous avons alors recherché comment il serait possible d'obtenir, par les procédés les plus
divers, des moulages analogues à ceux que nous venions d'examiner.
Nous avons étudié spécialement les deux procédés indiqués par le Dr Geley, dans la Revue
Métapsychique, n° 5.
1° Le procédé du démoulage par section d'une partie des moules de paraffine et
raccord, après sortie de la main opérante, n'a sûrement pas été employé dans les pièces que
nous avons expertisées.
a) En effet, nous n'avons constaté ni traces de soudures, ni grattages, ni aucune des déformations
inévitables avec ce procédé. Il n'y a pas de raccords dans les gants que nous a soumis le
docteur Geley. Il y a çà et là des cassures ou des affaissements, par places, des gants, cassures
et affaissements explicables par la fragilité extrême de ces gants, mais il n'y a rien qui
ressemble à un raccord, qui puisse être confondu avec un raccord.
b) En tout état de cause, l'opération du démoulage d'une main vivante n'eût pas été réalisable
avec des gants aussi minces. Ces gants se seraient infailliblement brisés à la moindre tendance de
retrait.
C'est ce dont chacun peut s'assurer facilement.
La sortie d'une main vivante d'un moule de paraffine n'ayant qu'une épaisseur moindre d'un
millimètre est une impossibilité.
c) Même avec des moules épais, le démoulage d'une main vivante de certaines des pièces
que nous avons examinées, même après section à la base, eût été impossible ; c'était le cas des
pièces n° 1, 4, 5, 6.
2° L'autre procédé indiqué par le Dr Geley, dans la revue, consiste dans l'usage d'une
main fusible et soluble (sucre, gélatine ou autre).
Cette main serait plongée dans un bain de paraffine, puis dissoute dans un baquet d'eau
froide, ce qui permettrait d'obtenir un moule de paraffine complet, sans raccord, et aussi
mince qu'on le voudrait. Le procédé est fort ingénieux, mais, à notre avis, il n'a pas servi aux
documents qui nous ont été soumis par le motif déjà exposé plus haut :
Un surmoulage ne saurait offrir la même finesse de détails qu'un moulage de première opération. Des
traces délicates disparaissent inévitablement dans les surmoulages. Un artiste spécialiste ne
confondra jamais un moulage de première opération avec un surmoulage. A notre avis,
formel et sans réserve, les pièces que nous avons étudiées sont, nous le répétons, des moulages de
mains vivantes.

Nous nous sommes demandés si l'usage de mains de cadavres eût pu, à la rigueur, être
employé. Nous avons conclu par la négative. Les traces de contractions musculaires prouvent
qu'il s'agissait de mains vivantes. Du reste, il y aurait eu impossibilité à sortir des mains de cadavres
de moules tels que ceux-là, quel que fût l'artifice employé.
Nous avons fait de nombreuses tentatives pour produire artificiellement, par les moyens les plus
divers, des gants analogues à ceux qui nous avaient été soumis. Elles ont complètement échoué.
Nous concluons qu'il nous est impossible de comprendre comment les moules de paraffine du Dr Geley
ont été obtenus. C'est pour nous un mystère.
Signé : GABRIELLI (père),

GABRIELLI Victor (fils).
Voici donc des expériences récentes qui, après quarante-sept ans, confirment celle de
MM. Reimers, Oxley et Ashton.
D'autre part, M. Noguerra de Faria a fait paraître un livre intitulé : Otrabalho Dos
Mortos, dans lequel il rapporte les très nombreuses expériences de matérialisation
qui eurent lieu chez M. Euripèdes Prado, pharmacien à Belem do Para, Brésil. Le
médium était sa femme.
Ces séances eurent lieu sous le contrôle le plus minutieux ; souvent Mme Prado
était enfermée dans une cage et les esprits se matérialisaient au dehors.
Certaines expériences eurent lieu dans d'autres locaux avec le même succès chez les
membres du cercle, entre autres chez le compositeur Ettore Bosio les phénomènes s'y
produisaient avec la même intensité que chez M. Prado.
Le contrôle était exercé par des médecins, parmi lesquels on peut citer les noms des Dr' Lauro Sodré et
Joao Ceelho, ex-gouverneurs de Para ; de MM. José Teixéira de Matta Bacellar (Médecin
homéopathe), Antonio Porto de Oliveira (spécialiste des maladies nerveuses, aliéniste), D Ferreira
de Lemos (oculiste), J. Aben-Athar (directeur de l'institut Pasteur), R. Chaves (médecin légiste,
directeur du service anthropométrique), J. Pinheiro Sozinho, V. de Mendonça (spécialiste dans les
études de l'hypnotisme et du magnétisme, sénateur de l'Etat de Belem G. Gurjao, G. Vieira,
Auzier, Bentes, Pereira de Barros, Pontès de Carvalho, tous médecins; Manoèl Coimbra,, Directeur de
l'Ecole de Pharmacie. En outre, trois membres du « Tribunal supérieur de justice » de l'Etat ; deux
magistrats, plusieurs avocats, M. Kouma Rourigoutchy, ministre du Japon ; des ingénieurs, journalistes
; le réputé poète Eustachio de Azevedo, le compositeur illustre Ettore Bosio.
Ne pouvant m'étendre ici sur les détails des séances, je suis obligé de renvoyer le
lecteur aux comptes rendus qui en ont été publiés dans la Revue Métapsychique.1
Il me suffit de signaler que l'on obtint, à plusieurs reprises, des moulages dans la
paraffine de mains et de pieds provenant de l'esprit matérialisé de Joao et d'une jeune
fille, Rachel Figner.
Dans la séance du 28 septembre 1919, en présence de plusieurs personnes, dont deux médecins, formation
fluidique - dans l'obscurité ; l'entité Joao, par le moyen de la paraffine et de l'eau, donne un moule de
main aux doigts courbés et un rameau de roses de l'espèce dite angélique2. Le 17 avril 1920, 30 assistants.
Vérification du cabinet et de la cage. Demi-lumière. Nuée blanche d'où se dégage une face claire, puis
tout le corps d'une jeune fille, « entité Annita », dit le médium. Annita s'approche de M. Prado et lui
baise la main. Elle salue les autres personnes. Vêtue de blanc. Longs cheveux. Elle travaille aussitôt à la
paraffine et tend le bras, parfois, pour montrer la suite des opérations. Le moule sera parfait. Elle y
aura ajouté des fleurs modelées.
Elle s'agenouille enfin, chante un cantique...
1 Voir les n° 2, 1922, et 1, 1923, Revue Métapsychique internationale.
2 Reconnaissons, pour cette séance, comme pour toutes celles qui sont commentées ici, que les
témoins, attachant la plus grande importance au contrôle rigoureux des issues de la pièce où se
produisaient les phénomènes, se sont prémunis contre toute supercherie par une série de précautions
que l'auteur de O Trabalho dos Morios rappelle plusieurs fois dans son ouvrage.

Le 30 avril 1920, c'est une main d'enfant qui est moulée.
Le 14 juin 1920, en présence de M. Kouma Hourigoutchy, ministre du Japon au Brésil ; du Dr V. de
Mendoça ; et de quinze autres témoins. Demi-obscurité. Emploi du ventilateur pour aider au
refroidissement rapide des moules. Messages typtologiques invitant le Dr Mendoça à s'approcher de la
cage pour un sévère contrôle, en compagnie du ministre japonais. Apparition de l'Esprit Joao qui serre la
main du docteur médecin et celle de M. Kouma. A la vue de tous, il travaille à la paraffine, fait toucher à trois
personnes sa main peu à peu « gantée ». Le moule terminé, il le remet à un assistant, qui le donne à
Kouma. Un autre moule est produit. Départ de Joao que remplace Annita. Prière à genoux. Séjour d'un
quart d'heure. Pressions de mains. Retraite. Joao revient. Oraison. Puis l'entité remonte vers le médium et le
réconforte.
L'Institut Métapsychique International ayant ouvert une enquête au sujet de ces
séances, sept docteurs ont répondu en affirmant la réalité des phénomènes obtenus dans
le groupe Prado et chez le compositeur Bosio, où Mme Prado donna aussi quelques
séances.
Ces attestations sont accompagnées d'une lettre de M. Fried Figner qui eut la joie de
voir à plusieurs reprises sa fille Rachel parfaitement matérialisée et d'obtenir unexcellent
moulage de son pied dans la paraffine.
Maintenant, il n'est plus possible de nier que le corps fluidique objectivé ne soit
semblable de tous points, et même anatomiquement identique, au nôtre. C'est
positivement un être à trois dimensions dont la morphologie est terrestre. Ce n'est pas
un dédoublement du médium, parce qu'il en diffère physiquement et
intellectuellement. L'esprit qui est là, qui se forme sous les yeux des assistants, à la
Villa Carmen ou dans le laboratoire du Dr Gibier, quand il reparaît dans notre monde
objectif, reprend instantanément tous ses attributs terrestres. Ceux-ci ne se créent pas à
ce moment, ils préexistaient, mais à l'état latent, parce que les conditions de vie dans
l'au-delà ne sont pas les nôtres et qu'il n'existe pas pour l'âme des nécessités physiques
analogues à celles du milieu terrestre.
William Crookes n'a pas été seul à avoir le privilège d'ausculter des fantômes matérialisés.
Le Dr Hitchman, président de la Société d'Anthropologie de Liverpool, a été aussi
favorisé. Dans un cercle particulier, avec un médium non professionnel qui ne voulait
même pas que son nom fût prononcé, il put photographier les apparitions et les
soumettre à un examen médical approfondi. Dans une lettre adressée au savant
Aksakoff, il dit, après avoir décrit ses opérations photographiques :
Il m'arrivait souvent d'entrer dans le cabinet à la suite d'une forme matérialisée, et alors je la voyais en
même temps que le médium (M. B.). Par le fait, je crois avoir obtenu la certitude la plus scientifique
qu'il soit possible d'obtenir, que chacune de ces formes apparues était une individualité distincte de
l'enveloppe matérielle du médium, car je les ai examinées à l'aide de divers instruments ; j'ai constaté chez
elles l'existence de la respiration et de la circulation ;- j'ai mesuré leur taille, la circonférence du corps,
pris leur poids, etc..
Ces apparitions avaient l'air noble et gracieux au moral et au physique ; elles semblaient s'organiser
graduellement aux dépens d'une masse nébuleuse, alors qu'elles disparaissaient instantanément et
d'une manière absolue... Ayant eu souvent l'occasion (en présence de témoins compétents) de me tenir entre
le médium et « l'esprit matérialisé », de serrer la main à ce dernier et de lui causer pendant près d'une
heure, je ne me sens plus disposé à accepter des hypothèses fantaisistes, telles que les illusions de la vue
et de foule, la célébration inconsciente, la force psychique ou nerveuse et tout le reste ; la vérité, en ce qui
touche les questions de la matière et de l'esprit, ne pourra être acquise qu'à force de recherches.
Oui, sans aucun doute, mais d'ores et déjà nous possédons des documents en assez grand
nombre émanant d'hommes qualifiés, pour connaître, un peu mieux que les philosophes ou
les physiologistes, le principe intelligent de l'homme. Nous sommes scientifiquement
certains, maintenant, qu'il survit à la dissolution du corps matériel et qu'il emporte dans l'audelà
un corps spirituel approprié au nouveau milieu dans lequel il poursuit son évolution
ininterrompue.
Ce ne sont pas toujours des Esprits inconnus qui se montrent dans les séances. Parfois le
fantôme est un être cher que l'un des assistants reconnaît avec une joie indicible, et

alors s'évanouissent tous les sophismes de la critique. C'est M. Livermore, un banquier
américain, à l'esprit calculateur et froid, qui revoit sa chère compagne Estelle et qui en
obtient de l'écriture identique à celle qu'elle possédait de son vivant ; c'est le Dr Nichols, qui
embrasse sa fille et peut conserver un moulage de sa main, ainsi que des dessins et des
messages écrits par elle ; c'est une nièce, nommée Blanche, qui cause en français à sa tante chez
le Dr Gibier, alors que le médium ne connaît pas notre langue, etc..
Avec Eusapia, que l'on s'est trop habitué à considérer comme un simple médium à effets
physiques, l'illustre Lombroso a vu sa mère ; le grand publiciste italien Vassalo, son fils
Naldino ; le professeur Porro, sa fille Elsa ; le Dr Venzano, son père et une de ses parentes, sans
compter les apparitions reconnues par M. Bozzano, le prince Ruspoli, etc.., etc.. Ces derniers
témoins n'étaient guère disposés à se payer de vagues apparences, à prendre leurs désirs pour
des réalités. S'ils ont été convaincus, ce n'est qu'après avoir scruté minutieusement toutes
les circonstances et reconnu qu'aucune autre hypothèse n'était capable d'expliquer ces
splendides manifestations.
Le spiritisme n'a rien inventé. Tous ses enseignements reposent sur les connaissances
qu'il a acquises en communiquant avec les Esprits, et c'est pour ses adeptes une joie sans
égale de voir combien chacun des points de la doctrine se confirme à mesure que l'enquête,
commencée il y a un demi-siècle, s'étend davantage. Chaque pas en avant fait par
l'investigation indépendante conduit fatalement vers nous. Jadis, négation totale,
obstinée, absolue, des manifestations spirites sous toutes leurs formes : depuis les simples
mouvements de table et l'écriture automatique jusqu'aux apports et aux matérialisations.
De nos jours, il n'existe plus guère que des tardigrades, des ignorants, pour contester encore
la réalité des faits. L'immense majorité de ceux qui se sont occupés de cette question les
admet sans réserve quitte à discuter leur origine et leur nature. Puis une seconde
évolution a lieu ; parmi les savants, des hommes tels que Lodge, Myers, Hodgson, Hyslop,
etc.., arrivent, par les preuves intellectuelles obtenues au moyen de la transe ou de l'écriture,
à se convaincre qu'ils ont été indiscutablement en rapport avec quelques-uns de leurs amis
ou parents disparus, sans que la télépathie ou la clairvoyance puisse rendre compte de tous
les faits. Ce sont donc bien les pratiques du spiritisme ordinaire, banal même, qui
triomphent. Ensuite, les manifestations transcendantales ont lieu : des apparitions tangibles se
produisent, et alors nous voyons se produire des contrefaçons de la théorie du périsprit
sous les vocables les plus variés. Pour expliquer ces mains qui agissent à distance, M.
Ochorowicz parlera d'une main dynamique ou M. Ch. Richet d'un ectoplasme, M. Morselli d'un
psycho-dynamisme, etc.. Mais qui ne voit que ce ne sont que des mots, puisque le dédoublement
de l'être humain nous fait assister naturellement à l'extériorisation complète du
corps fluidique.
Que l'on pèse bien la valeur de tous ces témoignages, que l'on s'attache rigoureusement
aux faits eux-mêmes, et alors apparaîtra l'inanité de toutes les théories imaginées pour se
passer des Esprits dans l'explication. Les hypothèses psycho-dynamiques, bio-psychiques,
les créations ou transfigurations de personnalités secondes, sont si forcées, si artificielles,
si arbitraires, elles accumulent de telles impossibilités rationnelles, qu'elles paraîtront
absolument invraisemblables avant dix ans d'ici, comme la théorie de l'hallucination
collective de Hartmann, qui charmait la majorité des critiques superficiels, a sombré
devant les photographies, les empreintes et les moulages.
NÉCESSITÉ LOGIQUE DE L'EXISTENCE DU PÉRISPRIT
Sans doute, la vérité spirite causera une véritable révolution chez les spiritualistes purs qui
croyaient l'âme complètement immatérielle, aussi bien que chez les physiologistes qui s'étaient
habitués à compter sans elle. Mais le FAIT a une puissance invincible pour cette seule raison
qu'il existe, et tôt ou tard, malgré toutes les dénégations, il finit par s'imposer
souverainement ; c'est alors que s'ouvrent, devant les chercheurs, de nouveaux horizons.
Puisque l'esprit est capable, dans certaines conditions, de reconstituer son ancien corps
matériel, c'est qu'il possède indiscutablement en lui le statut dynamique qui préside à
l'organisation, à l'entretien et à la réparation du corps terrestre. De même, il faut admettre
que, puisque le périsprit persiste après la mort, c'est une démonstration qu'il préexistait à
la naissance, de sorte que celle-ci nous apparaît alors comme une matérialisation de longue
durée, tandis que les apparitions tangibles n'ont qu' une existence éphémère, parce qu'elles
ont été produites en dehors des procédés de la génération. Cette interprétation des faits
semble expliquer logiquement comment l'ordre et l'harmonie se maintiennent dans le formidable
enchevêtrement de phénomènes qui constitue un être vivant. Si réellement il existe dans
l'homme un second corps qui est le modèle indéfectible suivant lequel la matière charnelle
s'ordonne, on comprend que, malgré le tourbillon de matière qui passe en nous, le type
individuel se maintienne au milieu des incessantes mutations résultant de la
désagrégation et de la reconstitution de toutes les parties du corps, qui est semblable à une
maison dont, à chaque seconde, on changerait les pierres dans toutes ses parties. Le
périsprit. est le régulateur des fonctions, l'architecte qui veille au maintien de l'édifice, car
cette tâche ne peut guère dépendre des activités aveugles de la matière.
Si l'on songe à la diversité des organes dont est fait le corps humain, à celle des tissus
qui servent à construire les organes, au chiffre prodigieux de cellules (plusieurs trillions)
agrégées qui forment tous les tissus, au nombre colossal des molécules du protoplasma,
et enfin à celui presque infini des atomes qui constituent chaque molécule organique,
alors on se trouve en présence d'un véritable univers et si diversifié qu'il dépasse en
complexité tout ce que l'imagination peut concevoir. La merveille, c'est l'ordre qui
règne dans ces milliards d'actions enchevêtrées.
Les groupements successifs de phénomènes s'harmonisent dans des séries qui
aboutissent à l'unité totale.
Sans que nous en ayons aucunement conscience, a dit M. Bourdeau1 qui a été ici bien inspiré, en nous
s'opère un travail permanent de synthèse qui a pour effet de lier, dans le phénomène individuel de
la vie, une immense multitude d'éléments par des actions à la fois mécaniques, physiques,
chimiques, plastiques et fonctionnelles. La puissance accumulée dont chaque groupe est dépositaire,
et les résultantes de plus en plus complexes que leur union détermine donnent le vertige à l'esprit
qui plane un instant sur ces abîmes.
Chacune des cellules travaille pour son compte, aveuglément ; les forces du monde
extérieur sont elles-mêmes inconscientes ; qui donc alors discipline tous ces éléments pour
les conduire au but final, qui est l'entretien de la vie ? Il existe manifestement un plan
qui se maintient et il exige une force plastique directrice qui ne peut avoir pour cause
une suite d'accidents fortuits. Comment supposer une continuité d'efforts toujours
suivant la même direction, dans un ensemble dont les parties changent perpétuellement ?
Si, au milieu de ce tourbillon, quelque chose reste stable, il est logique de voir en lui
l'organisateur auquel la matière obéit ; or ce quelque chose, c'est le périsprit, puisque l'on
constate objectivement son existence pendant la vie et qu'il résiste à la mort ; lorsqu'on
le connaîtra mieux, des connaissances nouvelles, très précieuses, en résulteront pour la
physiologie et la médecine.
Ce que les anciens appelaient la vis medicatrix naturoe, c'est le mécanisme stable,
incorruptible, toujours en éveil, qui défend l'organisme contre les actions mécaniques,
physiques, chimiques, microbiennes qui l'assaillent sans relâche, et qui reconstitue
incessamment l'intégrité de l'être vivant quand elle est détruite. En un mot, le corps
n'est pas seulement un amas de cellules simplement juxtaposées ou accolées, c'est un
tout dont chaque partie a un rôle bien défini, mais subordonné à la place qu'elle occupe
dans le plan général. Le périsprit est la réalisation physique de cette « idée directrice »
que Claude Bernard signale comme la vraie caractéristique de la vie ; c'est aussi le
«dessin vital » que chacun de nous réalise et conserve pendant toute la durée de son
existence. Voici comment s'exprime, le grand physiologiste dans son Introduction à
l'étude de la médecine expérimentale et dans La science expérimentale : Définition de
la Vie :
1 BOURDEAU, Le Problème de la vie.

S'il fallait définir la vie, conclut Claude Bernard, je dirais : la vie, c'est la création... Ce qui caractérise la machine
vivante, ce n'est pas la nature de ses propriétés physico-chimiques, c'est la création de cette machine
d'après une idée définie...
Ce groupement se fait par suite des lois qui régissent les propriétés physico-chimiques de la matière ;
mais ce qui est essentiellement du domaine de la vie, ce qui n'appartient ni à la physique, ni à la
chimie, c'est l'idée directrice de cette évolution vitale.
Il y a, dit-il encore, comme un dessin vital qui trace le plan de chaque être, de chaque organe, en sorte que,
considéré isolément, chaque phénomène de l'organisme est tributaire des forces générales de la
nature ; pris dans leur succession et dans leur ensemble, ils paraissent révéler un lien spécial, ils semblent
dirigés par quelque condition invisible, dans la route qu'ils suivent, dans l'ordre qui les enchaîne.
Enfin, en termes encore plus exprès :
La vie est une idée ; c'est l'idée du résultat commun dans lequel sont associés et disciplinés tous les
éléments anatomiques, l'idée de l'harmonie qui résulte de leur concert, de l'ordre qui règne dans leur action.
Les milliards de vies individuelles des cellules sont régies par un organisme supérieur
qui les hiérarchise et leur impose leurs conditions d'existence ; c'est le périsprit qui
agit automatiquement pour produire ces effets, bien que nous n'ayons aucunement
conscience de son action incessante. A proprement parler, il constitue l'inconscient
physiologique, de même qu'il est la base physique de cette subconscience qui existe
en chacun de nous, pour la conservation des souvenirs, et qui est encore plus
complexe que ne l'imaginent les psychologues qui ne connaissent que la matière, car il
renferme en soi les résidus de nos vies passées, dont la résultante est ce phénomène
absolument individuel que l'on nomme le caractère.
On voit, par ce qui précède, que si l'âme emporte avec elle dans l'espace un organisme
aussi complexe que le périsprit, qui ne lui sert pas dans l'au-delà pour entretenir sa
vie, c'est qu'il est infiniment probable qu'elle doit revenir ici-bas, sans quoi le
mécanisme qui sert à l'entretien de la vie terrestre ne persisterait pas dans l'espace, car
c'est une loi de la nature que le défaut d'exercice atrophie les organes inutiles et les
fait disparaître à la longue.

OU ET COMMENT LE PÉRISPRIT A-T-IL PU ACQUÉRIR SES PROPRIÉTÉS FONCTIONNELLES ?

Mais où et comment ce merveilleux mécanisme a-t-il pu prendre naissance et se fixer
d'une manière indélébile dans l'enveloppe fluidique ? Ayant étudié ailleurs cette
question très complexe1, je ne puis donner ici que quelques indications sommaires et
nécessairement incomplètes. Voici les points principaux qui ressortent de l'observation des
faits et qui paraissent légitimer l'hypothèse du passage de l'âme humaine dans la série
des règnes inférieurs à l'humanité.
Une des plus magnifiques découvertes du XIXème siècle a été la démonstration de
l'unité de composition de tous les êtres vivants. Les plantes, comme les animaux ou les
hommes, sont formées par des cellules qui, par la diversité de leurs formes, de leurs
assemblages et de leurs propriétés, ont donné naissance, en se diversifiant, à l'innombrable
multitude des êtres qui peuplent l'air, l'eau et la terre. Les créatures les plus simples
peuvent vivre sous la forme de cellules isolées comme celles du sang, ou comme les
microbes ; mais chez toutes il existe une substance fondamentale : le protoplasma, qui
est la partie vraiment vivante. Tous les êtres, quels qu'ils soient, sont organisés, se
reproduisent, fabriquent avec des matériaux hétérogènes de la substance analogue à la
leur, en un mot se nourrissent et évoluent, c'est-à-dire naissent, croissent et meurent. Il
leur faut à tous de l'eau, de la chaleur, de l'air et un milieu nutritif. Tous sont
irritables, c'est-à-dire réagissent par un mouvement à une excitation extérieure. On
1 G. DELANNE L'Evolution animique.
peut affirmer qu'à tous les degrés de l'échelle vitale, les opérations de la respiration et
de la digestion sont au fond les mêmes ; ce qui varie, ce sont les instruments destinés
à produire ces résultats. La reproduction est également identique, tout être provenant
d'un autre être par un germe. Le sommeil est une nécessité qui s'impose à tous. On
reconnaît sous ces effets une unité générale d'action qui montre comment la variété a
pu surgir de l'uniformité originelle.
Il existe donc une indéniable identité dans les procédés vitaux de tous les organismes,
et alors l'idée d'une parenté universelle entre tous les êtres en résulte naturellement.
Puisqu'il n'y a pas de génération spontanée, tous les êtres, végétaux ou animaux, qui
existent aujourd'hui proviennent directement d'ancêtres qui les ont précédés, et cela
depuis les millions d'années qui se sont écoulées pendant les périodes géologiques. Les
recherches opérées dans les terrains anciens ont fait découvrir que les animaux et les
plantes sont de plus en plus simples à mesure que l'on remonte dans le passé.
Comment s'est produite cette évolution ? C'est ce que nous verrons plus loin.
Il est plus que probable que toutes les théories imaginées pour expliquer l'évolution
renferment chacune une part de vérité ; mais nous n'avons pas besoin de nous inféoder à
l'une plutôt qu'à l'autre. Il suffit de remarquer que tout être qui naît reproduit,
pendant la vie foetale, toutes les formes, plus simples, qui l'ont précédé chez ses ascendants.
L'homme lui-même, dans le sein maternel, n'est d'abord qu'une simple cellule qui,
fécondée, se diversifie et présente en raccourci un tableau de tous les organismes qui
devaient, au bout de millions d'années, aboutir au sien. L'embryon est un témoin
irrécusable de nos origines :
Nous voyons dans l'évolution de l'embryon, dit encore Claude Bernard, apparaître une simple ébauche
de l'être avant toute organisation. Les contours du corps et des organes d'abord sont simplement arrêtés,
en commençant par les échafaudages organiques provisoires qui serviront d'appareils fonctionnels et
temporaires du foetus. Aucun tissu n'est alors distinct. Toute la masse n'est alors constituée que par des
cellules plasmatiques et embryonnaires. Mais dans ce canevas vital est tracé le dessin idéal d'un organisme
encore invisible pour nous qui a assigné à chaque partie et à chaque élément sa place, sa structure et ses
propriétés. Là où doivent être des vaisseaux sanguins, des nerfs, des muscles, des os, etc., les cellules
embryonnaires se changent en globules de sang, en tissus artériel, veineux, musculaire, nerveux et osseux.
Puisque c'est le périsprit qui organise la matière, comme celle-ci ressuscite des formes
disparues, il semble logique d'en conclure qu'il renferme en lui des traces de ce passé, car
l'hérédité, nous le verrons plus loin, est impuissante à nous faire comprendre ce qui a
lieu; il paraît donc légitime de supposer que le périsprit a lui-même évolué à travers ces
stades inférieurs avant d'arriver au point le plus élevé de l'évolution.
Le principe intelligent aurait donc gravi lentement tous les échelons de l'immense série des
êtres avant de s'épanouir dans l'humanité. Les animaux présentent une gradation indéniable
dans les manifestations intellectuelles, depuis les plus rudimentaires jusqu'à l'homme, de sorte
que l'hypothèse de la réincarnation du même être s'élevant, par ses propres efforts, à un
degré toujours plus élevé, lui permettrait d'arriver jusqu'à nous sans discontinuité.
Mais ce que nous voyons réalisé sous nos yeux, c'est-à-dire la continuité des formes qui
se relient les unes aux autres comme les anneaux d'une chaîne gigantesque, a eu lieu
aussi dans le passé ; dès lors, on peut concevoir que le progrès est dû, non plus à des
causes exclusivement extérieures, mais, en même temps, à la psyché intelligente cherchant
à briser la gangue de la matière et faisant des efforts ininterrompus pour l'assouplir, en permettant
à ses facultés d'entrer en rapport de plus en plus intime avec la nature
extérieure. La création des sens, puis d'organes de plus en plus perfectionnés, serait donc les
résultats d'un effort intentionnel et non les produits d'heureux hasards, comme le veulent
les matérialistes.
La réincarnation animale n'est pas une simple hypothèse ; elle peut déjà s'appuyer sur
quelques faits que l'avenir multipliera considérablement. Alors on comprendra le rôle des
animaux ici-bas et à la théorie purement matérialiste d'une évolution physique se
substituera celle du principe intelligent passant par la filière des règnes inférieurs pour
arriver à l'homme et s'élever plus tard vers d'autres destinées, lorsqu'il sera libéré de toutes
les entraves terrestres.

Sans doute, il reste encore pas mal d'obscurités en ce qui concerne le comment de cette
évolution ; il faudra des études persévérantes pour justifier chacun des points de cette théorie,
mais telle quelle, elle offre à l'esprit un tableau rationnel de nos origines, et elle se concilie
aussi bien avec les découvertes scientifiques qu'avec ce que l'expérimentation spirite, encore
si peu développée, nous a déjà permis de constater d'une manière certaine.
On comprend maintenant la grandiose portée théorique et pratique des séances de
matérialisation, car elles prouvent d'abord l'immortalité de l'âme et ensuite par la connaissance
du périsprit, elles ouvrent devant nous des perspectives dont aujourd'hui nous ne pouvons encore
que soupçonner l'immensité.

CHAPITRE III
L’âme animale.
Exposé de l’unité des lois de la vie dans toute
l’échelle organique.
L’hypothèse du passage de l’âme dans la série animale est admise par Allan Kardec. – Les théories de
l’évolution. Kamarck-Darwin. – Quinton et de Vries. – Formation et développement graduel de
l’esprit. – Passage du principe intelligent dans la filière animale. – Il n’y a pas de différences absolues
entre l’âme animale et la nôtre.

NÉCESSITÉ DE L'INCARNATION TERRESTRE
En admettant que le principe spirituel de l'homme a pu passer par la filière animale pour
arriver progressivement jusqu'à l'humanité, je ne m'éloigne pas de la tradition spirite, car
Allan Kardec, dans son livre la Genèse, admet parfaitement cette possibilité et il la justifie
en démontrant que c'est une explication logique de l'existence des animaux et du rôle qu'ils
jouent ici-bas. Voici, en effet, comment il s'exprime :
En prenant l'humanité à son degré le plus infime de l'échelle intellectuelle, chez les sauvages les
plus arriérés, on se demande si c'est là le point de départ de l'âme humaine.
Selon l'opinion de quelques philosophes spiritualistes, le principe intelligent, distinct du principe
matériel, s'individualise, s'élabore, en passant par les divers degrés de l'animalité ; c'est là que l'âme
s'essaie à la vie et développe ses premières facultés par l'exercice ; ce serait, pour ainsi dire, son
temps d'incubation. Arrivée au degré de développement que comporte cet état, elle reçoit les facultés
spéciales qui constituent l'âme humaine. Il y aurait ainsi filiation spirituelle de l'animal à
l'homme, comme il y a filiation corporelle. Ce système, fondé sur la grande loi d'unité qui préside à
la création, répond, il faut en convenir, à la justice et à la bonté du créateur ; il donne une issue, un
but, une destinée aux animaux qui ne sont plus des êtres déshérités, mais qui trouvent dans l'avenir
qui leur est réservé, une compensation à leurs souffrances. Ce qui constitue l'homme spirituel, ce
n'est pas son origine, mais les attributs spéciaux dont il est doué à son entrée dans l'humanité,
attributs qui le transforment et en font un être distinct, comme le fruit savoureux est distinct de la
racine amère d'où il est sorti. Pour avoir passé par la filière de l'animalité, l'homme n'en serait pas
moins l'homme ; il ne serait pas plus animal que le fruit n'est racine, que le savant n'est l'informe
foetus par lequel il a débuté dans le monde1.
Certains philosophes spiritualistes, et même quelques spirites, ont supposé que l'âme ne
s'incarnait qu'une seule fois dans chacun des mondes qui parsèment l'infini. Cette manière
de concevoir l'évolution me paraît d'autant plus inexacte que les propriétés du périsprit ne
peuvent avoir été acquises que par une longue série d'incarnations terrestres, puisque le
périsprit organise son corps physique suivant les lois qui sont particulières à notre planète.
Les autres mondes habités de notre système solaire, par le seul fait qu'ils sont à des distances
différentes de l'astre central, ont nécessairement des conditions d'habitabilité qui sont
dissemblables des nôtres. Il est infiniment probable ; en effet, que les premières formes
organisées étant dépendantes des lois biologiques et physico-chimiques en action sur
chacun de ces mondes, ont été fatalement différentes sur ces planètes, puisque la
1 Allan KARDEC, La Genèse, p. 236.

pesanteur, la chaleur, la lumière, le potentiel électrique, les gaz composant
l'atmosphère, leur pression et les autres facteurs qui concourent à l'entretien et à
l'organisation de la vie ont été tout autres sur chacun de ces mondes.
A ces raisons, en quelque sorte d'ordre physico-physiologique, Allan Kardec ajoute
les suivantes, qui ne manquent pas non plus d'importance. Voici comment il
s'exprime :
Quelques personnes pensent que les différentes existences de l'âme s'accomplissent de monde en monde et
non sur un même globe où chaque esprit ne paraîtrait qu'une seule fois.
Cette doctrine serait admissible, si tous les habitants de la terre étaient exactement au même niveau
intellectuel et moral ; ils ne pourraient alors progresser qu'en allant dans un autre monde et leur
réincarnation sur la terre serait sans utilité; or, Dieu ne fait rien d'inutile. Dès l'instant qu'on y trouve tous
les degrés d'intelligence et de moralité, depuis la sauvagerie, qui côtoie l'animal, jusqu'à la civilisation
la plus avancée, elle offre un vaste champ au progrès ; on se demanderait pourquoi le sauvage serait
obligé d'aller chercher ailleurs le degré au-dessus de lui, quand il le trouve à côté de lui et ainsi, de proche
en proche, pourquoi l'homme avancé n'aurait pu faire ses premières étapes que, dans ces mondes
inférieurs, alors que les analogues de ces mondes sont autour de lui, qu'il y a différents degrés
d'avancement, non seulement de peuple à peuple, mais dans le même peuple et dans la même famille. S'il
en était ainsi, Dieu aurait fait quelque chose d'inutile en plaçant côte à côte l'ignorance et le savoir, la
barbarie et la civilisation, le bien et le mal, tandis que c'est précisément ce contact qui fait avancer les
retardataires.
Il n'y a donc pas plus de nécessité à ce que les hommes changent de monde à chaque étape, qu'il n'y
en a pour qu’un écolier change de collège à chaque classe ; loin que cela fût un avantage pour le
progrès, ce serait une entrave, car l'Esprit serait privé de l'exemple que lui offre la vue des degrés
supérieurs et de la possibilité de réparer ses torts dans le même milieu et à l'égard de ceux qu'il a offensés,
possibilité qui est pour lui le plus puissant moyen d'avancement moral. Après une courte cohabitation, les
Esprits se dispersent et, devenant étrangers les uns aux autres, les liens de famille et d'amitié, n'ayant pas
eu le temps de se consolider, seraient rompus.
A l'inconvénient moral se joindrait un inconvénient matériel. La nature des éléments, les lois
organiques, les conditions d'existence, varient selon les mondes ; sous ce rapport, il n'y en a pas
deux qui soient parfaitement identiques. Nos traités de physique, de chimie, d'anatomie, de médecine,
de botanique, etc..., ne serviraient à rien dans les autres mondes, et cependant ce que l'on y apprend n'est
pas perdu ; non seulement cela développe l'intelligence, mais les idées que l'on y puise aident à en
acquérir de nouvelles. Si l'esprit ne faisait qu'une seule apparition, souvent de courte durée, dans le même
monde, à chaque migration, il se trouverait dans des conditions toutes différentes ; il opérerait chaque
fois sur des éléments nouveaux avec des forces et selon des lois inconnues pour lui, avant d'avoir eu le
temps d'élaborer les éléments connus, de les étudier, de s'y exercer. Ce serait chaque fois un nouvel
apprentissage à faire, et ces changements incessants seraient un obstacle au progrès. L'esprit doit donc
rester sur le même monde, jusqu'à ce qu'il y ait acquis la somme de connaissances et le degré de
perfection que comporte ce monde.
Que les esprits quittent pour un monde plus avancé celui sur lequel ils ne peuvent plus rien acquérir, cela
doit être et cela est. S'il en est qui le quittent auparavant, c'est sans doute pour des causes individuelles que
Dieu pèse dans sa sagesse1.
Etudions donc à la lumière des découvertes scientifiques contemporaines la filiation
qui relie entre eux, non seulement les êtres vivants, mais tous ceux qui les ont
précédés sur la terre. On verra se développer alors le panorama grandiose de la vie
depuis ses origines jusqu'à l'époque actuelle.

L'ÉVOLUTION ANIMALE
La science nous démontre d'une manière certaine que l'évolution a fait sortir la
multiplicité de l'unité originelle. Les nébuleuses ont donné naissance aux soleils,
ceux-ci aux planètes. Les aspects de la matière se sont multipliés et la vie apparut
1 Allan KARDEC, La Genèse, p. 243 et suivantes.

sous des formes rudimentaires avant de s'épanouir dans la merveilleuse complexité des
êtres animaux et végétaux qui peuplent aujourd'hui non seulement la surface du globe,
mais les eaux, les airs et l'intérieur de la terre. On constate que les manifestations de
l'intelligence sont, d'une manière générale, corrélatives à la complexité des
organismes. Si curieuses que soient les habitations des fourmis, des abeilles ou des
castors ; si ingénieuses que se révèlent les dispositions de certains nids, toutes ces
constructions ne peuvent se comparer aux nôtres et la différence mesure précisément le
degré d'évolution qui nous en sépare.
L'animal ne connaît pas les outils ; ses membres lui servent uniquement pour exécuter tous
ses travaux ; la grande conquête de l'homme sera de fabriquer ceux qui lui font
défaut et d'augmenter artificiellement la portée de ses sens.
Dans cette immense et prodigieuse multiplicité des êtres vivants, on observe tous les
degrés ; les manifestations de l'intelligence se confondent presque dans les règnes
inférieurs avec des réactions purement physico-chimiques déterminant ces mouvements
mécaniques auxquels les physiologistes ont donné le nom de tropismes. Quand on s'élève
sur l'échelle des êtres, toute indécision disparaît. Un véritable psychisme se manifeste ;
non seulement les instincts se compliquent, mais l'intelligence se traduit par des actes
comparables aux nôtres, car l'éléphant, le chien ou le singe montrent qu'il n'existe pas
une différence de nature entre certaines de leurs actions et celles que nous
accomplissons à la suite d'une délibération raisonnée.
L'hypothèse de Descartes, que les animaux ne seraient que des automates réagissant
mécaniquement aux excitations du milieu extérieur ou intérieur, me paraît
insoutenable, à quelque point de vue que l'on se place. Si l'on admet, avec les matérialistes,
que l'intelligence est fonction du cerveau, comme il existe chez les vertébrés
supérieurs un système nerveux très compliqué, qu'il présente avec le nôtre une
analogie de composition, de disposition et de réaction, ce qui a lieu chez nous doit se
produire chez eux. Le cerveau d'un singe ou même d'un chien ne diffère du cerveau
humain que par une simplicité plus grande, mais la topographie est à peu près la
même, les neurones semblables ; dès lors, il faut logiquement admettre que les
manifestations extérieures que nous qualifions d'intelligentes, chez nous, doivent porter le
même nom si on les observe chez les animaux.
Ce n'est pas seulement l'anatomie et la physiologie qui nous démontrent l'identité de
composition et de fonctionnement vital des tissus animaux et humains. C'est maintenant
l'expérience.
En parlant comme l'aurait fait M. Le Dantec, on peut dire que de « la substance
chien » peut vivre dans « la substance homme » et s'y adapter parfaitement. Mieux
encore, et nous voici revenus à la notion de périsprit, c'est l'emplacement dans le
corps de l'animal qui donne aux tissus vivants leur spécificité. Une artère peut être
greffée dans un autre corps et y jouer le rôle d'une veine, ou réciproquement quand
elle remplace une partie malade de celle-ci. Il existe donc un plan organique, et la
matière vivante y obéit à ce point qu'elle change sa fonction si on lui impose de vivre
à un autre endroit que celui pour lequel elle a été organisée. Je n'invente rien. Les
expériences du chirurgien Carrel l'établissent péremptoirement. Voici ce qui a été
constaté :
Grâce à sa technique, le Dr Carrel, chose inouïe, arrive à rapiécer plusieurs centimètres détruits d'aorte
abdominale avec un morceau de péritoine. Et cela tient ! Et le morceau de péritoine se transforme
bientôt en une paroi vasculaire ! Quel avenir pour la cure radicale des anévrismes !
Au lieu du péritoine, on peut employer une veine, mettre par exemple un morceau de veine fémorale à la
place d'un fragment de carotide. Et la circulation se fait aussi bien ! Et la veine se transforme en
artère !
Une chienne de laboratoire du Dr Carrel porte, depuis deux ans, à la place d'une artère abdominale, un
morceau d'artère poplitée prise à un jeune homme dont on venait de couper la jambe, et cette artère
humaine fonctionne admirablement chez l'animal.
Chose inattendue, le Dr Carrel peut conserver plus de dix mois, dans des tubes spécialement disposés,
des fragments de vaisseaux, veines ou artères, et même d'autres tissus sans que la vitalité de ces derniers
s'en trouve atteinte. On les greffe et ils se soudent. Le cours du sang se rétablit dans leurs vaisseaux
demeurés vides si longtemps. Ainsi revivifiés, ils s'adaptent aussitôt aux fonctions nouvelles qu’on
leur impose...
Enfin, fait qui dépasse tout ce qu'on attendait et qu'on ne croirait pas si le professeur Pozzi ne l'avait
constaté lui-même, le Dr Carrel échange des membres. Il y a, dans son laboratoire, un chien blanc et un
chien noir de même taille, chacun d'eux porte la jambe droite de derrière de l'autre. Aucun d'eux n'a
l'air de s'en douter et la jambe noire du chien blanc et la jambe blanche du chien noir sont aussi solides,
aussi vigoureuses, aussi exemptes d'infériorités fonctionnelles que lorsqu'elles appartenaient encore à
leurs anciens propriétaires1...
On voit donc que mon assertion sur l'identité des tissus vivants humains et animaux est
sérieusement fondée, et que, puisque les vertébrés supérieurs ont un système
nerveux semblable comme composition et d'une disposition analogue au nôtre, il est
peu philosophique de leur refuser la faculté de penser, quand on admet que celleci
est attachée au fonctionnement de la cellule cervicale.
Nous, spirites, qui avons la preuve de l'existence indépendante du principe animique,
nous ne pouvons guère nous refuser à croire qu'il existe chez les animaux, car nous
avons, en dehors des raisons logiques qui nous portent à l'admettre, un certain
nombre de faits qui sont démonstratifs. Il a été possible de constater parfois, comme
nous le verrons plus loin, dans les séances de matérialisations, que des animaux
défunts ont reparu avec leur ancien corps physique, de même que le dédoublement
de certains autres a été observé quelquefois. Si ces faits sont réels, il en résulterait
qu'il existe au point de vue spirituel la même unité générale que celle que la
science nous a fait connaître pour les êtres vivants. Ceux-ci sont formés de cellules ; ils
proviennent toujours d'un être semblable à eux, ils se développent et meurent par les
mêmes procédés ; ils ont des exigences identiques pour entretenir leur vie. Depuis l'origine
des temps, les incalculables myriades d'êtres qui ont passé sur notre globe en s'engendrant
d'une façon ininterrompue ont changé d'une manière si prodigieuse, que lorsqu'on en découvre
des restes, ils semblent des créations apocalyptiques, bien que les organes et les fonctions
aient été partout les mêmes ; cependant, c'est leur succession qui nous a amenés au point où
nous en sommes, puisque la génération spontanée n'existe pas.
La science a formulé un certain nombre d'hypothèses pour expliquer la transformation des
êtres. Lamarck et Darwin ont imaginé des théories séduisantes, que celles de MM. Quinton et
De Vriès complètent jusqu'à un certain point. Mais la véritable cause de l'évolution doit
être cherchée, suivant moi, dans les efforts que le principe intelligent a faits pour se
dégager de plus en plus des langes de la matière. Lamarck a très bien montré la force de
l'influence des milieux pour modifier les organismes ; Darwin nous a fait comprendre
comment la lutte pour la vie amenait la survivance des plus aptes, de ceux qui savaient
le mieux s'adapter. Les variations spontanées ne font que mettre en relief le travail latent
accompli au sein des organismes, et la loi de constance du milieu organique, découverte par
M. Quinton, indique l'effort que les êtres vivants exécutent pour maintenir les conditions
essentielles du fonctionnement vital, malgré les changements du monde extérieur. Toutes ces
causes ont été adjuvantes pour dégrossir l'être spirituel, pour l'amener à faire jaillir les
virtualités qui dormaient en lui, afin qu'il devînt de plus en plus capable de prendre
connaissance de lui-même et de la nature.
De nos jours, il existe encore des représentants de toutes les mentalités possibles. Depuis les
plantes jusqu'à l'homme, en passant par tout le règne animal, c'est une série graduelle et
continue qui part de l'inconscience presque totale, jusqu'à la pleine lumière de la raison qui
éclaire les hommes supérieurs. Au lieu de ne voir dans cette grandiose hiérarchie que des
unités séparées dont chacune serait une étincelle éphémère, la théorie des vies successives
nous oblige à penser que tout être arrivé au sommet a passé par les phases inférieures et que son
développement n'est pas dû au caprice d'un créateur qui l'aurait privilégié, mais qu'il le doit
à son propre effort. Du coup, l'ordre, la justice, l'harmonie s'introduisent dans l'explication de la
nature ; l'évolution n'est plus une succession de hasards heureux, mais le développement d'un
plan logique pour amener le triomphe de l'esprit sur la matière.
1 Journal des Accoucheurs, 1er août, p. 8.

FORMATION ET DÉVELOPPEMENT GRADUEL DE L'ESPRIT
Bien que la nature intime du principe pensant nous soit encore inconnue, nous sommes
obligés d'en rechercher les origines chez tous les êtres vivants, si infimes qu'ils puissent
nous paraître. Sans doute l'individualité de ce principe n'est pas apparente dans les formes
inférieures, mais c'est une nécessité logique de voir dans toutes les manifestations vitales une
action de ce principe spirituel, même s'il est encore indifférencié chez les êtres qui sont au
bas de l'échelle organique, comme je le disais dans le mémoire présenté au Congrès
spirite de 1898.
Nous sommes donc contraints logiquement de chercher dans le règne végétal les débuts
de l'évolution animique, car la forme que les plantes prennent et conservent pendant la
durée de leur vie, implique la présence d'un double périsprital présidant aux échanges
et maintenait la fixité du type.
La nature, dit M. Vulpian1, n'a pas établi de ligne de démarcation bien nette entre le règne végétal et le
règne animal. Les animaux et les végétaux se continuent par une progression insensible, et c'est avec
raison qu'on les a réunis sous le nom commun de règne organique.
L'assimilation du rôle joué par le périsprit à un électro-aimant à pôles multiples2, dont
les lignes de force dessineraient non seulement la forme extérieure de l'individu, mais
aussi l'ensemble de tous les systèmes organiques, semble passer du domaine de
l'hypothèse dans celui de l'observation scientifique. D'après une communication faite à
l'Académie des sciences, le 12 mai 1898, M. Stanoiewitch a présenté à cette
assemblée des dessins pris, sur nature, qui montrent que les tissus sont formés suivant
des lignes de force nettement visibles.
L'un d'eux reproduit l'aspect d'une branche de sapin avec deux noeuds qui jouent le
même rôle et produisent les mêmes perturbations dans les parties où ils se trouvent
qu'un pôle électrique ou magnétique introduit dans un champ de même nature ; l'autre
démontre que la différenciation s'est produite suivant les lignes de force ; un troisième
représente la section d'une branche de chêne quelques centimètres au-dessus d'une
ramification. On y voit, jusqu'aux moindres détails, l'aspect d'un champ électromagnétique
formé par deux courants rectilignes, croisés, de même sens, et sensiblement
de même intensité.
Ces observations semblent établir l'existence d'un double fluidique végétal, analogue à celui
que l'on observe chez l'homme.
Il est, en effet, quelque chose chez les êtres vivants qui n'est pas explicable par les
lois physiques, chimiques ou mécaniques ; ce quelque chose, c'est la forme qu'ils affectent.
Et non seulement les lois naturelles n'expliquent pas les formes des individus, mais
toutes les observations nous incitent à penser que la force plastique qui édifie le plan
structural et le type fonctionnel de ces êtres ne peut résider dans cet ensemble mobile,
fluctuant, en perpétuelle instabilité, qu'est le corps physique.
Quoi qu'il en soit de la valeur de ces observations sur le début de l'être pensant, la série
animale va nous montrer le progrès continu de toutes les manifestations anémiques.
PASSAGE DU PRINCIPE INTELLIGENT DANS LA FILIÈRE ANIMALE
Parmi la multitude innombrable des organismes inférieurs, le principe animique n'existe
qu'à l'état impersonnel, diffus, car le système nerveux ne s'est pas encore différencié ; les
êtres sont sourds, aveugles, muets, ce sont les zoophytes ; « mais dès qu'il fait son
1 VULPIAN, Leçons sur le système nerveux, p. 39.
2 DELANNE, L'Evolution animique, p. 68.

apparition chez les annelés, il commence à spécifier les propriétés communes, et nous
voyons les différenciations se produire par la formation des organes sensoriels.
A mesure que le système nerveux acquiert plus d'importance, les manifestations
instinctives, qui étaient bornées à la recherche de la nourriture, se diversifient et
présentent une complexité toujours plus grande. Voici, d'après Leuret, comment se fait
cette progression :
1° On remarque chez les animaux qui semblent établir une transition avec la classe
inférieure, des instincts exclusivement bornés à la recherche de la nourriture (annélides :
sangsues) ;
2° Des sensations plus étendues et plus nombreuses, ardeur extrême pour la génération,
voracité, cruauté aveugle (crustacés : écrevisses) ;
3° Puis, sensations encore plus étendues, construction d'un domicile, voracité, ruse, astuce
(arachnides : araignées).
4° Enfin sensations très étendues, construction d'un domicile, vie de relation, sociabilité
(insectes fourmis, abeilles).
Chez les vertébrés, si nous prenons toujours, comme base le développement du système nerveux
et plus particulièrement du cerveau comme critérium de l'intelligence, on voit, d'après
Leuret, que l'encéphale, pris comme unité est au poids du corps :
1. Chez les poissons comme 1 est à. . . . 5668
2. Chez les reptiles comme 1 est à. . . . 1321
3. Chez les oiseaux comme 1 est à. . . . 212
4. Chez les mammifères comme 1 est à. . . . 186
Il y a donc progression continue de l'encéphale, en passant d’un embranchement à celui qui lui
est immédiatement supérieur ; mais à la condition que les pesées embrassent chaque groupe
pris en bloc, et non pas telle ou telle espèce prise séparément.
Car il est un fait aujourd'hui bien démontré, c'est que le progrès dans la série animale a lieu,
non pas en ligne droite et sur une seule ligne, mais en lignes inégales et parallèles.
On a dit que le cerveau de l'homme était à ce point développé, que nul être, pour les
dimensions et le poids de l'encéphale, ne peut être comparé à nous, même de loin. Cela
est vrai assurément ; mais cette différence n'est pas telle qu'elle suffise pour constituer un
nouveau règne. Le cerveau d'un singe ou d'un chien, ou d'un chat, représente, dans son
ensemble, à peu près la disposition générale du cerveau humain. L'anatomie comparée a
parfaitement démontré l'analogie des différentes parties. Sans entrer dans les détails, il
suffit de signaler que l'anatomiste qui a bien étudié le cerveau d'un singe connaît d'une
manière passablement exacte l'anatomie du cerveau de l'homme.
Les circonvolutions constituent dans l'appareil cérébral de l'être humain, dit M. Richet,
l'élément qui a pris le plus d'importance ; et c'est surtout par les circonvolutions que le
cerveau de l'homme diffère du cerveau des autres vertébrés. Cependant, sur l'encéphale du
chien, on distingue le plan primitif et comme l'ébauche des circonvolutions si profondes et si
compliquées de l'homme adulte. En passant de l'animal à l'homme, l'organe s'est
perfectionné, s'est agrandi, s'est diversifié, mais il est resté le même organe.
Nous ne serons donc pas étonnés de découvrir dans les vertébrés l'esquisse de ce qui sera plus
tard l'âme humaine. On ne doit pas s'attendre à constater chez les animaux une intelligence
ou des sentiments comparables en intensité à ce que l'on observe chez l'homme, mais ce qu'on
doit y trouver, si l'évolution animique est vraie, c'est le germe de toutes ces facultés.
C'est précisément ce que l'expérience confirme. Les recueils nombreux consacrés à
l'étude des facultés animales établissent que l'on remarque chez eux, au point de vue
intellectuel : l'attention, le jugement, la mémoire, l'imagination, l'abstraction, le
raisonnement ; un langage d'action et un langage de voix.
Les sentiments passionnels s'affirment par l'amour conjugal, l'amour maternel, parfois
l'amour du prochain, la sympathie, la haine, le désir de la vengeance, la sensibilité à
la moquerie. Les sentiments moraux, très peu développés, peuvent parfois s'observer
dans des manifestations du sentiment du juste et de l'injuste et par le remords. Enfin
les sentiments sociaux se constatent chez ceux qui vivent en troupe par des faits de
services mutuels, de solidarité et même de véritable fraternité.

Quand les animaux se battent, dit le religieux Agassiz, quand ils s'associent dans un but commun, quand ils
s'avertissent l'un l'autre du danger ; quand ils viennent au secours l'un de l'autre ; quand ils montrent de la
tristesse et de la joie, ils manifestent des mouvements de même nature que ceux que l'on met au nombre des
attributs moraux de l'homme. La gradation des facultés morales dans les animaux supérieurs et dans
l'homme est tellement imperceptible que, pour dénier aux animaux un certain sens de responsabilité et
de conscience, il faut exagérer outre mesure la différence qu'il y a entre eux et l'homme1 (1).
Le chapitre suivant nous montrera l'exactitude des appréciations du savant américain.
1 AGASSIZ, L'Espèce, p. 97.

CHAPITRE IV
L’intelligence animale.
Observations qui semblent favorables à l’hypothèse de l’évolution animique. – Les chevaux
d’Elberfeld. – Le chien Rolf. – La chienne Lola. – Zou.
Pour appuyer les assertions des naturalistes qui ont admis l'intelligence animale, des
expériences du plus haut intérêt ont été poursuivies depuis plusieurs années,
principalement en Allemagne, sur des chevaux et sur des chiens ; elles tendent à démontrer
que nos frères inférieurs ne sont pas aussi éloignés de nous intellectuellement
qu'on se l'imagine communément. Je vais résumer rapidement les observations publiées
au sujet des chevaux d'Elberfeld, des chiens Rolf et Lola.
LES CHEVAUX CALCULATEURS
En 1912, la presse parisienne mena grand tapage au sujet de la publication1 des
expériences faites par M. Krall, riche négociant d'Elberfeld, avec ses chevaux
Muhamed et Zarif. Ces intelligents quadrupèdes, au moyen d'un alphabet conventionnel,
pouvaient s'entretenir avec leur maître, faire des calculs compliqués, allant même jusqu'à
l'extraction des racines carrées et cubiques. On conçoit que de pareilles affirmations furent
accueillies par une incrédulité générale. Cependant plusieurs psychologues de grand renom
ayant étudié le cas de ces animaux remarquables, on s'aperçut qu'il y avait là réellement
un nouveau champ d'observation pour la psychologie animale, et de nombreux rapports furent
publiés dans les Annales des sciences psychiques des années 1912 et 1913, dans les Archives
de Psychologie de la Suisse romande et dans la Revue italienne Psyché. Je vais citer
librement des passages empruntés à ces différentes sources. Ils établiront la certitude des
remarquables facultés de ces animaux.
M. Krall ne fut pas le premier qui s'occupa d'étudier l'intelligence des chevaux ; l'honneur en
revient à un précurseur nommé Wilhelm Von Osten, qui dès 1890 crut remarquer chez le
cheval Hans, un étalon russe, des signes d'une intelligence qu'il résolut de cultiver. Avec une
patience inlassable, il s'attacha à se faire comprendre de Hans, qui devint capable, non
seulement de compter, c'est-à-dire de frapper sur un tremplin placé devant lui avec son pied
droit le chiffre des unités et avec son pied gauche celui des dizaines, mais encore d'effectuer
de véritables calculs, de résoudre de petits problèmes. Il apprit à lire et indiquait la date de
chaque jour de, la semaine courante, etc.
Le bruit fait autour de ces sensationnels résultats suscita de violentes polémiques. Une
commission fut nommée en 1904, composée de MM. Stumpf et Nagel, professeurs de
psychologie et de physiologie à l'Université de Berlin ; du directeur du jardin zoologique ;
d'un directeur de cirque ; de vétérinaires ; d'officiers de cavalerie. Le résultat de cette
enquête fut qu'il n'y avait ni trucs, ni supercheries, puisque le cheval calculait exactement,
même en l'absence de son propriétaire. C'est alors que M. Oskar Pfungst, élève du laboratoire de
psychologie de Berlin, après une étude attentive de Hans, crut pouvoir affirmer que le cheval
était amené à faire des réponses exactes par l'observation de mouvements inconscients de la tête
1 Pour la méthode d'éducation de Von Hosten, voir les Annales des Sciences psychiques, janvier
1913, p. 1.

ou des yeux de l'expérimentateur. Dès lors, la question de l'intelligence animale parut
enterrée et, en 1909, le précurseur Von Osten mourut désespéré.
Mais voici qu'un de ses admirateurs et élève, M. Krall, peu convaincu de la réalité des
explications de M. Pfungst et très versé dans l'étude de la psychologie animale, ayant
hérité de Hans, l'étudia méthodiquement et fit connaître les résultats de ses travaux dans un
gros volume qui attira de nouveau l'attention sur cette passionnante question. M. Krall
affirmait, en effet, que Hans est capable de travailler dans une obscurité complète et aussi
lorsqu'on lui met des oeillères qui l'empêchent de voir les assistants. Enfin, il répondait
exactement, contrairement à ce que disait M. Pfungst, lorsque les questions étaient posées au
cheval à plus de 4 m. 1/2 de distance derrière lui.
Il n'y avait donc plus de doute : Hans n'obéissait pas à des signaux visibles et les
réponses exactes étaient le produit de son psychisme propre.
M. Krall découvrit dans une série d'expériences que l'acuité visuelle du cheval est très
fine et très grande et qu'il n'est pas sujet aux illusions optiques que l'on essaye de
provoquer en lui. Finalement Hans comprit parfaitement la langue allemande et devint
capable d'exprimer des idées au moyen d'un alphabet conventionnel frappé avec son sabot1.
A la suite de ces recherches, Hans, vieux et fatigué, ne donnait plus que des résultats
incertains, ce qui décida M. Krall à se procurer deux étalons arabes, Muhamed et Zarif,
dont il entreprit l'éducation, laquelle ne tarda pas à donner les plus brillants résultats.
Treize jours, après la première leçon, Muhamed exécutait de petites additions et soustractions.
Chose remarquable M. Krall n'apprenait pas à ses chevaux comment nous
faisons ces opérations, mais seulement en quoi elles consistent.
Au mois de mai suivant, Muhamed comprenait le français et l'allemand et pouvait
extraire des racines carrées et cubiques, exécuter de petits calculs du genre de celui-ci.
(3 x 4) + v36 v36 x v64
3 4
D'autre part, Zarif apprit à épeler de son propre chef des mots qu'on prononçait devant lui et
qu'il n'avait jamais encore vus écrits. On conçoit que de pareils résultats suscitèrent un
étonnement général, car, ainsi que l'écrivait M. Claparède, c'était le plus grand événement
qui se fût jamais produit dans la psychologie générale. De toutes parts affluèrent des savants,
qui, d'abord incrédules, s'en retournèrent convaincus de la réalité des récits de M.
Krall. Parmi les hommes de science renommés qui ont émis leur jugement sur les chevaux
d'Elberfeld, je citerai d'abord Ernest Hoeckel, l'illustre Hoeckel, qui écrivit à M. Krall : « Vos
recherches soigneuses et critiques montrent d'une façon convaincante l'existence de la
raison de l'animal qui, pour moi, n'a jamais fait de doute. »
Le célèbre naturaliste voyait évidemment dans cette similitude entre l'animal et l'homme
une confirmation de ses théories matérialistes. C'est ensuite le Dr Edinger, l'éminent
neurologiste de Francfort ; ce sont les professeurs Dr H. Kraemer et Dr H. E. Ziégler, tous
deux de Stuttgart ; le Dr Paul Sarazin, de Bâle ; le professeur Ostwald, de Berlin ; le
professeur Dr A. Beredka, de l'Institut Pasteur de Paris ; le Dr Claparède, de l'Université de
Genève ; le professeur Scheeller ; le physicien professeur Gehrke, de Berlin ; le professeur
Goldstein, de Darmstadt ; le professeur Dr Von Buttel Reopen, d'Oldemburg ; le professeur Dr
William Mackenzie, de Gênes ; le professeur Dr R. Assagioli, rédacteur en chef de la revue
Psyché, de Florence ; le Dr Hartkopf, de Cologne ; le Dr Freudenberg, de Bruxelles, qui vinrent à
Elberfeld vérifier les facultés inattendues qui se révélaient chez les pensionnaires de M. Krall.
C'est enfin le Dr Ferrari, professeur de neurologie à l'Université de Bologne, qui, après avoir
publié dans la Revisla de Psychologia et les Annales des Sciences Psychiques un article
contraire à la thèse de M. Krall, se déclara ensuite convaincu de la réalité de l'intelligence des
chevaux après un examen plus mûr de la question.
Il ne faut pas moins que toutes ces affirmations pour nous faire accepter la réalité de
l'intelligence des chevaux, puisque toujours nous sommes portés à ne voir dans nos animaux
domestiques que de pures machines.
1 Pour les détails consulter le rapport du Dr Assagioli dans les Annales des Sciences
psychiques, n° 1, janvier 1913.

Cependant, comme le dit Alfred Russel Wallace, « les faits sont des choses opiniâtres», et il
faut bien nous incliner devant eux quand ils sont irréfutablement établis, ce qui est ici
le cas. Comment expliquer autrement, en effet, que par un travail propre de l'animal
des résultats comme ceux-ci ? Un jour M. Mackensie et les autres assistants
posèrent sur le tableau le problème suivant : 4v(1874161) : la réponse exacte 37 a été
donnée par Muhamed pendant que les assistants étaient tous dans la cour et
regardaient dans l'écurie à travers une petite ouverture. Une autre fois, le problème
fut posé par téléphone et sa solution, bien qu'ignorée de la personne qui l'inscrivit au
tableau, fut donnée exactement par l'intelligent quadrupède.
Mieux encore, des questions renfermées dans des enveloppes cachetées, dont tous les
assistants ignoraient les solutions, furent envoyées par le Dr Hartkopf de Cologne.
Muhamed répondit avec exactitude. D'autre part, M. Maeterlinck, dans son livre
L'Hôte inconnu, raconte que, s'étant rendu à Elberfeld, il posa à Muhamed et à Zarif
de petits problèmes dont il ignorait la solution, n'ayant pas regardé les chiffres qu'il
s'agissait d'additionner ; cependant, les réponses furent toujours exactes.
Il semble donc bien qu'il ne s'agit pas ici d'une transmission de pensée ou même
d'une action télépathique de qui que ce soit. Comme la question est de la plus haute
importance, je citerai encore le rapport du professeur G. Grabow contre l'hypothèse
de la transmission de pensée, comme explication de tous les cas. Il expérimentait avec
le cheval Hans. Le voici :
Je collais sur des cartes à jouer du papier blanc et mettais sur chacune des chiffres pour de petites
opérations, par exemple : 2+3 ; 4+2 ; 7-2 ; 12-5 ; 5 x 2, etc...
Comme nous avions convenu, M. Von Osten devait se placer dans le coin gauche de la cour, tandis que je me
plaçais dans le coin droit ; ensuite il devait m'envoyer Hans. Cela fut fait. Hans vint devant moi et je
lui dis : « Hans, je te montrerai une carte sur laquelle il y a un calcul à exécuter : va auprès du monsieur
en face, et, si tu donnes la réponse juste, tu auras du sucre. Veux-tu ? » Hans répondit
affirmativement en baissant la tête.
Je sortis les cartes de ma poche, je les mêlai de telle sorte que j'ignorais quelle était la carte du dessous et
la montrai à Hans. Je lui demandai : « As-tu compris ? » Il répondit encore « oui » de la tête. « Alors, va
auprès du monsieur en face et donne-lui la réponse. Hans alla devant M. Von Osten, qui lui demanda :
« Alors, quelle est la solution ? » Hans frappa du pied cinq fois. Quel est le premier chiffre ?
Réponse 2. Quel est le second chiffre ? Réponse 3.
C'est seulement alors que je regardai la carte du dessous du paquet. En effet, sur cette carte il y
avait 2+3, que Hans avait lus, compris, calculés correctement. Tout cela sans que personne eût pu l'aider
et même sans être aidé par une suggestion inconsciente qui, dans le cas, était impossible.
Quant à moi j'ignorais les chiffres et Von Osten n'aurait pas pu en prendre connaissance de l'autre
côté de la cour.
Cette expérience fut répétée de la même façon et Hans répondit à son maître 7.
Quel nombre est placé le premier ? Réponse : 12.
Hans avait donc compris le signe moins et avait résolu le problème 12 - 5 tout à fait correctement sans
aucune aide.

Docteur GRABOW,
Membre du Conseil supérieur
de l'Instruction publique de Prusse.
En voici encore deux autres exemples d'autant plus intéressants qu'ils témoignent
d'une véritable initiative intelligente 1:
M. Krall, parlant de son poney, raconte à Maeterlinck les deux anecdotes suivantes qui démontrent la
spontanéité de l'intelligence de ces remarquables solipèdes.
Un matin, par exemple, j'arrive à l'écurie et me dispose à lui donner sa leçon d'arithmétique ; à peine devant
le tremplin, il se met à frapper du pied. Je le laisse faire et je suis stupéfait d'entendre une phrase tout
entière, une phrase absolument humaine sortir, lettre par lettre, du sabot de la bête. « Albert a battu
1 MAETERLINCK, L'Hôte inconnu.

Haenschen », me dit-il, ce jour-là. Une autre fois, j'écris sous sa dictée : «Haenschen a mordu Kama ».
Comme un enfant qui revoit son père, il éprouvait le besoin de me mettre au courant des petits
événements de l'écurie ; il faisait l'humble et naïve chronique d'une humble vie sans aventures...
Voilà bien réellement un travail spontané de l'animal.
Dans une autre circonstance, Zarif épela de lui-même « moi fatigué » et au lieu de
résoudre un problème qu'on lui proposait, il donna le nom de M. Claparède en omettant
les voyelles suivant une habitude qui est familière à ces chevaux.
M. Krall acheta un beau cheval aveugle nommé Berto et lui enseigna le calcul par le
toucher, en désignant les chiffres avec un doigt posé sur la peau de l'animal. La
tentative réussit pleinement, dit M. Assagioli, car en très peu de temps Berto apprit à
frapper le nombre de coups correspondant aux chiffres dessinés sur sa peau. Il put donner
le résultat exact de plusieurs additions simples posées à haute voix comme 65 + 11 ; 65
+ 12, etc.. ; et quelques jours auparavant, il avait répondu correctement aux questions 9
- 4 ; 8-2 ; 3 x 3, et ainsi de suite.
Enfin un petit poney nommé Haenschen apprit aussi le calcul. Voici donc des chevaux
différents, comme race et comme âge, qui nous témoignent de leur intelligence en
répondant avec exactitude aux petits problèmes qui leur sont posés. Sans doute,
comme les humains d'ailleurs, ils ne sont pas tous les jours bien disposés ; il leur
arrive de commettre des erreurs et, chose bizarre, il semble que parfois la personnalité
de celui qui les examine influe sur leur mentalité ; autant avec certaines personnes ils
répondent vite et bien, autant ils montrent de répugnance et de mauvaise volonté visà-
vis de ceux qui ne leur plaisent pas.
Tous ces faits semblent donc bien établir que, contrairement à l'opinion généralement
adoptée, le cheval est réellement intelligent, qu'il raisonne et que par là il est plus
proche de l'humanité que l'on n'était tenté de le supposer en ne regardant que sa place
sur l'échelle zoologique.
Voici maintenant les cas d'un autre de nos animaux familiers qui se révèle encore plus
extraordinaire que les pensionnaires de M. Krall.
LE CHIEN ROLF
Les faits que nous allons relater sont empruntés en partie à une conférence donnée par
M. Duchâtel, membre de la Sociélé psychique de Paris 1 et à un travail de M. le Dr
Mackensie paru dans les Annales des Sciences psychiques2.
C'est par un article du Malin que M. Duchâtel fut informé des faits et gestes du chien
Rolf et il résolut de constater par lui-même la réalité de ces étranges récits. Il se
rendit donc chez Mme Moekel, femme d'un avocat qui habite Mannheim, et voici
quelques-unes des expériences qu'il institua. Disons tout de suite que Rolf, âgé de 3 ans,
était un terrier écossais Ayrdale, au poil roux, de soixante centimètres environ de
hauteur.
Pour débuter, M. Duchâtel posa au petit animal le problème suivant (96-10) /9.
Peu d'enfants de l'école primaire seraient capables de faire de tête ce petit calcul ;
cependant Rolf répondit immédiatement 9. Lui ayant demandé s'il y avait un reste,
il donna le nombre 5.
Il solutionna encore exactement ces deux questions : 10 + 3 = 13 ; 6 - 2 = 4.
Ici se présente une observation importante : le chien, intrigué par la présence d'un
étranger, demanda à Mme Moekel, au moyen de son alphabet conventionnel : « Qui
est ce Monsieur ? »
Mme Moekel lui ayant montré la signature de la lettre de M. Duchâtel, le chien
frappa « Duhadl », résultat vraiment extraordinaire.
1 Voir les Annales des sciences psychiques, numéro d'octobre 1913, p. 290 et suivantes.
2 Voir les Annales des sciences psychiques, numéro de janvier-février 1914, et les Archives
de la suisse Romande.

Il y a là une intervention spontanée de la part du chien, car on ne lui avait jamais
appris à poser cette question.
Voici les détails fournis par M. Duchâtel sur la manière dont s'exprime le petit favori de
Mme Moekel :
L'alphabet de Rolf se compose
1° De 24 signes frappés correspondant à 24 lettres (c'est la partie proprement alphabétique) ;
2° De 5 signes conventionnels correspondant à 5 mots qui sont : Ia (oui) 2 coups, Nein (non) 3 coups ;
Mude (fatigué) 4 coups, Gasse (rue, aller à la rue) 5 coups ; Bett (lit, aller au lit), 7 coups.
On remarquera que les 24 lettres sont empruntées aux 25 premiers chiffres et non pas aux 24 premiers
chiffres.
Est-ce parce que le chiffre 4 aurait fait double emploi avec le Oui répété deux fois ou avec le
signe du mot fatigué ?
Ou ne faut-il pas plutôt attribuer cette lacune dans le choix des signes à la manière tellement originale
que vous la trouverez peut-être invraisemblable, dont les lettres furent choisies, d'après le travail que
Mme Moekel a bien voulu me faire l'honneur de me confier sur la vie de Rolf.
Dans ce même travail réservé à la Tierseele (l'âme animale), une revue qui va prochainement
paraître à Bonn, nous lisons, en outre, que Rolf ne se sert jamais des lettres QX et V dur allemand
qui se prononce à peu près comme un F. .
Mais on peut ajouter que les simplifications de Messer Rolf ne s'arrêtent pas là. Partisan résolu,
semble-t-il, de l'orthographe phonétique, il supprime le plus de lettres possible ; le plus souvent les
voyelles disparaissent, surtout si elles sont faiblement prononcées ; et bien que la langue allemande
possède déjà une orthographe d'une grande simplicité, Rolf trouve le moyen de réduire de
moitié la longueur des mots.
Par exemple, le nom de sa patrie Mannheim, qui compte ordinairement 8 lettres, il l'écrit en 4 lettres :
Mann. Rolf est capable de distinguer et de nommer parfaitement tous les objets qui l'environnent,
aussi de se rendre compte de ce que représente un dessin. M. Duchâtel lui ayant montré la couverture
d'une revue illustrée apportée à l'instant par un fils de Mme Moekel, couverture représentant un vase
avec des fleurs, le chien répondit immédiatement : « Verre avec petites fleurs ».
Roll témoigna une grande affection à Mme Moekel parce qu'elle l'avait soigné à la suite
d'un grave accident qui lui était survenu. Aussi fait-il tous ses efforts pour la satisfaire.
Ne la quittant presque jamais, il assistait aux leçons données par Mme Moekel à sa plus
jeune fille. C'est alors que se révéla la chose la plus étonnante qu'on puisse imaginer
celle d'avoir compris les leçons de calcul sans que celui-ci lui eût jamais été
enseigné directement.
L'histoire est si remarquable que je crois devoir citer intégralement le témoignage de
Mme Moekel.
Un jour, à midi, j'étais assise auprès des enfants et je remplissais la fonction ingrate de les aider
dans leurs devoirs. Notre petite Frieda, si aimable et si vive, mais un peu étourdie, résistait
opiniâtrement à la solution du problème 122 x 2, lorsque, dans un moment de mauvaise humeur, je lui
administrai une légère correction. En ce moment le chien, couché sous la table de travail,
nous regardait avec de si grands yeux que je dis :
Frieda, regarde donc, il fait des yeux comme s'il savait cela. Rolf s'approcha, s'assit à côté de moi et
me regarda avec de grands yeux ; je lui dis
Rolf, que veux-tu donc ? Sais-tu ce que font 2 x 2 ?
Là-dessus à mon grand étonnement, il frappe 4 coups de patte sur mon bras. Notre aînée me proposa
aussitôt de demander au chien combien font 5 et 5. La réponse suivit promptement par 10
coups de patte. Le même soir, continuant nos épreuves, nous vîmes que l'animal résolvait sans faute
les problèmes simples d'addition, de soustraction, de multiplication.
Remarquons que pour apprendre l'alphabet de coups frappés, c'est encore ce
prodigieux animal qui indiqua le nombre de coups qui correspondait à chacune des
lettres. Voici comment Mme Moekel raconte cette éducation.
Que me donnes-tu pour A ? Aussitôt il répondit 4. Ensuite pour B, réponse 7, et ainsi de suite.

Je notai avec soin les nombres donnés par Rolf, et, le lendemain, je pus établir à mon grand
étonnement, que l'animal avait fixé ces nombres dans sa tête. Nous prîmes chaque jour environ 5
lettres, mais je crois que Rolf n'aurait pas eu besoin de ce ménagement et qu'il aurait en une seule
fois aussi bien retenu toutes les lettres. J'avais inséré les lettres X et V, mais Rolf ne les a jamais encore
employées.
Alors je fis réussir à Rolf des mots faciles, je lui dictai des lettres de l'alphabet que j'écrivais et lui
présentais quand le mot était complet.
Il comprenait très facilement et paraissait éprouver une grande joie de s'instruire.
Ici il est indéniable que nous sommes bien en présence de manifestations
intellectuelles du chien et, chose remarquable, il a choisi lui-même les nombres
correspondant aux lettres de l'alphabet, de même que, spontanément, il a su frapper
avec sa patte le nombre de coups nécessaires pour résoudre le problème 2 x 2. Il a
donc eu l'initiative de ce mode de réponse, et c'est là un fait qui dénote de sa part
plus de réflexion que l'on n'aurait pu en attendre d'un animal qui n'avait jamais été
instruit à se servir de sa patte pour exprimer ses idées.
Parfois Rolf fait preuve d'espièglerie. Comme on parlait devant lui de personnes qui lui
sont hostiles, il frappa immédiatement : « Ce sont des ânes ». On le réprimanda, en lui
disant que lui aussi est parfois un âne. Il répondit « non ». Alors, qu'es-tu donc? «
Lol à sa mère. » (Lol est le diminutif de Rolf.)
La mentalité de Rolf se manifeste par des associations d'idées qui lui sont bien
particulières. C'est ainsi qu'au cours d'une lecture le mot « automne » s'étant
présenté, on lui demanda ce que c'est que l'automne. Au lieu du mot « saison », que
l'on attendait, Rolf répondit : « Le temps où il y a des pommes ». C'est tout
simplement parce qu'à cette époque on a l'habitude de lui en faire manger de
cuites au four.
Autre remarque de Maître Roll : M. et Mme Moekel ont reçu l'annonce des fiançailles
d'un de leurs amis avec Miss Daisy Falham Chester. On cause en famille de cet
événement et Rolf intervenant frappe: « Docteur avoir demoiselle s'appeler comme notre
chatte ». Daisy est le nom de la chatte de la maison, et cette homonymie paraît
avoir égayé l'âme espiègle de M. Rolf.
A propos de cette chatte, il est utile de faire remarquer qu'elle aussi sait faire de petits
calculs. C'est pourquoi un jour que Rolf se sentait fatigué, au lieu de répondre à la
question posée, il frappa « Que Barbara prenne Lol et fasse venir Daisy ».
Après tous ces exemples, on peut donc dire avec le Dr Bérillon1 :
Les animaux dont le système nerveux présente avec celui de l'homme tant d'analogie, de structure et de
morphologie ne sont pas des automates, dénués de conscience, d'intelligence et de raisonnement, tels que de
bons esprits se plaisent à les représenter. Des efforts d'éducation et de dressage identiques à ceux que
l'on applique pour l'éducation de l'enfant amèneraient assurément à la longue des résultats inattendus.
C'est précisément ce qu'ont vérifié toutes les personnes qui ont l'amour des animaux
et la patience qui est nécessaire pour les éduquer ; c'est ce que nous constaterons
encore un peu plus loin.
Dans le rapport du Dr Mackensie on trouve le récit d'une petite scène touchante. « Mme
Moekel s'étant séparée de sa petite fille Frieda pour la mettre en pension, pleurait,
lorsque Rolf, sans y être invité, frappa : « Maman, ne pleure pas, cela fait mal à Lol ».
Rolf a une compagne, la chienne Jela, qui elle aussi connaît l'arithmétique, mais est moins
habile que son mari.
Nous avons vu que la chatte Daisy est capable de faire aussi quelques petites
opérations ; c'est ainsi que devant les Drs Mackensie et Wilser qui lui posaient les
problèmes suivants :
17 + 4 divisé par 7 - 1, elle répond : il reste 2.
3 x 3-5, elle répond : il reste 4.
1 Les Mémoires topographiques et la capacité calculative chez les animaux.

C'est décidément la meilleure démonstration de la faculté éducatrice de Mme Moekel.
Il ne faudrait pas croire cependant que ces animaux n'éprouvent aucune difficulté pour
exécuter ce travail mental ; la solution des problèmes les fatigue parfois énormément.
On est frappé, dit le Dr Mackensie, de l'effort mental très visible du chien, lequel se
traduit par des soupirs, des halètements ou des bâillements, et peut même produire des
hémorragies nasales après des séances longues et fatigantes.
C'est donc indiscutablement l'animal qui fait ces efforts intellectuels sans aucune
intervention étrangère.
Si intelligent que soit Rolf, il n'en reste pas moins un animal pour lequel les satisfactions
physiques priment toutes les autres, car à la question que lui pose le Dr Mackensie : «Dismoi
ce que tu aimes plus que tout ? » il répond sans hésitation : « Manger saumon fumé ».
Pour exclure absolument les hypothèses de signes inconscients que percevrait l'animal ou
d'une perception de pensée, le Dr Mackensie reprit en la variant un peu l'expérience du
Dr Grabow avec le cheval Hans. En raison de son importance, je cite textuellement
le rapport du Dr Mackensie1 :
Je décide donc la préparation de quatre petits cartons que j'ai apportés avec moi. Je prie Mme
Moekel de me dessiner à la plume un serin, ou un autre oiseau sur l'un des cartons, et d'écrire sur l'autre de
son écriture habituelle, pour le chien, le nom de la fillette Karla qu'il aime beaucoup.
En attendant, je dessine sur l'un des deux petits cartons qui restent une grande étoile et je la remplis
de couleur avec le crayon bleu, et, sur l'autre, 2 carrés contigus, l'un bleu, l'autre rouge, eux aussi
remplis de couleur.
Tant que dure cette préparation, Rolf demeure absent ; quand il revient, les cartons sont déjà enfermés
dans des enveloppes également apportées par moi. Alors je prie la petite Karla d'aller dans une autre
chambre mélanger de son mieux les enveloppes, de façon que je ne puisse plus en connaître le contenu
et de me les rapporter. C'est ce qui est fait.
Tous les assistants, moi compris, se retirent derrière Mme Moekel. J'exclus aussi après un examen
soigneux la possibilité de tout jeu de glaces.
Les cartons se trouvent tous avec leur partie dessinée du même côté, c'est-à-dire vers la face de leur
enveloppe respective. Je peux donc facilement en extraire un avec la certitude de ne pas voir le
dessin. J'exécute la manoeuvre derrière la tête de Mme Moekel ; puis je lève le carton, ignoré de
moi, au-dessus de sa tête et je lui tends du haut en bas, toujours avec le côté dessiné dirigé vers le chien
seulement.
Elle prend le carton comme je le lui tends ; elle le montre un moment au chien, l'incitant à dire ce qu'il
a vu, alors je le reprends toujours de la même manière et je le remets dans l'enveloppe, puis celle-ci
dans ma poche. Je conteste absolument que d'autres que le chien aient pu voir le dessin.
Celui-ci ne veut pas entendre parler de répondre. Il frappe avec instance 4 (fatigué), s'étend à terre
et veut s'en aller.
Mme Moekel, très inquiète sur l'issue de l'expérience, prie, supplie, puis menace Rolf.
A mon tour je l'incite et l'encourage autant que je le puis et je lui promets que s'il répond bien
je lui ferai voir plusieurs images que j'ai apportées pour lui. Ceci semble le décider, et enfin il
frappe sans la moindre hésitation : rot blau eck (carré rouge et bleu).
Le bonheur a donc voulu que ce fût une figure faite par moi qui sortît. Ainsi disparaît tout soupçon
possible sur la valeur de l'expérience, que l'on peut dire pleinement réussie.
Rolf sait parfaitement discerner ce qui le différencie de ses congénères de la race
canine. Le Dr Mackensie lui ayant montré une gravure représentant un chien basset,
Rolf répond chien. Alors le docteur lui dit : « En quoi diffère-t-il de toi ? »
Immédiatement Rolf répond : « Autres pattes ». Il était impossible de mieux préciser
la différence.
Il est donc tout à fait évident que c'est bien Rolf lui-même qui, sans aucune intervention
étrangère, a su reconnaître et décrire le dessin du Dr Mackensie, en même temps qu'il a
trouvé les mots exacts pour exprimer sa pensée. Voilà des phénomènes vraiment
intelligents qui montrent que la psyché animale est plus près de la nôtre que l'on
n'aurait pu le supposer.
1 Annales des sciences psychiques, février 1914, p. 41.

Une question intéressante est celle de savoir comment les animaux arrivent à se
comprendre entre eux sans posséder de langage articulé. Dans la correspondance
échangée entre Mme Moekel et le Dr Mackensie, voici ce que nous trouvons à ce sujet
Mme Moekel interrogeant Rolf lui dit :
« Comment t'entends-tu avec les autres chiens ? C'est-à-dire, comment te fais-tu comprendre d'eux et
comment te comprennent-ils ? » Rolf se tait.
« As-tu compris ma question ? R. Oui - Alors1 ? R. Bin We din aug sn glabn mid mund bellen welden, auch
sehen kla pen, mi mund », aboyer, remuer la queue, aussi voir les mouvements avec la bouche.
Le mot Aug pourrait signifier (oeil). La réponse serait dans ce cas beaucoup plus précise et complète.
Le jour où la science officielle voudra s'engager dans la voie ouverte par MM. Von Osten,
Krall et Mme Moekel, le voile qui couvre encore le processus du développement de
l'intelligence à travers la série animale se déchirera et nous finirons par comprendre
comment s'est opérée cette progression mentale, qui, des plus bas degrés de l'échelle
zoologique, est arrivée au magnifique développement que l'on observe chez les
représentants les plus illustres de la race humaine.
LOLA
Il semble bien que l'étude des facultés intellectuelles de nos animaux domestiques va se
poursuivre désormais un peu partout, et tout particulièrement au delà du Rhin, car
Mlle Kindermann a fait paraître en 1919 un livre2 dans lequel elle raconte comment
elle apprit à lire et à écrire à sa chienne Lola 3. Celle-ci est une fille de Rolf et paraît
aussi développée intellectuellement que son père. Elle apprit, en effet, très rapidement
à faire les quatre opérations et à résoudre de petits problèmes. Elle est également capable
d'énoncer ses pensées au moyen d'un alphabet conventionnel par coups frappés. Il me
paraît intéressant de signaler certaines particularités de Lola qui établissent que, si
parfois elle peut prendre connaissance télépathiquement (ce qui rapproche encore
l'animal de l'homme) des pensées de sa maîtresse, dans d'autres circonstances elle fait
preuve d'une volonté personnelle qui démontre l'autonomie de son intelligence. Chose
curieuse et qui serait vraiment inattendue, Lola prétend pouvoir découvrir par l'odorat
l'état d'âme de ses interlocuteurs. De fait, elle signale aisément chez ces derniers
l'anxiété, la tristesse, la fatigue. Bien plus, interrogée un jour par Mlle Kindermann sur
ses impressions du moment, elle ne donne que des réponses sans signification et
paraît visiblement embarrassée. Pressée de questions, elle répond assez indistinctement
« mentir ». Son interlocutrice la rassure :
Je ne me fâcherai point, lui dit-elle, ainsi donc je sens le mensonge ? - Oui. - A propos de quoi ? - Munich. Je me
rappelai tout à coup qu'une heure auparavant, j'avais raconté à la chienne que je me rendais à Munich
et qu'elle m'accompagnerait peut-être. Mais je pensais à part moi qu'il n'en serait rien, par suite de
l'incommodité de la chose, et je voulais, en réalité, laisser Lola à Stuttgart 4.
Ce dernier trait pourrait faire supposer qu'il s'agit non pas d'un exercice de l'odorat,
mais bien d'une lecture de pensée. Et naturellement cette interprétation, que la plupart
des critiques s'empressent un peu hâtivement d'appliquer à toutes les manifestations
d'intelligence animale, a fait l'objet des recherches avisées de Mlle Kindermann. Je ne
saurais mieux faire que de reproduire ici ses conclusions à ce sujet.
1 N'oublions pas que l'orthographe du chien est fantaisiste.
2 Lola ein Beitrag Zun don Ken und Sprechen der tiere. Contribution à l'étude de la pensée et du
langage des animaux, par Henry KINDERMANN, avec une note de M. Ziegler. (Edité chez
Richard Jordan, à Stutggart,.)
3 Les personnes désireuses de savoir comment elle s'y prit pourront consulter le numéro du
journal Psychica, de mars 1922, p. 10 et 12 ; l'article est signé par M. MAILLARD.
4 Op. cit., p. 42.

Un jour que la chienne, interrogée sur le nom d'une personne que l'on entendait arriver mais que l'on
n'avait pas encore aperçue, avait désigné non pas la véritable arrivante, mais bien une autre dame dont
Mlle Kindermann attendait la visite à ce moment, celle-ci lui demanda «Pourquoi m'as-tu répondu
inexactement ? Réponse : Tu penses. - Quoi, m'écriai-je, sens-tu ce que j'ai pensé ? - Oui. - Le sens-tu
toujours ? - Non. - Penses-tu toi-même ? - Oui ».
Ceci, continue l'auteur du livre présentement analysé, était tout à fait nouveau. Mais la chose me parut
certaine et mon point de vue confirmé par toutes les épreuves ultérieures peut s'exprimer ainsi : Le chien
est sensible à la transmission de pensée ; il est capable de subir son influence lorsqu'il est fatigué ou
paresseux ; il en est également susceptible, lorsqu'on lui demande quelque chose qu'il ne sait pas et
lorsqu'il peut puiser dans ma conscience quelque renseignement portant sur un élément déjà
antérieurement connu de lui. Mais, et c'est là le point capital, on ne peut rien transmettre au chien
de ce qui est totalement étranger à sa connaissance.
Ainsi il est arrivé souvent que le chien, interrogé sur une opération arithmétique, donnait une solution
contraire à la mienne, alors que. j'étais moi-même dans l'erreur ; donc l'idée que je pouvais avoir dans
ma conscience ne s'imposait pas à lui. Plus tard, au contraire, lorsqu'il était fatigué, il adoptait une
solution fausse, parce qu'il ne voulait pas penser par lui-même. Je voyais très distinctement dans ses
yeux lorsqu'il était inactif et attendait de deviner ma pensée. J'ai souvent essayé de lui faire entrer dans
la tête de cette manière quelque notion nouvelle ; ce fut toujours impossible.
Ces remarques sont très importantes ; la lecture de pensée, moyen commode
d'expliquer certains phénomènes embarrassants, ne saurait jouer un rôle constant et
universel, et il est intéressant de tâcher d'en préciser les limites. Il est d'ailleurs
manifeste, tant par l'exemple de la chienne Lola que par les renseignements en notre
possession à l'heure actuelle sur la psychologie animale, que les sujets observés
donnent des preuves non douteuses de spontanéité et d'autonomie, puisqu'ils se trouvent
même parfois en complète contradiction avec leurs interrogateurs.
Voici sur ce point quelques exemples cités par Mlle Kindermann :
Le 27 juillet 1916, elle demande à la chienne : Veux-tu dire quelque chose ? - Oui, moi manger. - Lola,
pourquoi toujours parler de manger ? J'entends continuellement cette même chose des valets et des
servantes et aussi de toi. N'y a-t-il donc rien d'autre à faire ? Parle-moi d'autre chose. - Moi à manger,
répète Lola ; puis ensuite elle ajoute Trop peu de nourriture ».
Le 18 mai 1916 on essaie d'apprendre à la chienne le contenu d'un message à envoyer au père de Mme
Kindermann. Celle-ci explique que la lettre doit commencer par le mot cher, qu'elle doit contenir des
remerciements pour le gâteau que Lola vient de recevoir et se terminer par ces mots : Salut à toi, de
Lola. Mais au lieu de se conformer à ses instructions, l'animal, sans hésitation aucune, et tout au
contraire frappant avec beaucoup d'entrain et de rapidité, s'exprime ainsi : « Cher, viens vers
nous, moi désobéissante à l'instant, souvent mal, j'embrasse ».
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que cette dictée a été interrompue par une observation
intempestive, parce qu'à la place des trois lettres una (commencement du mot allemand Unartig,
désobéissant), Mlle Kindermann s'attendait à voir dicter le mot und (et). Mais c'est en vain qu'elle voulut
faire remplacer l'a par un d. Le chien s'y refusa par un « non » bien frappé et continua sa dictée1.
De ces exemples on peut conclure sans témérité que l'animal est capable de penser par luimême
et n'a nullement besoin de puiser chez autrui les éléments de ses idées. L'homme
n'est plus le seul roseau pensant de la nature, et il ne diffère en réalité de certains êtres qui
l'entourent que par l'étendue plus considérable, mais non par la nature même de ses facultés de
raisonnement.

ZOU
1 Le mot « désobéissante » faisait allusion à une correction que venait de recevoir la chienne
pour être allée seule à la chasse, et l'expression « souvent mal » s'applique aux douleurs de la
tête et à la fatigue dont elle se plaint à maintes reprises dans ses communications.

Mme Borderieux, l'active directrice de la Revue Psychica, connue depuis longtemps pour sa
sollicitude envers les animaux, a entrepris récemment l'éducation de son chien Zou et a
obtenu déjà des résultats intéressants en ce qui concerne le calcul. On peut prévoir que
cet animal parisien suivra les traces de ses devanciers allemands. Les lecteurs désireux
de se tenir au courant de ses progrès pourront le faire dans la revue précitée qui publie
de temps à autre d'intéressants récits concernant l'éducation et les progrès de Zou.
CHAPITRE V

Les facultés supra-normales chez les animaux et leur principe individuel.

Analogies existant entre les facultés animales et humaines. – La télépathie. – Cas auditifs collectifs
semblant montrer l’existence d’un fantôme animal. – Pressentiment d’un chien. – Vision d’une forme
invisible par un chien. – Fantôme d’un chien vu par un chat. – Fantômes perçus collectivement par
des humains et des animaux. – Précédence de la vision animale sur celle de l’homme. – Fantôme
visible pour deux personnes et un chien. – Lieux hantés par des animaux. – le cas de Mme
d’Espérance. – Plusieurs exemples de visions d’animaux défunts. – Le cas de Mme Humphries. – Le
chien rieur. – Le cas de M. Tweedale, le fantôme du chien, est visible en plein jour pour plusieurs
personnes. – Les cas cités par Dassier. – Fantômes d’animaux dans les séances de matérialisations. –
Le Pithécanthrope dans les séances avec le médium Kluski. – Les Noevi. – Résumé.
L'analogie certaine qui existe entre les manifestations intellectuelles des animaux
supérieurs et celles de l'homme nous amène à nous demander si les facultés supranormales
que l'on constate chez nous ne pourraient pas exister à un degré quelconque
chez ceux que l'on a nommés à si juste titre nos frères inférieurs.
Il est évident que c'est une question qui ne peut être résolue que par l'observation. Or, sur
ce sujet, il existe déjà un certain nombre de récits qui ont été réunis par M. Bozzano, le
grand psychologue italien. Il les a publiés dans les Annales des Sciences psychiques d'août
1905. Malheureusement, je ne puis, à mon grand regret, en raison de l'exiguïté de mon cadre,
les reproduire intégralement ; je ne ferai donc que quelques emprunts qui paraissent
appuyer sérieusement l'hypothèse d'une transmission de pensée entre l'animal et
l'homme, avec initiative de la part du premier. Si ces observations se multiplient,
l'identité fondamentale du principe intelligent chez tous les animaux supérieurs sera
donc établie de manière à ne plus laisser aucun doute. Voici un premier exemple
très intéressant où il semble bien qu'il y ait eu non seulement une action psychique
exercée par l'animal, mais aussi une sorte de possession temporaire. Le phénomène
s'étant produit pendant le rêve, il y a lieu de faire quelques réserves au sujet de
l'interprétation des impressions ressenties par M. Rider Haggard comme étant dues
à une possession véritable. On pourrait y voir plus exactement une auto-suggestion
du rêveur lui donnant des impressions semblables à celles que produirait l'étouffement
par immersion. Quoi qu'il en soit, voici le récit qui a été authentiqué par la Société
anglaise des Recherches psychiques1 :
M. Rider Haggard raconte qu'il était couché tranquillement, vers une heure de la nuit du 10 juillet.
Mme Haggard, qui couchait dans la même chambre, entendit son mari gémir et émettre des sons
inarticulés, tels qu'une bête blessée. Inquiète, elle l'appela. M. Haggard entendit la voix comme dans
un rêve, mais ne parvint pas à se débarrasser tout de suite du cauchemar qui l'oppressait. Quand il se
réveilla complètement, il raconta à sa femme qu'il avait rêvé de Bob, le vieux chien braque de leur
fille aînée, et qu'il l'avait vu se débattre dans une lutte terrible comme s'il allait mourir.
Le rêve avait eu deux parties distinctes. Au sujet de la première, le romancier se souvient
seulement d'avoir éprouvé une sensation d'oppression comme s'il avait été sur le point de se noyer.
Entre l'instant qu'il entendit la voix de sa femme et celui qu'il reprit pleine connaissance, le rêve acquit
une forme plus précise. « Je voyais, dit M. Haggard, le bon vieux Bob étendu entre les roseaux d'un étang.
Il me semblait que ma personnalité même sortait mystérieusement du corps du chien qui soulevait sa
tête contre mon visage d'une manière bizarre ; Bob s'efforçait de me parler et, ne parvenant pas à se
1 Journal o/ the Society psychical Research. – Voir également la revue Luce e Ombra, octobre
1922 et suivants ; et la Revue psychique, d'août 1905.

faire comprendre par la voix, me transmettait d'une autre façon indéfinissable l'idée qu'il était en train
de mourir.
M. et Mme Haggard se rendormirent et le romancier ne fut plus troublé dans son sommeil. Le matin,
à déjeuner, il raconta à ses filles ce qu'il avait rêvé et rit avec elles de la peur que leur mère avait
éprouvée. Il attribuait le cauchemar à une mauvaise digestion. Quant à Bob, personne ne s'en préoccupa,
puisque le soir avant, il avait été vu avec les autres chiens de la villa et avait fait sa cour à sa
maîtresse comme d'habitude. Seulement lorsque l'heure du repas quotidien fut passée sans que Bob
se fît voir, Mlle Haggard commença à éprouver quelque inquiétude, et le romancier à soupçonner qu'il
s'agissait d'un rêve véridique. L'on procéda à des recherches actives qui durèrent quatre jours, au bout
desquels M. Haggard lui-même trouva le pauvre chien flottant sur l'eau d'un étang, à deux kilomètres de
la villa, le crâne fracassé et deux pattes brisées.
Un premier examen fait par le vétérinaire fit supposer que la malheureuse bête avait été prise à un
piège, mais l'on trouva ensuite des preuves indiscutables que le chien avait été écrasé par un train sur un
pont qui traversait l'étang et qu'il avait été projeté ensuite par le choc même parmi les plantes
aquatiques.
Le matin du 19 juillet, un cantonnier du chemin de fer avait trouvé sur le pont le collier ensanglanté
de Bob. Il ne restait donc aucun doute que le chien était mort dans la nuit du rêve. Par hasard cette
nuit-là, un peu avant minuit, était passé un train extraordinaire de plaisir qui avait dû être cause de
l'accident.
Toutes ces circonstances sont prouvées par le romancier au moyen d'une série de documents testimoniaux.
Selon le vétérinaire, la mort a dû être presque instantanée, elle aurait donc précédé de deux heures, ou
davantage, le rêve de M. Haggard 1.
En discutant ce fait, M. Bozzano fait remarquer que parmi les causes que l'on
pourrait invoquer pour expliquer ce rêve, l'action télépathique de l'animal est la plus
probable, puisque aucune personne humaine n'a vraisemblablement assisté à
l'événement.
La clairvoyance pure et simple par télesthésie exige elle-même une cause extérieure,
et celle de la pensée de l'animal est également la seule que l'on puisse invoquer dans
ce cas. Voyons d'autres exemples où cette action paraît également être en jeu. L'on
sait que parfois celui qui ressent une impression télépathique se sent poussé à se
déplacer. Il paraît probable que, dans le récit suivant, quelque chose de semblable
s'est produit. Le voici2 :
Je possède un chien de l'âge de cinq ans que j'ai élevé moi-même. J'ai toujours beaucoup aimé les
animaux, et surtout les chiens. Celui dont il s'agit me rend tellement mon affection que je ne puis aller nulle
part, même pas quitter ma chambre, sans qu'il me suive constamment. C'est un terrible chasseur de souris,
et comme l'arrière-cuisine est parfois fréquentée par ces rongeurs, j'y avais placé une couchette bien
commode pour Frido. Dans la même pièce se trouvait un fourneau dont faisait partie un four pour la
cuisson du pain, ainsi qu'une chaudière pour la lessive, munie d'un tuyau qui aboutissait à la cheminée.
Je ne manquais jamais, le soir, d'accompagner le chien à sa couchette, avant de me retirer. Je m'étais
déshabillé et j'allais me coucher, lorsque je fus saisi tout à coup d'une sensation inexplicable de danger
imminent. Je ne pouvais songer à autre chose qu'au feu et l'impression était si forte que je finis
par céder. Je me rhabillai, descendis et me décidai à visiter l'appartement, pièce par pièce, pour
m'assurer que tout était bien en ordre. Arrivé à l'arrière cuisine je ne vis pas Frido ; supposant qu'il
avait pu sortir de là pour se rendre à l'étage supérieur, je l'appelai, mais en vain. Je me rendis aussitôt
chez ma belle-soeur pour lui en demander des nouvelles, elle n'en savait rien. Je commençai à me
sentir inquiet. Je rentrai tout de suite dans l'arrière-cuisine et j'appelai à plusieurs reprises le
chien, mais toujours inutilement. Je ne savais à quel parti m'arrêter. Tout à coup, il me passa par la tête
que, s'il y avait une chose qui pouvait faire répondre le chien, c'était bien la phrase : « Allons nous
promener, Frido », phrase qui le mettait toujours en grande joie. C'est ce que je fis, et une plainte
suffoquée, comme affaiblie par la distance, parvint cette fois à mon oreille. Je recommençai et
j'entendis distinctement une plainte de chien en détresse. J'eus le temps de m'assurer que le bruit venait
1 Ce cas est à rapprocher de celui de M. Calthrop, qui trouve son cheval noyé après y avoir
rêvé pendant la nuit où se produisait l'accident.
2 Journal of the Society for Psychical Research.

de l'intérieur du tuyau qui fait communiquer la chaudière avec la cheminée. Je ne savais comment
m'y prendre pour en tirer le chien. Les instants étaient précieux, sa vie en danger. Je saisis une
pioche et je commençai à rompre la muraille à cet endroit. Je réussis enfin, avec bien des difficultés
à tirer Frido de là, à demi suffoqué, en proie à des efforts de vomissement, la langue et le corps
tout entiers noirs de suie. Si j'avais tardé quelques instants encore, mon petit favori serait mort, et
comme on ne se sert que très rarement de la chaudière je n'aurais probablement jamais connu quelle
fin il avait faite. Ma belle-soeur était accourue au bruit, nous découvrîmes ensemble un nid de souris
placé dans le fourneau, du côté du tuyau. Frido, évidemment, avait chassé une souris jusqu'à l'intérieur
du tuyau, de telle manière qu'il y avait été pris sans pouvoir se retourner pour en sortir.
Tout cela s'est passé il y a quelques mois, et a été alors publié par la presse locale. Mais je n'aurais jamais
pensé à le communiquer à cette société s'il n'était pas arrivé sur ces entrefaites le cas de M. Rider
Haggard.
Signé : Y. YOUNG.

Je répète qu'il existe beaucoup d'autres exemples de cette action télépathique que le
défaut d'espace ne me permet pas de reproduire, ce qui m'oblige à renvoyer le
lecteur au travail de M. Bozzano.
J'arrive maintenant à un cas où l'action télépathique a été ressentie par deux personnes en
même temps, ce qui exclut l'hypothèse d'une hallucination entre l'âme animale et l'âme
humaine, puisqu'il semble qu'ici nous ayons à faire à un double d'animal produisant un
bruit physique (cas auditif collectif).
Mégatherium est le nom de mon petit chien qui dort dans la chambre de ma fille. La nuit dernière, je me
réveille soudain en l'entendant sauter dans la chambre. Je connais fort bien sa manière de sautiller très
caractéristique. Mon mari ne tarda pas à se réveiller à son tour. Je le questionne en lui disant : « entendstu
? » il me répond : « C'est Meg ». Nous allumons aussitôt une bougie, nous regardons partout, mais
nous ne trouvons rien dans la chambre ; pourtant la porte est bien fermée. Alors l'idée me vint que
quelque malheur est arrivé à Meg ; j'ai le sentiment, qu'il est mort en ce moment même ; je regarde la
montre pour préciser l'heure et je pense que je dois descendre et aller immédiatement m'assurer de la
chose. Seulement, cela me paraît si absurde et il fait si froid ! Je demeure en instant indécise, et le
sommeil me regagne. Très peu du temps s'écoule, quand quelqu'un vient frapper à la porte c'était
ma fille qui, avec une grande anxiété, m'avertit « Maman, maman, Meg se meurt. » Nous
descendons l'escalier d'un bond et nous trouvons Meg renversé d'un côté, les jambes allongées et
rigides, comme s'il était mort. Mon mari le soulève de terre et s'assure que le chien est encore en vie,
mais il ne parvient pas immédiatement se rendre compte de ce qui s'est passé. On constate enfin que
Meg s'est enroulé on ne sait pas comment la courroie de son petit vêtement autour du cou, de telle
façon qu'il en a été presque étranglé. Nous le libérons immédiatement et, aussitôt que le chien peut
respirer, il ne tarde pas à se ranimer et à se rétablir. Dorénavant s'il m'arrivait d'éprouver des
sensations précises de cette sorte à l'égard de quelqu'un, je me propose d'accourir sans retard. Je puis
jurer avoir entendu le sautillement si caractéristique de Meg autour du lit, mon mari peut en dire autant.
Pour d'autres renseignements à ce sujet, je renvoie au journal local For Psychical Research.
On pourrait peut-être supposer que dans ce cas c'est l'anxiété éprouvée par Mlle
Beauchamps qui s'est transmise à la mère. Mais alors il est tout à fait improbable que
l'hallucination suggérée se soit traduite pour les deux percipients sous la forme de
bruits rappelant les sauts de Meg. Je crois qu'ici l'hypothèse d'un double animal est
la plus probable.
Une observation bien curieuse rapportée par le conteur Danois Andersen semble
établir qu'il peut exister des rapports sympathiques à grande distance entre l'homme
et l'animal, et que cette action est capable de se traduire sous la forme de pressentiments,
exactement comme cela a lieu entre humains. Je reproduis textuellement ce
curieux récit :
Le conteur danois Andersen avait un ami, un professeur nommé Linden, qui souffrait de consomption
pulmonaire. L'Administration lui accorda des subsides pour un voyage en Italie. Linden possédait un
chien nommé Amour, un caniche blanc qu'il aimait beaucoup et qu'il confia à Andersen pour la durée
de son absence. Andersen accepta cette charge et assura la subsistance du chien sans s'occuper
autrement de lui. Il rit de bon coeur, un jour que la femme de chambre lui dit : « Amour pressent ce qui

arrive à son maître. Il est gai ou triste selon que son maître va bien ou mal. - Comment cela? dit
Andersen. - Eh ! mais cela, se voit bien à sa manière d'être. Pourquoi accepte-t-il ou refuse-t-il sa
nourriture sans être malade ? Pourquoi laisse-t-il pendre sa tête plusieurs jours avant que vous ne
receviez une mauvaise nouvelle de M. Linden ? Le chien sait très exactement tout ce que son maître
fait en Italie et il le voit, car ses yeux ont quelquefois une singulière expression. »
A partir de ce moment, malgré son scepticisme, Andersen observa le chien. Une nuit, il sentit quelque
chose de froid à sa main et, ouvrant les yeux, il aperçut le chien devant son lit et lui léchant la main.
Il eut un frisson. Il caressa l'animal pour le tranquilliser, mais alors Amour poussa un hurlement
plaintif et se jeta par terre, tes quatre pattes étendues. A ce moment, raconta Andersen par la suite, je
suis très exactement que mon ami était mort. J'en fus si assuré que le lendemain je remplaçai mon
vêtement brun par un noir. Dans la mâtinée, je rencontrai une personne de connaissance qui ne demanda
les causes de ma tristesse. Je lui répondis : « Cette nuit, à 11 h.1/2 moins trois minutes, Olof Linden est
mort. » Comme je l'ai appris plus tard, c'était bien l'instant de sa mort.
Dans l'exemple ci-après, les témoins décrivent des mouvements d'objets sans contact qui
se produisaient dans une maison hantée, tandis que le chien semble avoir eu
connaissance du personnage intelligent, mais invisible, qui en était l'auteur.
UN CAS PROBABLE DE CLAIRVOYANCE1
A propos d’une maison hantée à Versailles.
Dans une lettre adressée au Dr Darieux, M. H. de V. s'exprime ainsi : « Au bout d'environ dix minutes,
comme la servante nous racontait ses déboires, un vieux fauteuil à roulettes, placé dans un coin à
gauche, se mit en mouvement, et, décrivant une ligne brisée, vint passer entre M. Sherwood et moi,
puis tourna sur lui-même à un mètre environ derrière nous, frappa deux ou trois fois le plancher de
ses pieds de derrière et revint en ligne droite à son coin.
Ceci se passait en plein jour et nous pûmes nous assurer qu'il n'y avait ni compérage ni truc d'aucun
genre. Le même fauteuil reprit sa course à trois reprises différentes, en prenant soin, chose étrange, de
ne heurter personne. En même temps des coups violents se faisaient entendre à l'autre coin de la pièce
voisine qui était ouverte toute grande et parfaitement déserte. L'ami qui nous avait conduit lança
son chien vers le coin de la salle ; l'animal revint en hurlant, évidemment en proie à une terreur
profonde. Il fut obligé de le prendre dans ses bras tant que nous restâmes dans la maison.
Voici un autre exemple où la clairvoyance d'un sensitif est confirmée par celle d'un
animal2.

Fantôme d'un chien vu par un chat.
M. Carrington rapporte le très curieux fait suivant : Un monsieur et deux dames se
promenaient dans la campagne, lorsque l'une des dames, qui est clairvoyante, déclara qu'elle
voyait un chien marcher devant eux. Elle le décrivit minutieusement aux deux autres personnes,
qui ne voyaient rien. Comme ils en parlaient, un chat sortit d'une maison voisine et s'approcha
très tranquillement jusqu'au point où la dame accusait la présence d'un chien. Arrivé là, il s'arrêta
brusquement, fit le gros dos, cracha et donna des coups de griffe dans la direction de l'animal
fantôme, puis se retourna subitement et regagna sa demeure à toute vitesse.

FANTOMES PERÇUS COLLECTIVEMENT PAR DES HUMAINS ET DES ANIMAUX
Les recueils d'observations psychiques renferment un assez grand nombre de récits dans
lesquels on constate ce fait du plus haut intérêt, que des apparitions ont été vues
simultanément par les personnes présentes et par des animaux. Si l'on suppose que la
1 Cas emprunté au Psychisché Studien de novembre 1905.
2 Psgchischd Studieu, revue, juillet 1908, page 04.
- 52 -
vision a été subjective, elle démontre que l'animal possède comme l'homme une
indiscutable faculté de clairvoyance. Dans le cas contraire, si l'on imagine que la
vision est objective, alors il faut en déduire que le fantôme était réel, puisque le
chien l'a perçu en même temps que les autres personnes.
Voici deux exemples où le fantôme a été vu en premier lieu par l'animal.
Il semble ressortir de ce récit que souvent le chien percevait par clairvoyance des êtres
qui étaient invisibles pour les personnes présentes, ce qui rapproche le cas de celui
que j'ai rapporté relatif à la maison hantée de Versailles.

VISIONS DE FANTOMES HUMAINS EN DEHORS DE TOUTE COÏNCIDENCE TÉLÉPATHIQUE ET PERÇUS COLLECTIVEMENT PAR DES HOMMES ET PAR DES ANIMAUX.
8 août 1892. - Vers l'année 1874, alors que je n'avais que 18 ans, je me trouvais dans la maison de mon
père, et, un matin d'été, je m'étais levée vers 5 heures, afin d'allumer le feu et préparer le thé. Un gros
chien de race bull terrier, qui avait l'habitude de m'accompagner partout, se trouvait à côté de moi,
tandis que je m'occupais du feu. A un certain moment, je l'entendis émettre un sourd grognement,
et je le vis regarder dans la direction de la porte. Je me tournai de ce côté et, à ma grande terreur,
j'aperçus une figure humaine haute et ténébreuse dont les yeux flamboyants se dirigeaient vers moi. Je
jetai un cri d'alarme et je tombai à la renverse sur le sol. Mon père et mes frères accoururent
immédiatement, croyant que des voleurs avaient pénétré dans la maison. Je leur racontai ce que j'avais
vu ; ils jugèrent que la vision n'avait eu d'autre source que mon imagination troublée à la suite d'une
maladie récente. Mais pourquoi alors le chien aurait-il perçu quelque chose lui aussi ? Le chien en question
voyait parfois des choses qui étaient invisibles pour moi il se lançait contre elles en faisant le
geste de mordre en l'air, il me regardait ensuite d'une certaine façon, comme s'il voulait me dire: N'as-tu
donc pas vu ? - Mr. H. F. S.1

VISUEL AVEC PRECEDENCE DE L'ANIMAL SUR L'HOMME.
C'était un soir d'hiver de l'année 18... ; je me trouvais dans ma chambre, assise au coin du feu,
entièrement absorbée à caresser ma petite chatte favorite, l'illustre Mme Catherine, qui n'est plus, hélas !
de ce monde. Elle était blottie sur mes genoux, dans une attitude presque rêveuse, les yeux fermés, comme
accroupie.
Quoiqu'il n'y eût pas de lumière dans la chambré, les reflets du feu éclairaient parfaitement tous les
objets. La pièce où nous nous trouvions avait deux portes, dont l'une donnait dans un appartement
provisoirement fermé. L'autre, placée vis-à-vis de la première, ouvrait sur le couloir.
Ma mère m'avait quittée depuis quelques minutes, et le fauteuil confortable et antique au dossier
très haut qu'elle occupait restait vide à l'autre coin de la cheminée. Ma petite chatte, la tête appuyée sur
mon bras, semblait de plus en plus somnolente, et je pensais à aller me coucher. Tout à coup, je
m'aperçus que quelque chose d'inattendu avait troublé la tranquillité de ma favorite. Elle avait
brusquement cesser de ronronner et donnait des signes évidents d'une inquiétude croissante. Je m'étais
courbée sur elle en m'efforçant de la calmer par mes caresses, quand, tout à coup, elle se leva sur ses
quatre pattes et commença à souffler fortement en faisant le gros dos et la queue grosse dans une
attitude de défi et de terreur.
Cette manière d'agir me fit lever la tête à mon tour, et j'aperçus avec frayeur une figure petite, laide,
ridée de vieille mégère, qui occupait le fauteuil de ma mère. Elle tenait les mains sur les genoux et
son corps incliné, de façon à porter sa tête auprès de la mienne. Les yeux, pénétrants, luisants,
mauvais, me fixaient immobiles ; il me semblait que c'était le diable qui me regardait par ses yeux.
1 Proceedings of the S. P. R., volume X, p. 327.

Les vêtements et l'ensemble de son aspect étaient ceux d'une femme de la bourgeoisie française,
mais je ne me souciais pas de cela, car ses yeux aux prunelles si étrangement dilatées et d'une expression
si méchante absorbaient complètement mes sens. J'aurais voulu crier de toute la force de mes
poumons, mais ses yeux maléfiques me fascinaient et m'ôtaient la respiration. Je ne pouvais pas en
détourner le regard et encore moins me lever. En attendant, je tâchai de maintenir fortement la chatte,
mais celle-ci paraissait ne pas vouloir rester dans cet horrible voisinage. Après quelques efforts
désespérés, elle parvint à se libérer, et en sautant sur les chaises, les tables, tout ce qu'elle trouvait
devant elle, elle s'élança à plusieurs reprises et avec une violence extrême contre les châssis supérieurs
de la porte qui donnait dans l'appartement fermé. Ensuite, en se tournant vers l'autre porte, elle
recommença à se lancer contre elle avec une rage redoublée. Ma terreur s'était ainsi augmentée ; tantôt
je regardais cette mégère dont les yeux maléfiques continuaient à se fixer sur toi ; tantôt je suivais des
yeux ma chatte qui devenait de plus en plus frénétique. A la fin, l'idée épouvantable que l'animal était
peut-être devenu enragé eut pour effet de me rendre la respiration et je commençai à crier de toutes
mes forces.
Maman accourut en toute hâte. Aussitôt qu'elle eut ouvert la porte, la chatte sauta littéralement sur
sa tête et pendant une bonne demi-heure, elle continua à courir du haut en bas de l'escalier comme
si quelqu'un la poursuivait. Je me retournai pour montrer à ma mère la cause de mon épouvante. Tout
avait disparu.
En de pareilles circonstances, il est bien difficile d'apprécier la durée du temps ; toutefois, j'estime que
l'apparition a persisté pendant quatre ou cinq minutes.
On apprit ensuite que cette maison avait jadis appartenu à une femme qui s'était pendue dans cette
chambre même.
Signé : Miss X.
Le général K..........frère de la percipiente, confirmé le récit ci-dessus1.
L'impression produite sur la chatte a été si profonde que pendant une demi-heure elle
resta affolée ; en ce cas, il est plus probable que l'apparition fût réelle.
Voyons un dernier récit : le fantôme qui se manifeste à deux personnes est visible
également pour un chien2 .
L'APPARITION DE PALLADIA
Visuel, auditif, collectif
(Palladia était une jeune fille morte à l'âge de 15 ans qui apparut à différentes reprises et à
plusieurs personnes.)
En 1855, je demeurais chez mes parents, dans une campagne du gouvernement de Poltava. Une dame
de notre connaissance était venue passer chez nous quelques jours avec ses deux filles. Quelque
temps après leur arrivée, m'étant réveillé à l'aube, je vis Palladia. Je dormais dans une aile
séparée où j'étais tout seul. Elle se tenait devant moi, à cinq pas à peu près et me regardait avec un
sourire joyeux. S'étant approchée de moi, elle me dit deux mots : « J'ai été, j'ai vu », et tout en souriant
disparut. Que voulaient dire ces mots, je ne pus le comprendre. Dans ma chambre dormait avec moi mon
setter. Dès que j'aperçus Palladia, le chien n'aboya pas, tandis qu'ordinairement il ne laissait personne
entrer dans la chambre sans aboyer ou grogner. Et toutes les fois que mon chien voyait Palladia il
se pressait contre moi, comme cherchant un refuge. Quand Palladia disparut, je vins dans la maison et
ne dis rien à personne de cet incident. Le soir du même jour, la fille aînée de la dame qui se trouvait
chez nous me raconta qu'une chose étrange lui était arrivée le matin : « M'étant réveillée de grand matin,
me dit-elle, j'ai senti comme si quelqu'un se tenait au chevet de mon lit et j'entendis distinctement
une voix me disant : « Ne me crains pas, je suis bonne et aimante ». Je tournai la tête, mais ne vis rien, ma
mère et ma soeur dormaient tranquillement ; cela m'a fort étonnée, car jamais rien de pareil ne m'est
arrivé. » Sur quoi je répondis que bien des choses inexplicables nous arrivent, mais je ne lui dis rien de ce
que j'avais vu le matin. Seulement un an plus tard, quand j'étais déjà son fiancé, je lui fis part de
1 Pour d'autres renseignements à ce sujet, je renvoie le lecteur au Journal Of the S. P. R.,
volume 888, p. 268 à 2.7-1.
2 Voir l'article de M. BOZZANO, dans les Annales des sciences psychiques, août 1308.

l'apparition et des paroles de Palladia le même jour. N'était-ce pas elle qui était venue la voir aussi
? Je dois ajouter que j'avais vu alors cette demoiselle pour la première fois et que je ne pensais pas du
tout que j'allais l'épouser.

LIEUX HANTÉS
Dans tous les pays il existe des récits d'après lesquels certains lieux ou certaines
localités paraissent être hantés ; il s'y produit des phénomènes anormaux, tels que
bruits inexplicables, déplacements d'objets sans cause connue, et même des
apparitions y sont parfois signalées. Voici deux cas assez curieux où les animaux ont
éprouvé une véritable terreur.
Le premier est rapporté par les Phantasms of the Livings. Vol. II, page 197.
Vision collective, 2 mars 1884. - En 1875, ma soeur et moi (nous étions alors âgées de treize ans), nous revenions
de chez nous en voiture un jour d'été, vers quatre heures de l'après-midi, lorsque tout à coup
nous vîmes flotter, au-dessus d'une haie, une forme de femme qui glissait sans bruit en travers de la route.
Cette forme était blanche, en position oblique à quelques dix pieds du sol.
Le cheval s'était soudainement arrêté et tremblait tellement de frayeur, que nous n'avions plus
aucune action sur lui. Je m'exclamai, en m'adressant à ma soeur « Voyez-vous cela ? » Elle me
répondit qu'elle le voyait et adressa la même question au fils Caffruy qui était dans la voiture.
Cette forme franchit la haie, traversa la route et passa par-dessus un champ, puis nous la perdîmes de
vue au delà d'une plantation. Je crois que nous l'observâmes pendant deux minutes. Elle ne toucha
jamais le sol, mais flotta toujours à une faible distance de terre.
En arrivant à la maison, nous le racontâmes. Je n'ai eu aucune autre vision soit avant, soit depuis. Nous
étions tous trois en bonne santé, il faisait beau temps et personne n'avait suggéré en nous l'idée d'une
apparition avant le passage de celle-là.
Plus tard nous apprîmes que l'on supposait cette route hantée et que plusieurs habitants de la contrée y
avaient vu une apparition.
Violet Montgomery,
Lidnez Montgomery.
Le second est encore plus significatif, car plusieurs animaux qui ont subi l'influence
de ce lieu hanté sont morts des suites de l'épouvante qu'ils avaient ressentie.
Pendant les phénomènes du cimetière d'Arensburg, dans l'île d'Oesel, où des cercueils furent retrouvés
dans des voûtes fermées et les faits constatés par une commission officielle, les chevaux des
gens qui venaient visiter le cimetière furent souvent si effrayés et si excités qu'ils se couvrirent de sueur
et d'écume. Quelquefois ils se jetaient par terre et paraissaient agoniser et malgré les secours qu'on leur
portait immédiatement, plusieurs moururent au bout d'un jour ou deux. Dans ce cas, comme dans tant
d'autres, bien que la commission fît une investigation très sévère, elle ne découvrit aucune cause
naturelle. (R. D. Owen, Footfalls on the Boundary of another World P. 188.)
Les quelques exemples que j'ai rapportés ici sont pris parmi un très grand nombre
d'autres que le défaut d'espace ne me permet pas de reproduire.
Ils présentent une variété de manifestations qui les rapproche de celles que l'on
constate chez les humains.
Nous avons vu, en effet, que l'action télépathique est l'explication la plus probable pour
le cas de Rider Haggard et de M. Young. Ensuite nous avons constaté que le
dédoublement du chien Mégathérium est également l'hypothèse la plus vraisemblable pour
expliquer les bruits perçus par M. et Mme Beauchamps.
Il n'est pas jusqu'aux pressentiments qui ne soient aussi l'apanage de la race canine, et
enfin la clairvoyance s'accuse dans les cas de maisons hantées, de sorte que tout ce que
l'on est convenu d'appeler des facultés supranormales appartiennent donc à la psyché
animale, ce qui l'apparente définitivement avec l'âme humaine.
Pour répondre à l'objection que l'on ne peut pas attacher une grande importance à des
anecdotes de cette nature, qui peuvent être inventées de toutes pièces ou déformées par

l'imagination des narrateurs, je rappellerai que ces récits sont empruntés pour la
plupart à la Société anglaise des Recherches psychiques, qui a institué des enquêtes
minutieuses pour chacun des cas qui lui ont été signalés et qu'elle n'a conservé que
ceux qui lui ont été démontrés indiscutablement authentiques.
Je vais arriver maintenant à un autre aspect de la question, c'est celui qui consiste à
établir la survivance du principe pensant chez l'animal. Je le ferai en citant des exemples
de visions relatives à des animaux posthumes et à quelques faits qui semblent établir
que l'individualité pensante de nos frères inférieurs est attachée elle aussi à une forme
indestructible qui est son corps spirituel.
Il y aurait donc ainsi une continuité parfaite dans toutes les manifestations de
l'intelligence incarnée ou désincarnée à tous les degrés de l'échelle de vie.
Commençons cette étude par la vision d'animaux défunts que des médiums ou des
clairvoyants décrivent avec exactitude sans les avoir jamais connus ou, s'ils les
connaissaient, sans être informés de leur décès.
Voici un premier exemple raconté par le célèbre médium, Mme d'Espérance.
Je tire le fait suivant d'un intéressant article de M. E. d'Espérance, paru dans le Light,
à la date du 22 octobre 1904, p. 511.
Une seule fois il m'est arrivé quelque chose de pareil et une preuve personnelle de la présence en esprit d'un
animal que j'avais fort bien connu en vie. Il s'agissait d'un petit terrier, grand favori de ma famille, qui, par suite
du départ de son maître, avait été donné à un de ses admirateurs habitant à une centaine de milles de chez
nous.
Un an après, comme j'entrais un matin dans la salle à manger, je vis, à mon grand étonnement, la petite Monna
qui courait en sautillant autour de la chambre et paraissait être en proie à une frénésie de joie ; elle
tournait, tournait, tantôt en se fourrant sous la table, tantôt en se faufilant sous les chaises
ainsi qu'elle était habituée à faire dans ses moments d'excitation et de joie, après une absence plus on
moins longue de la maison. J'en conclus naturellement que le nouveau maître de Monna l'avait reconduite
chez nous, ou que tout au moins la petite chienne était parvenue toute seule à trouver le chemin de son ancienne
demeure. J'allai aussitôt questionner à ce sujet les autres membres de la famille, mais personne n'en
savait rien ; d'ailleurs on eut beau la chercher partout et l'appeler par son nom, Monna ne se fit plus voir. On me
dit donc que je devais avoir rêvé ou, pour le moins que je devais avoir été victime d'une hallucination, après
quoi l'incident fut vite oublié.
Plusieurs mois, un an peut-être se passèrent avant qu'il nous arrivât de nous rencontrer avec le
nouveau maître de Monna. Nous lui en demandâmes aussitôt des nouvelles. Il nous dit que Monna était
morte à la suite de blessures qu'elle avait reçues au cours d'une lutte avec un gros chien. Or, à ce que j'ai pu
constater, cela s'était passé à la même date ou bien peu de temps avant le jour où je l'avais vue en
esprit, courir, sautiller, tourner autour de la salle de son ancienne demeure.1
Si l'apparition s'est produite au moment de la mort du petit animal, cette vision pourrait
être attribuée à la télépathie ; mais si, au contraire, le phénomène a eu lieu quelque
temps après la mort, alors c'est bien le fantôme de l'animal qui a été perçu par
clairvoyance.
Dans l'exemple suivant, si à la rigueur les visions relatives au chat fantôme peuvent
être de nature hallucinatoire, il n'en est plus de même en ce qui concerne la
description du chien, que M. Peters n'avait jamais connu.
DE LA SURVIE DES ANIMAUX
M. Peters écrit au journal Light : « En ce qui concerne la survie des animaux, j'ai observé un fait
curieux avant d'être devenu spiritualiste. J'étais malade et recevais habituellement la visite d'un chat qui
appartenait à ma propriétaire. Chaque soir, un peu avant la complète obscurité, il venait dans ma
chambre, en faisant le tour d'un air solennel, puis sortait de nouveau. On me dit un jour que le chat avait
été tué, mais le fait sortit de mon esprit, et chaque soir le chat y vint comme d'habitude. Cependant,
1 Je néglige quatre autres cas : Proceedings of the S. P. R., vol. X, p. 127 ; Phantams of the
Living, vol. II, p. 446 ; Journal of the S. P. R., vol. V I, p. 375 ; Journal of the S. P. R.,
vol._XII, p. 21.
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un soir, je me rappelai soudain que le chat était mort. Comme à cette époque je ne savais rien des faits
psychiques, comme cependant je voyais le chat distinctement, je pensai que la souffrance m'avait rendu
fou, mais au bout de quelque temps je cessai de recevoir la visite du chat.
Une autre fois, m'étant trouvé en séance avec une famille, j'étais en pleine conversation avec mon hôte,
lorsque je vis soudain un grand chien brun qui alla placer sa tête sur ses genoux. Le chien me paraissait
si réel que je le décrivis, et mon hôte reconnut en lui un favori de la famille.
J'emprunte à un livre récent de Mme Agullana, intitulé : La vie vécue d'un médium
spirite, un cas analogue au précédent. Le voici1 :
J'étais à Condom, dans le bureau de M. T..., causant avec ce dernier et avec sa femme, lorsque j'eus une
singulière vision dont je leur fis part. Je leur dis que je voyais un Esprit, un monsieur, personnage que je
leur décrivis. Au même instant, m'apparut un chien dont je dépeignis la robe. Il parcourait le magasin
de M. T..., au milieu des poteries et des porcelaines. Il était à chaque instant rappelé par le monsieur :
«Viens ici, Médor ! » comme s'il eût craint qu'il ne fit des dégâts parmi la vaisselle fragile.
Ce monsieur est mort il y a déjà huit ans, me dit M. T... C'était un de nos meilleurs amis qui avait été
pour moi comme un frère. Quant au chien qui s'appelait bien Médor, il est mort, il y a près d'un an.
Le cas du juge Austin est aussi intéressant que les précédents.
L'APPARITION D'UN CHIEN
La North Somerset Gazette rapporte l'histoire suivante racontée par M. Robert Austin qui en affirme
la véracité. Son père, le juge Austin, qui était connu comme un grand amateur de chiens, avait un
épagneul qui était très attaché à son maître ; c'était son compagnon inséparable. Dans le cours du temps,
le chien mourut et une semaine après, le juge Austin se rendit chez un ami à Clifton avec lequel il
s'entretint pendant quelques instants dans le salon. Quand il fut parti, une jeune dame écossaise, qui
se trouvait alors dans la maison, demanda quel était ce monsieur avec son chien. La maîtresse de la
maison répondit que c'était le juge Austin, mais, ajouta-t-elle, il n'avait pas de chien avec lui. L'autre
répliqua qu'il y avait bien un chien dans le salon et elle décrivit exactement l'aspect d'un vieil épagneul
et même son attitude favorite lorsqu'il se trouvait auprès de son maître...
Vous pouvez penser ce que vous voulez de cette histoire, ajoute M. Austin, mais elle est véridique.
Pour les partisans à outrance de la théorie de la transmission de pensée ou de la
cryptesthésie, la description de l'animal a pu être prise dans une image de la
subconscience du juge Austin ; il n'en sera plus de même lorsque la vision fantômale
exerce aussi son action sur des animaux.

VISION DE FANTOMES ANIMAUX S'ÉTANT PRODUITS EN DEHORS DE TOUTE COINCIDENCE TÉLÉPATHIQUE ET PERÇUE COLLECTIVEMENT PAR DES ANIMAUX ET DES HOMMES.
1 Voir page 165.

Mme d'Espérance, l'auteur bien connu, raconte dans le Light (octobre 1904, p. 511-
513) un fait de vision d'animal fantôme que je reproduis en ne citant que les détails
essentiels.
Alors qu'elle se promenait dans un petit bois voisin de son habitation, elle avait
remarqué que fréquemment les chevaux prenaient peur en un certain point de la
route qu'ils traversaient.
Mes chiens, dit-elle, refusaient opiniâtrement d'entrer dans le bois, ils se blottissaient à terre, ils mettaient
le museau entre leurs jambes et restaient sourds à la persuasion comme aux menaces. Si je m'acheminais
dans toute autre direction, ils me suivaient aussitôt joyeusement, mais si je persistais à vouloir entrer dans
le bois, ils m'abandonnaient en se dirigeant à la course vers la maison, en proie à une espèce de panique.
Ayant raconté ce fait à une amie, celle-ci m'apprit que les paysans considéraient ce lieu comme hanté, et
que les animaux domestiques redoutaient d'y passer.
Un jour d'automne 1896, j'étais avec une amie pour faire une promenade... Nous arrivâmes au petit
bois, dans lequel nous entrâmes du côté de l'ouest, en faisant tranquillement notre chemin. Je fus la
première à me retourner, et j'aperçus un veau d'une nuance rouge foncé. Surprise par l'apparition
inattendue de cet animal à mon côté..., je poussais une exclamation d'étonnement et la bête s'abrita
aussitôt dans le bois de l'autre côté du sentier. Au moment où il pénétrait dans le fourré, une étrange lueur
rougeâtre se dégagea de ses grands yeux ; on aurait dit qu'ils jetaient des flammes. C'était l'heure du
coucher du soleil qu'il dardait en ligne droite horizontale dans les yeux qui brillaient presque comme
les croisées d'une fenêtre, alors qu'elles sont frappées directement par les rayons du soleil.
Quoique depuis cette époque bien peu de jours se soient passés sans que j'aie traversé le bois à pied ou à
cheval (hormis les périodes de temps dans lesquelles je fus absente de la maison) et presque toujours avec
mon couple de chiens, jamais plus jusqu'à il y a quelques semaines il ne m'arriva de rencontrer le veau
mystérieux.
C'était une journée suffocante et je m'étais dirigée vers le bois pour y trouver un abri du soleil et de la
réverbération aveuglante de la route. J'étais accompagnée par deux collies (chiens de berger) et par un
petit terrier. Parvenue à la limite du bois, les deux collies s'accroupirent soudain sur le sol en refusant de
continuer leur chemin, en même temps ils exerçaient tout leur art canin de persuasion pour que je me
dirigeasse ailleurs. Voyant que je persistais à vouloir avancer, ils finirent par m'accompagner, mais avec
une répugnance visible. Toutefois, quelques instants après, ils semblèrent oublier et je continuais
tranquillement mon chemin en cueillant des mûres. A un certain moment, je les vis retourner à la course
pour venir se tapir, tremblant et gémissant, à mes pieds ; en même temps le petit terrier avait sauté sur
mes genoux. Je ne pouvais pas m'expliquer cela, quand tout à coup j'entendis derrière moi un
piétinement furieux qui se rapprochait rapidement. Avant que j'eusse le temps de m'écarter, je vis
arriver sur moi un troupeau de daims. En proie à l'épouvante, dans leur course effrénée, ils faisaient si
peu de cas de moi et des chiens qu'ils furent sur le point de me jeter à terre. Je regardai autour de moi,
épouvantée, pour découvrir la cause de cette panique et j'aperçus un veau de couleur rouge foncé qui en
revenant sur ses pas s'engageait dans le taillis. Les daims s'étaient éloignés rapidement dans une autre
direction du bois. Mes chiens qui, dans des circonstances ordinaires, leur auraient donné la chasse, se
tenaient accroupis et tremblants à mes pieds, pendant que le petit terrier refusait de descendre de mes
genoux. Pendant plusieurs jours, ce petit chien ne voulut plus traverser le bois. Les deux collies, tout
en ne s'y refusant pas, y pénétraient comme contre leur gré et montraient visiblement leur défiance et
leur crainte.
Le résultat de toutes nos enquêtes ne fit que confirmer davantage nos impressions ou, comme on dit
dans le pays, le veau aux yeux flamboyants n'était pas un animal commun, vivant, terrestre.
La réalité d'un veau fantôme est confirmée, non seulement par la vision de Mme
d'Espérance, mais surtout par la terreur que ressentaient les daims et les chiens que
personne n'avait suggestionnés.
Voici un autre cas où la réalité de l'apparition d'un bouledogue après sa mort
paraît évidente.

UN CHIEN FANTOME

J'emprunte au The Animal's Guardian, qui les reproduit, plusieurs histoires d'apparitions d'animaux
écrites dans le National review parle capitaine Humphries, qui les a réunies pendant ses voyages dans
maints pays. Leur caractère général pourra être jugé d'après l'histoire suivante qui, atteste le
capitaine, lui a été racontée par un ami et sa femme, et dont la vraisemblance n'a aucune raison d'être
mise en doute.
Pendant qu'ils étaient dans le sud de l'Afrique, leur habitation se trouvait tout près de la ligne du
chemin de fer, dont leur jardin n'était séparé que par un tout petit mur. A ce moment ils possédaient un
magnifique bouledogue auquel il était permis d'errer partout, à cause de sa conduite parfaite, et ayant
voulu éviter une locomotive, il fut tué par une autre. Quelques mois après, les conducteurs de deux
trains du soir donnèrent toujours des coups de sifflet avec leur machine. Ce fait ennuyait beaucoup le
propriétaire du chien mort. De plus, sa femme était de santé délicate et se trouvait souvent alitée. Le
mari arrêta un jour un des conducteurs après sa journée et lui demanda si les coups de sifflet étaient
réellement nécessaires, puisqu'il n'y avait aucun signal en vue. Tout d'abord l'homme s'étonna d'être
questionné sur ce sujet, mais le mari réitéra la question en invoquant la maladie de sa femme.
C'est alors que le mécanicien expliqua que l'ami de l'écrivain avait le remède en ses propres mains,
puisque le coup de sifflet était donné seulement dans le but d'empêcher son chien d'être écrasé, car il
traversait souvent la ligne et ne se dérangeait pas jusqu'à ce qu'il eût été ainsi averti, alors qu'il passait
d'habitude par-dessus le petit mur dont nous avons parlé.
La description donnée du chien concordait en tout point avec celui qui avait été écrasé. Cette apparition
continua pendant quelques mois à différents intervalles.
Ici aucune action télépathique du chien ne saurait être invoquée comme explication.
D'autre part, une hallucination visuelle des mécaniciens est invraisemblable, puisque, à
différentes reprises, ils voient assez distinctement le fantôme du bouledogue pour
siffler, afin de le faire partir.
Notons aussi que ces apparitions eurent lieu quelques mois après la mort de l'animal,
ce qui indique la conservation de sa forme et la possibilité pour elle de se
matérialiser.
Le récit suivant nous met encore en présence d'une matérialisation posthume d'un chien
et, chose remarquable, cette apparition a eu lieu à cent six milles de la ville où il
était mort.

LE CHIEN RIEUR
On lit dans le Swasteka1 de juillet, le curieux récit suivant dû au général Thompson Jim, le
chien dont je signale ici le fantôme, était un magnifique collie, le favori de toute ma famille, résidant à
Cheyenne, Wyoming. Sa nature affectueuse était la plus remarquable que l'on pût rencontrer. Il était
connu de toute la ville, qui l'appelait le chien rieur. Le nom lui venait de ce qu'il marquait le
plaisir qu'il éprouvait de la rencontre des parents ou amis de ses maîtres par une sorte de joyeux éclat de
rire, qui ressemblait étrangement au rire d'un être humain.
Un soir des derniers jours de 1905, vers 7 h. 30, je me promenais avec un ami dans la 17e rue de Denver,
Colorado. Comme nous approchions de la porte de la première Banque nationale, nous vîmes
un chien étendu au milieu de la chaussée, et en m'avançant vers lui, je fus étonné de la ressemblance
absolue avec le Jim de Cheyenne. Son identité fut rendue plus certaine encore par les marques de
satisfaction à ma vue et par ce rire particulier à Jim, par lequel il m'accueillit. Je dis à mon ami que
si nous n'étions pas à une distance de cent six milles de Cheyenne, je jurerais que nous étions en présence
de Jim, dont je lui signalai les particularités.
Le chien astral, ou fantôme, était évidemment blessé de façon grave, car il ne pouvait se relever.
Après l'avoir caressé, je lui dis un adieu ému, nous traversâmes Stout-Street et je me retournai pour
le voir encore une fois il avait disparu. Le lendemain matin, je reçus une lettre de ma femme
m'annonçant que la veille, à 7 h. 30 du soir, Jim avait été tué accidentellement. Je croirai toute ma
vie que j'ai vu le fantôme de Jim.
1 Revue scientifique et morale du spiritisme, septembre 1907, p. 190.

Ce qui tend à écarter toute idée d'hallucination, c'est que le chien fantôme a été vu
par deux personnes, dont son maître, à qui il manifesta son affection par sa façon
toute spéciale, et que son apparition a coïncidé avec le moment exact de sa mort.
M. Charles L... Tweedale écrit au Light1 :
Ma tante L... mourut en 1905 et son chien favori, petit animal ardent et énergique, était mort quelques
années auparavant. En août, la tante L... commença à se montrer chez moi en pleine lumière, aussi bien
le soir que dans la journée, et fut vue par tous les habitants de la maison.
A plusieurs reprises ces apparitions furent accompagnées de grognements et d'aboiements qui nous
étonnaient beaucoup. Enfin ce mystère fut dévoilé par l'apparition, à côté de la tante L... de son chien
favori. L'animal fut vu deux fois en même temps que sa maîtresse. Dans un certain nombre d'occasions il
fut vu seul, même en plein jour, aussi bien par ma femme que par des domestiques et par mes enfants.
Dans une occasion il fut vu en même temps par quatre personnes, en plein jour, et ma plus jeune fillette en
fut si frappée qu'elle le cherchait sous le lit, sous lequel il avait semblé disparaître.
Aucun de ceux qui virent le fantôme n'avait connu l'animal pendant la vie. On n'avait pas davantage vu sa
photographie, puisqu'il n'en existait pas. Cependant leurs descriptions du fantôme coïncidèrent
absolument et furent conformes à ce que l'animal était de son vivant.
La vision collective de ce chien et l'audition de ses jappements établissent sa
survivance plusieurs années après sa disparition terrestre ; ici encore, il y a
matérialisation du fantôme.
Voici deux autres cas que j'ai rapportés dans mon mémoire présenté au Congrès de Londres de 1898 ; je
les ai empruntés à M. Dassier. Le texte ne me permet pas de savoir si l'on est en présence de
manifestations d'animaux posthumes ou vivants, mais il paraît, si les descriptions sont exactes, que dans
l'un et l'autre cas la matérialisation est certaine.
L. Dassier rapporte le témoignage d'un cultivateur qui, en rentrant chez lui à une heure assez avancée
de la nuit, vit un âne qui paissait dans un champ d'avoine. Il voulut mettre ce champ à l'abri d'un hôte
si incommode. L'âne s'étant laissé approcher, le cultivateur le sortit du champ et l'amena sans résistance.
Il arriva ainsi jusqu'à la porte de l'écurie, mais au moment où il se disposait à ouvrir, la bête disparut
de ses mains comme une ombre qui s'évanouit. Il eut beau regarder autour de lui, il n'aperçut rien.
Saisi de frayeur, il rentra précipitamment chez lui et réveilla son frère pour lui raconter l'aventure. Le
lendemain ils se rendirent dans le champ pour savoir si un être aussi extraordinaire avait causé de grands
dégâts et retrouvèrent la moisson intacte. L'animal mystérieux broutait une avoine imaginaire. La nuit
était assez claire pour que le cultivateur pût voir distinctement les arbres et buissons à plusieurs mètres
de la route.
Voici un autre exemple raconté par celui auquel l'événement est arrivé. M. Dassier le tient du narrateur
lui-même. « Un soir, me trouvant de garde (c'est un douanier qui parlait) avec un de mes
camarades, nous aperçûmes, non loin du village que j'habitais, un mulet qui passait devant nous et
qui paraissait chargé. Supposant qu'il portait de la contrebande et que son maître s'était enfui en nous
voyant, nous nous mîmes à sa poursuite. Le mulet se jeta dans une prairie et après avoir fait divers
détours pour nous échapper, il rentra dans le village. Alors nous nous divisâmes. Tandis que mon
camarade continuait à le suivre, je pris une route transversale, afin de lui couper le chemin. Se voyant
serré de près, l'animal précipite sa course et plusieurs habitants sont réveillés par le bruit des pas qui
résonnaient sur le pavé. J'arrivai avant lui au passage où le conduisait la rue qu'il suivait ; quand je le
vis auprès de moi j'allongeai la main pour saisir son licol, il disparut comme une ombre, et je
n'aperçus que mon camarade, aussi étonné que moi. L'endroit où cette scène a eu lieu formait une
impasse, de laquelle l'animal ne pouvait s'échapper sans passer sur le corps du douanier. »
L'objectivité de cette forme est démontrée par le bruit que faisait le mulet en
s'enfuyant, car les habitants du village se questionnaient le lendemain matin au sujet
du vacarme qu'ils avaient entendu au milieu de la nuit.
1 Revue scientifique et morale du spiritisme, mai 1914.

APPARITIONS D'ANIMAUX DANS DES SÉANCES EXPÉRIMENTALES

Dans une séance du mois de novembre 1877 chez le commandant Devoluette, le médium Amélie annonce
que quelque chose se développe sur la table et précisément sur une grande feuille mise là pour l'écriture
directe : « Tiens ! une bête, je vois des pattes ! Ah ! c'est un petit chien assis sur le papier, il est de telle
couleur, nez court, gros yeux ronds, longues oreilles, queue à longs poils, pattes fines et longues. »
Bientôt nous entendons tous un trépignement de pattes et des secousses sur la table, et le médium nous
tient au courant des mouvements de l'animal. Il saute sur place, il prend le papier entre ses pattes, il le
gratte, le tord et le déchire. « Ah ! j'ai peur, il m'a sauté sur l'épaule, il passe sur le dos de Mme X...
(Cette dame sent le choc), il reprend sa première position. » Nous entendons tous de petits aboiements, et
ma femme sent les pattes de l'animal sur ses mains. Il lèche ensuite les mains d'Amélie et celles de Mme
X... et disparaît.
En allumant nous trouvons le papier tordu, déchiré, et portant distinctement l'empreinte de petites
griffes.
L'aboiement entendu par tous les assistants et les traces des ongles laissées sur le
papier paraissent établir la réalité du chien fantôme.
MATÉRIALISATIONS VISIBLES DE FORMES D'ANIMAUX
Les matérialisations de formes animales ne sont pas rares avec Franck Kluski. Dans les comptes
rendus des séances de la Société d'études psychiques de Varsovie, qui seront prochainement publiés,
nous tenons à signaler spécialement un gros oiseau de proie, apparu à plusieurs séances et
photographié, puis un être bizarre, sorte d'intermédiaire entre le singe et l'homme. Il est décrit
comme ayant la taille d'un homme, une face simiesque, mais un front développé et droit, la figure et le
corps couverts de poils, des bras très longs, des mains fortes et longues, etc.... Il semble toujours
ému, prend les mains des assistants et les lèche comme ferait un chien.
Or, cet être, que nous avions surnommé « Le Pithécanthrope », s'est manifesté plusieurs fois pendant
nos séances. L'un de nous, à la séance du 20 novembre 1920, sentit sa grosse tête velue s'appuyer
lourdement sur son épaule droite, contre sa joue. Cette tête était garnie de cheveux drus et rudes. Une
odeur de fauve, de chien mouillé, se dégageait de lui. Un des assistants ayant alors avancé sa main, le
Pithécanthrope la saisit, puis la lécha longuement à trois reprises. Sa langue était large et douce.
Voici quelques détails concernant cet être bizarre, ils sont empruntés aux comptes
rendus des séances qui ont eu lieu à Varsovie en 1919 :
C'est un être de la grandeur d'un homme adulte, fortement poilu, avec une grande crinière et une
barbe embroussaillée. Il était revêtu comme d'une peau craquante ; son apparence était celle d'un être
rappelant une bête ou un homme très primitif. Il ne parlait pas, mais il lançait des sons rauques avec ses
lèvres, claquait de la langue et grinçait des dents, cherchant en vain à se faire comprendre. Lorsqu'on
l'appelait, il s'approchait ; il laissait caresser sa peau velue, touchait les mains des assistants et
leur grattait la main fort doucement avec des griffes plutôt qu'avec des ongles. Il obéissait à la voix
du médium et ne faisait pas de mal aux assistants en les touchant fort doucement.
C'était un progrès, car aux séances antérieures, cet être manifestait une grande violence et une grande
brutalité. Il avait une tendance visible et une volonté tenace à lécher les mains et le visage des assistants,
qui se défendaient de ces caresses bien désagréables. Il obéissait à chaque ordre donné par le médium, non
seulement quand cet ordre était exprimé par la parole, mais même exprimé par la pensée.
D'autres fois nous avons senti, sous nos jambes, des contacts rappelant les frôlements du chien1.
Dans le courant de l'année 1922, M. le Dr Geley s'étant rendu à Varsovie, je sais qu'il
constata dans des séances avec le médium Kluski des matérialisations de chiens. Il doit
1 Revue métapsychique, juillet-août 1921, p. 301, janvier-février 1923, p. 27 et suivantes.
Voir également la Revue métapsychique, numéro de novembre-décembre 1923, pages 396 et
suivantes : matérialisations de formes animales avec le médium Guzik.

en publier plus tard un compte rendu qui nous fera connaître le détail de ces curieuses
séances.

LES NOEVI
L'analogie qui existe entre le principe spirituel des animaux et celui des humains
peut encore se démontrer par l'influence que l'imagination exerce sur le corps.
On sait que pendant la grossesse, beaucoup de femmes sont prises de désirs
obsédants, parfois bizarres, et même extravagants. C'est une très vieille croyance
populaire que, si cette envie n'est pas satisfaite, l'enfant portera sur la peau, sous
forme de tache ou de tumeur, l'emprunte ineffaçable de l'objet convoité par la mère:
fraise, cerise, framboise, vin, café, etc.... On appelle Noevi, ou vulgairement envies,
ces marques de naissance.
Dans un article que j'ai publié en 19041, j'ai réuni un grand nombre d'exemples, desquels
il résulte qu'à la suite d'émotions violentes, des femmes enceintes ont imprimé sur le corps
de l'enfant les images qui les avaient vivement frappées.
Les impressions faibles, quand elles durent, produisent le même résultat que les impressions
violentes et soudaines. Liébault raconte qu'un vigneron ressemblait d'étonnante façon à
la statue du saint patron de son village qui se trouvait à l'église. Pendant sa grossesse, sa
mère avait eu l'idée fixe que son fils ressemblerait à ce saint.
D'autre part, le Dr Sermyn, dans le Journal de mars 1914, écrit : J'ai connu une dame
qui, après avoir eu trois enfants dont les cheveux étaient noirs et plats, vit un jour
dans une boutique une lithographie coloriée qui représentait une jolie petite fille
d'environ quatorze ans ayant des cheveux blonds et bouclés. Elle s'empressa de
l'acheter, l'encadra et la plaça dans sa chambre à coucher. « Comme je serais heureuse
si Dieu m'accordait la grâce d'avoir un enfant pareil à cette lithographie, me disaitelle
souvent. »
Son désir s'accomplit, à ma grande surprise. Elle eut non seulement une fille, mais deux
consécutivement.
A l'âge de quatorze ans, ces deux filles ressemblaient exactement au tableau que leur
mère avait acheté. On les prenait pour des jumelles, tant elles étaient pareilles l'une
et l'autre. La lithographie semblait être leur portrait.
Ici l'attention de la mère continuellement portée vers l'image de la petite fille a fini par en
imposer la ressemblance à ses deux enfants.
Voici maintenant un fait cité par la Revue Métapsychique de janvier-février 1922, sous le
titre : Un cas présumé d'idéoplastie.
Il s'agit d'une chatte qui avait mis bas un chaton marqué en travers de la poitrine du
millésime 1921 chez M. Davico, boulanger à Nice. Le fait fut dûment constaté par M.
Duquet, vétérinaire, et par une commission formée de MM. Bogdanof, Bizzet et
Prozor. Les poils prélevés sur l'animal n'étaient pas teints et pourtant ils sont d'une
coloration différente du reste de la robe. On prit plusieurs photographies qui montrent
nettement le millésime 1921 et les chiffres sont surmontés de trois petites taches
blanches.
Comment expliquer cette singulière anomalie ? Interrogée Mme Davico raconta ce qui
suit :
A un moment donné, vers le milieu du temps de la gestation, la chatte poursuivait une souris qui se
réfugia derrière un sac plein de farine et ne portant pas de marque. La bonne ratière allait bondir
dans cette direction quand Mme Davico, craignant un accident qui s'était déjà produit, jeta sur le
sac plein un sac vide qu'elle avait sous la main, afin d'empêcher que le premier ne fût déchiré par les
griffes de la bête et la farine répandue. Gênée dans sa chasse, la chatte ne l'abandonna pas pour
cela et pendant des heures resta à l'affût, tapie sur une chaise à proximité du sac, les yeux fixés sur
celui qui recouvrait l'autre et se trouvait précisément marqué du millésime surmonté de trois étoiles.
Mme Davico s'en souvenait très bien, l'incident étant resté gravé dans son esprit.
1 Revue scientifique et morale du spiritisme, novembre 1904, p. 321.

Les recherches effectuées chez les fournisseurs de Mme Davico ont fait retrouver des sacs portant le même
millésime avec des chiffres ressemblant à ceux qui étaient imprimés sur le pelage du chat.
De plus, le chiffre de l'année était surmonté de trois étoiles.
Il semble donc bien que l'image de ce millésime sur lequel la chatte avait les yeux fixés pendant de longues
heures s'est reproduite sur le petit animal qui était en formation, ou plus exactement encore que ce soit le
périsprit de l'animal qui ait reçu cette empreinte, puisqu'elle n'est devenue visible que lorsque les poils
eurent poussé. »
C'est un véritable cas de noevus constaté dans la race animale, ce qui l'apparente
davantage avec nous.
M. Bozzano a fait paraître dans les Annales des Sciences psychiques une classification
des faits de métapsychie animale : je la reproduis sommairement ci-après1.
Connaissant l'esprit critique de l'auteur et sa grande prudence dans l'appréciation des
récits qu'il reproduit, nous pouvons avoir toute confiance en qui concerne l'authenticité
des faits qu'il a réunis.
Je rappelle ici l'énumération des différents cas qu'il a retenus.
1re catégorie : Hallucination télépathique dans lesquelles un animal fait fonction
d'agent, 12 cas, 8 cités.
2e catégorie : Hallucinations télépathiques dans lesquelles un animal fait fonction de
percipient, 1 cas.
3e catégorie : Hallucinations télépathiques perçues collectivement par l'homme et par
les animaux, 17 cas, 4 cités.
4e catégorie : Visions de fantômes humains en dehors de toute coïncidence télépathique
et perçus collectivement par des animaux et des hommes, 18 cas, 8 cités.
5e catégorie : Visions de fantômes animaux s'étant produites en dehors de toute
coïncidence télépathique et perçues collectivement par des animaux et des hommes, 5
cas cités.
6e catégorie : Animaux et localités fantasmogènes, 22 cas, 9 cités.
M. Bozzano ne retient que 69 cas parmi tous ceux qu'il a recueillis et il fait remarquer
que le nombre des relations qui lui sont connues déjà en 1905 pourrait s'élever
facilement au double de ce chiffre. Cette constatation suffit pour montrer que les quelques
exemples que j'ai rapportés ne sont pour ainsi dire que des types de chacune de ces
manifestations psychiques.
Il paraît donc dès maintenant extrêmement probable :
1° qu'il existe des communications télépathiques entre l'homme et les animaux
domestiques ;
2° Que les animaux présentent parfois des phénomènes de clairvoyance, c'est-à-dire
qu'ils perçoivent des êtres invisibles ;
3° Qu'ils sont capables d'éprouver des pressentiments ;
4° Qu'ils possèdent une forme fluidique qui leur permet de se dédoubler ;
5° Que ce périsprit animal persiste après la mort sous une forme invisible qui peut être
décrite par des voyants ;
6° Que la matérialisation de ce principe qui individualise l'âme animale a été parfois
observée dans des séances spirites.
Si l'on veut bien se souvenir des récits relatifs aux chevaux d'Elberfeld, aux chiens
Rolf, Lola et Zou, il est impossible de nier qu'il existe entre ces animaux et nous
une véritable parenté intellectuelle. Evidemment le degré de développement de la
psyché animale dans ces formes encore relativement inférieures n'est guère
comparable, sauf l'extraordinaire faculté de calcul, qu'à celle de nos enfants ; mais
l'identité du principe pensant chez eux et chez nous paraît indéniable, et l'hypothèse
que nous avons dû passer antérieurement et successivement par des stades inférieurs
avant d'arriver à l'humanité apparaît aujourd'hui comme une hypothèse très
vraisemblable et qui doit être prise en sérieuse considération par tous ceux qui
poursuivent la solution du problème de nos origines.
1 Voir Annales des sciences psychiques, août 1906.

Je me rallie donc entièrement aux conclusions formulées par M. Bozzano dans le
remarquable travail auquel j'ai fait de si fréquents emprunts.
Je me bornerai donc, dit-il, à observer que le jour où l'on parviendra à acquérir scientifiquement la
preuve que les phénomènes de perception psychique supernormale se manifestent d'une façon identique
dans l'homme et dans l'animal, et que cette preuve sera complétée par l'autre fait que les formes
supérieures de l'instinct propre aux animaux se rencontrent aussi dans la subconscience de l'homme, ce jourlà
on sera parvenu à prouver qu'il n'existe pas de différence de qualité entre l'âme humaine et celle
de l'animal. De la même manière, on pourra alors faire mieux comprendre comment l'évolution
biologique de l'espèce, illustrée par la science, a son correspondant dans une évolution psychique
parallèle qui, à en juger par les facultés merveilleuses cachées dans la subconscience, facultés évidemment
indépendantes de la loi de sélection naturelle, bien loin de devoir être considérée comme un
simple produit de synthèse fonctionnelle des centres corticaux, loin de consister en un simple
épiphénomène, devra être nettement reconnue comme étant originée par un principe souverainement actif
qui se manifeste comme force organisatrice, principe en vertu duquel uniquement la loi de sélection
naturelle est mise en état d'agir efficacement en vue de l'évolution biologique et morphologique de
l'espèce.
C'est aux sciences psychiques qu'appartient la tâche glorieuse de le démontrer dans un futur assez
rapproché.

CHAPITRE VI
La mémoire intégrale.
Essai de démonstration expérimentale des vies successives. – Quelques notes sur la mémoire. –
Conditions d’une bonne mémoire suivant M. Ribot. – L’intensité et la durée. – La mémoire ne réside
pas dans le cerveau, elle est contenue dans le périsprit. – Expériences de MM. Desseoir et Dufar. –
L’ecmnésie suivant M. Pitres. – Regression de la mémoire. – Association des états physiologiques et
psychologiques, ils sont inséparables. – Histoire de Jeanne R… - Les exemples cités par M. Pierre
Janet. – Histoire de Louis V… - Liaison indissoluble des états physiques et mentaux. – La mémoire
latente se réveille par différents procédés. – Réveil des souvenirs anciens pendant l’anesthésie. –
Vision au moyen de la boule de cristal. – Observation de M. Pierre Janet. – Cryptomnésie.

LA MÉMOIRE INTÉGRALE
Comme je vais avoir à étudier dans la suite de cet ouvrage les phénomènes qui tendent
à établir la réalité des existences antérieures dans l'humanité et que cette démonstration
repose en partie sur la résurrection des souvenirs du passé, il me paraît indispensable
d'établir que la mémoire n'est pas une faculté simplement organique liée indissolublement
à la substance du cerveau, mais qu'elle réside, au contraire, dans cette partie
indestructible de nous-mêmes que les spirites appellent le périsprit. Si ceci est exact, l'âme
en se réincarnant apporte en soi d'une manière latente tous les souvenirs de ses vies
antérieures, et dès lors, il lui sera possible, parfois et exceptionnellement, d'avoir des
réminiscences relatives à son antique passé. De même que pour certains sujets on peut faire
renaître la mémoire d'événements de leur vie actuelle qui ont entièrement disparu de la
conscience normale, de même on pourra parfois pénétrer jusque dans les profondeurs de ces
archives ancestrales qu'il est possible, à juste titre, de qualifier de mémoire intégrale.
I1 ne saurait s'agir ici de faire une étude complète de la mémoire, car ce travail
nécessiterait beaucoup plus d'espace que celui dont je puis disposer dans cet ouvrage. Il me
suffira de signaler quelques phénomènes importants qui démontreront, suivant moi, avec
évidence, que tout ce qui a agi sur l'être humain se grave en lui d'une manière indélébile, que
cette conservation n'a pas lieu, comme l'enseigne la psychologie officielle, dans les
centres nerveux, mais dans cette partie impérissable de l'être qui l'individualise et de laquelle
il est inséparable.
Pour que cette affirmation ne semble pas trop extraordinaire, il me faut rappeler encore que
les apparitions matérialisées, en reconstituant temporairement l'ancien corps matériel qu'elles
avaient sur la terre avec tous ses caractères anatomiques, prouvent ainsi qu'elles ont
toujours le pouvoir organisateur qui donne à l'enveloppe charnelle sa forme et ses propriétés ;
et toutes les facultés intellectuelles sont également reconstituées, lorsque l'esprit s'est rendu
complètement maître du processus de la matérialisation, car souvent le fantôme parle, écrit,
et son style comme son graphisme sont identiques à ceux qu'ils possédaient de son
vivant. Donc, la mémoire et le mécanisme idéomoteur de l'écriture se sont conservés après la
mort, prêts à se manifester de nouveau physiquement lorsque les circonstances le permettront.
Ce n'était donc pas seulement dans le système nerveux que s'enregistraient toutes ces
acquisitions, puisque la mort l'ayant détruit, l'être qui a survécu a emporté en lui ses
associations dynamiques et ses souvenirs.

Le cas de Mme Estelle Livermore1, écrivant sous les yeux de son mari plus de deux cents
messages, après sa mort, montre avec évidence, non seulement la conservation de sa
personnalité, mais aussi que ses souvenirs n'avaient rien perdu de leur intégralité, car,
bien qu'Américaine, elle a gardé, après sa mort, la connaissance de la langue française,
qu'elle possédait parfaitement de son vivant, et ces messages sont des autographes de tous
points identiques à son écriture pendant sa vie terrestre.
Ce fait est confirmé par une quantité d'autres obtenus, soit par des médiums mécaniques,
soit par l'écriture directe entre ardoises, de sorte que nous pouvons, nous spirites, affirmer
que toutes les acquisitions intellectuelles faites pendant la vie ne sont pas localisées dans
l'encéphale, mais résident réellement dans le double fluidique qui est le véritable corps de
l'âme.
S'il en est ainsi, quel est le rôle que joue le système nerveux pendant la vie ?
Il est incontestable que l'intégrité de la mémoire est liée au bon fonctionnement du cerveau,
car bien des maladies qui atteignent cet organe ont pour résultat d'affaiblir et même de
supprimer complètement la mémoire des événements récents ou anciens, soit en totalité, soit
en partie.
Donc il parait évident que pendant la vie le cerveau est une condition indispensable de la
mémoire. Mais ici intervient une deuxième considération qui me semble, elle aussi, de la plus
haute importance. C'est que l'oubli que l'on constate pendant le cours de la vie, ou après les
désordres organiques, n'est pas fondamental, irréductible, qu'il n'est qu'apparent, car, au moyen
de divers procédés, il est parfois possible de faire renaître ces souvenirs qui paraissaient anéantis
pour toujours.
C'est ce que je vais essayer de montrer par divers exemples.
Mais auparavant, il n'est pas inutile de rappeler quelques notions très générales relatives à ce
phénomène mystérieux qui ressuscite le passé et nous le rend pour ainsi dire actuel..
D'après M. Ribot, dans l'acception courante du mot, la mémoire, de l'avis de tout le monde, comprend
trois choses : la conservation de certains états, leur reproduction, leur localisation dans
le passé. Ce n'est là cependant qu'une certaine sorte de mémoire, celle qu'on peut appeler
parfaite. Ces trois éléments sont de valeur inégale ; les deux premiers sont nécessaires,
indispensables ; le troisième, celui que dans le langage de l'école on appelle la reconnaissance,
achève la mémoire, mais ne la constitue pas.
Ceci me parait d'autant plus vrai que le souvenir pendant la vie est lié au bon
fonctionnement du système nerveux. Cependant, si la mémoire parait défaillante, cela ne
prouve nullement que les souvenirs sont anéantis, mais seulement que le pouvoir de les
réveiller a été momentanément paralysé et qu'il peut reparaître lorsque les causes qui
l'avaient supprimé cessent d'exister.
Je ferai observer aussi que le terme général de mémoire comprend bien des
variétés, et que chez les divers individus, la puissance de rénovation des sensations
anciennes est très différente. Les uns possèdent une mémoire visuelle très développée,
comme ces peintres tels qu'Horace Vernet ou Gustave Doré, qui pouvaient faire un
portrait de mémoire ; chez d'autres, c'est le sens musical qui atteint un très haut
degré de perfection, comme Mozart notant le Miserere de la Chapelle Sixtine après l'avoir
entendu deux fois seulement. Mais sans faire état de facultés aussi exceptionnelles,
il est notoire que chacun possède une aptitude à se représenter le passé d'une manière
satisfaisante, car c'est à cette faculté que nous devons le sentiment de la continuité
de notre être. Cependant, pour qu'une sensation s'enregistre en nous, deux conditions
au moins sont nécessaires : l'intensité et la durée.
Voici, d'après Ribot2, l'importance de ces deux facteurs.
L'intensité est une condition d'un caractère très variable. Nos états de conscience luttent sans cesse pour
se supplanter ; mais la victoire peut également résulter de la force du vainqueur ou de la faiblesse des
autres lutteurs. Nous savons - et c'est un point que l'école de Herbart a très bien élucidé - que l'état le
plus vif peut continuellement décroître, jusqu'au moment où il tombe au-dessous du seuil de la
1 Voir Les Apparitions matérialisées des vivants et des morts, t. II, p. 422.
2 Les Maladies de la mémoire, p. 23.

conscience, c'est-à-dire où l'une de ses conditions d' existence fait défaut. On est bien fondé à dire que la
conscience à tous les degrés possibles, si petits qu'on voudra, admet en elle des modalités infinies -
ces états que Maudsley appelle subconscients, 1.- mais rien n'autorise à dire que cette décroissance n'a pas
de limite, bien qu'elle nous échappe.
2.-On ne s'est guère occupé de la durée comme condition nécessaire de la conscience. Elle est
pourtant capitale. Ici, nous pouvons raisonner sur des données précises.
Les travaux poursuivis depuis une trentaine d'années ont déterminé le temps nécessaire pour les
diverses perceptions: son = 0"16 à 0"14 ; tact = 0"21 à 0"18 ; lumière = 0"20 à 0"22 ; pour l'acte de
discernement le plus simple, le plus voisin du réflexe = 0"02 à 0"04. Bien que les résultats varient suivant
les expérimentateurs, suivant les personnes, suivant les circonstances et la nature des actes psychiques
étudiés, il est du moins établi que chaque acte psychique requiert une durée appréciable et que la
prétendue vitesse infinie de la pensée n'est qu'une métaphore.
Ceci posé, il est clair que toute action nerveuse dont la durée est inférieure à celle que requiert l'action
psychique ne peut éveiller la conscience1.
Ajoutons que, suivant moi, il faut encore faire intervenir l'attention pour qu'une
sensation qui entre nous devienne consciente. Il est notoire, en effet, que, si nous
sommes absorbés par un travail intéressant, nous n'entendrons plus le son du timbre
de la pendule qui cependant frappe toujours notre oreille avec la même force. Mais
notre esprit occupé ailleurs ne transforme pas cette sensation en perception, c'est-à-dire
que nous n'en avons pas conscience.
Il est très curieux de faire observer que ces sensations inaperçues par le moi normal
peuvent reparaître si l'on plonge le sujet dans le sommeil magnétique. En voici un
exemple, emprunté à Desseoir2 :
M. X..., absorbé par la lecture au milieu d'amis causant, eut subitement son attention éveillée en
entendant prononcer son nom. Il demanda à ses amis ce que l'on avait dit de lui. On ne lui répondit pas ;
on l'hypnotisa. Dans son sommeil il put répéter toute la conversation qui avait échappé à son moi
éveillé. Encore plus remarquable est le fait signalé par Edmond Gurney et d'autres observateurs que
le sujet hypnotique peut saisir le chuchotement de son magnétiseur, même lorsque celui-ci est au milieu
de personnes qui causent à haute voix.
Dans ces exemples, la durée et l'intensité ont été suffisantes pour graver dans le
système nerveux et dans le périsprit les paroles prononcées ; mais, l'attention faisant
défaut, la mémoire consciente de l'état de veille ne s'est pas produite, et l'individu
ignore ce que l'on a dit de lui ; mais, endormi magnétiquement, cet état vibratoire
général que les physiologistes appellent la cénesthésie, ayant été augmenté, les
vibrations auditives sont devenues plus intenses et le sujet a pu alors en prendre
connaissance.
Ce ne sont pas seulement les souvenirs de l'état de veille que le somnambulisme
reconstitue, mais aussi ceux des états somnambuliques antérieurs, de telle sorte qu'il
semble exister chez le même individu deux séries de souvenirs parfaitement
coordonnés, s'ignorant complètement. L'observation suivante en est un exemple
saisissant3 :
M. le docteur Dufay, sénateur de Loir-et-Cher, a publié l'observation d'une jeune fille qui, dans un
accès de somnambulisme, avait serré dans un tiroir des bijoux appartenant à sa maîtresse. Celle-ci ne
retrouvant plus ses bijoux à la place où elle les avait laissés, accusa sa domestique de les lui avoir
volés. La pauvre fille protestait de son innocence, mais ne pouvait donner aucun renseignement sur les
causes de la disparition des objets perdus.
1 Il s'agit ici, remarquons-le, exclusivement du fonctionnement de la mémoire, pendant la vie,
quand elle utilise le cerveau.
2 Je m'excuse près des anciens lecteurs de reproduire des faits cités déjà dans mes publications
antérieures, mais comme ils sont encore peu connus et tout à fait démonstratifs pour l'étude que je
poursuis, je n'hésite pas à, m'en servir de nouveau.
3 PITRES, Leçons sur l'hystérie et l'hypnotisme, p. 200.

Elle fut mise en prison à Blois. M. le docteur Dufay était alors médecin de cette prison. Il connaissait la
prévenue pour avoir fait jadis sur elle quelques expériences d'hypnotisme. Il l'endormit et l'interrogea
sur le délit dont elle était accusée. Elle lui raconta alors, avec tous les détails désirables, qu'elle n'avait
jamais eu l'intention de voler sa maîtresse, mais qu'une nuit, il lui était venu à l'esprit que certains
bijoux appartenant à cette dame n'étaient pas en sûreté dans le meuble où ils étaient placés et que, dès
lors, elle les avait serrés dans un autre meuble. Le juge d'instruction fut informé de cette révélation. Il
se rendit chez la dame volée et trouva les bijoux dans le tiroir indiqué par la somnambule.
L'innocence de la prévenue fut ainsi clairement démontrée et la malade fut aussitôt rendue à la liberté.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'état second, quand il est profond, en désignant
par ce mot celui produit par le somnambulisme, embrasse toutes les sortes de
mémoires, y compris celles du sommeil et de la vie ordinaire ; c'est véritablement la vie
ancienne qui ressuscite avec toute la complexité qu'elle comporte.
M. Pitres, dans l'ouvrage déjà cité, nous en rapporte un exemple bien curieux.
Il l'a baptisé du nom d'ecmnésie. Voici en quoi il consiste.
Supposons un instant qu'un sujet de 30 ans perde subitement le souvenir de tout ce qu'il a
connu et appris pendant les quinze dernières années de sa vie. Par le fait même de
cette amnésie partielle, il se produira dans l'état mental du sujet une transformation
radicale.
Il parlera, agira, raisonnera, comme il l'eût fait à l'âge de 15 ans. Il aura les
connaissances, les goûts, les sentiments, les moeurs qu'il avait à 15 ans, puisque tous
les souvenirs des quinze dernières années auront disparu. Au point de vue mental, ce
ne sera plus un adulte, mais un adolescent.
Une malade, Albertine M..., âgée de 28 ans, pendant le délire ecmnésique se trouva reportée à l’âge de 7
ans, lorsqu'elle était occupée à garder la vache de sa nourrice.
Après avoir observé toute la série des auras qui précèdent habituellement l’explosion de ses
attaques de délire, la malade se remit à marcher lentement en se baissant de temps en temps, comme si
elle eût ramassé des fleurs sur le bord d’une route. Puis elle s’assit par terre en fredonnant une
chansonnette. Quelques instants après elle fit le geste de fouiller vivement dans sa poche et commença
à jouer aux osselets, non sans interrompre souvent sa partie pour parler à sa vache. Nous l’interpellâmes
à ce moment, et elle, croyant avoir affaire aux gamins du village, nous offrit aussitôt de partager ses
jeux. Il fut impossible de lui faire comprendre son erreur. A toutes les questions que nous lui posions
relativement à sa vache, à sa grand-mère, aux habitants du village, elle répondait avec la naïveté d’une
enfant, mais avec une imperturbable précision. Si, au contraire, nous lui parlions des événements dont elle
a été témoin ou acteur dans le courant de son existence, après l’âge de 7 ans, elle paraissait fort étonnée
et ne comprenait rien à nos propos.
Je dois vous signaler deux particularités qui ne manquent pas d’importance. Jusqu'à l’âge de 12 ans,
Albertine est restée dans un petit hameau de la Charente, au milieu de pauvres paysans qui parlaient à
peine le français. Elle-même ne parlait à ce moment que le patois de la Saintonge ; ce n’est que
beaucoup plus tard qu’elle a appris le français.
Aussi, pendant toute la durée de l’attaque, elle s’exprimait en patois, et si nous la priions de parler
français, elle répondait invariablement, et toujours en patois, qu’elle ne connaissait pas la langue des
messieurs de la ville.
La seconde particularité n’est pas moins curieuse. A l’âge de 7 ans, Albertine n’avait pas encore eu d'accidents
hystériques et, selon toute vraisemblance, elle n’avait pas encore d’hémianesthésie ni de zones
hystérogènes. Or, pendant l’accès du délire ecmnésique dont nous nous occupons, la sensibilité
cutanée était normale. aussi bien du côté gauche que du côté droit, et toutes les zones spasmogènes
avaient perdu leur action, sauf la zone ovarienne gauche dont la pression énergique eut pour effet
immédiat d’arrêter le délire. Revenue à l’état normal, la malade n’avait aucun souvenir de ce
qu'elle avait dit et fait pendant cet état.
Notons ici la liaison intime qui existe entre l’état psychique et l’état physiologique
du sujet. Ils sont à tel point associés que le seul fait de reporter Albertine à une
période de sa vie passée, pendant laquelle elle ne présentait pas de désordres
nerveux, supprime ceux dont elle était atteinte à l’époque où a été faite
l’expérience.

AUTRES EXEMPLES D’ECMNESIE
Le phénomène de résurrection des souvenirs oubliés d'une partie de la vie, que M. Pitres
a baptisé du nom d’ecmnésie, a été signalé par beaucoup d’auteurs qui se sont
occupés de somnambulisme.
C'est ainsi que Ch. Richet, dans son livre l’Homme et l'Intelligence1 , appelle notre
attention sur la vivacité des sensations anciennes que l’état magnétique fait renaître.
Si la mémoire active, dit-il, est profondément troublée, en revanche la mémoire passive est plutôt
exaltée. Les somnambules se représentent avec un luxe inouï de détails précis les endroits qu'ils ont vus
jadis, les faits auxquels ils ont assisté. Ils ont pendant leur sommeil décrit très exactement telle ville,
telle maison, qu'ils ont jadis visitées ou entrevues ; mais au réveil, c’est à peine s’ils pourraient
dire qu'ils y ont été autrefois, et X..., qui chantait l’air du 2e acte de l’Africaine pendant son sommeil,
ne put pas en retrouver une seule note lorsqu'elle était éveillée.
Voici une femme qui a été, il y a quinze ans, passer une heure ou deux à Versailles, et qui a
presque complètement oublié cette courte promenade. Elle est même absolument incapable
d'affirmer qu'elle l'a faite. Cependant, qu'on vienne à l'endormir et à lui parler de Versailles,
elle saura se représenter très fidèlement les avenues, les statues, les arbres. Elle verra le parc, les
allées, la grande place, et à la stupéfaction des assistants, donnera des détails extrêmement
précis.
Il n'y a pas que les souvenirs visuels ou auditifs qui se conservent, ce sont aussi
toutes les acquisitions intellectuelles, comme en témoigne l'histoire de Jeanne R...,
que nous devons à MM. Bourru et Burot2.
Jeanne R..., âgée de 24 ans, est une jeune fille très nerveuse et profondément anémique. Elle est
sujette à des crises de pleurs et de sanglots ; pas de crises convulsives, mais de fréquents
évanouissements ; elle est facilement hypnotisable, elle dort d'un sommeil profond et à son réveil elle a
perdu le souvenir.
On lui dit de se réveiller à l'âge de 6 ans. Elle se trouve chez ses parents : on est au moment de
la veillée, on pèle des châtaignes. Elle a envie de dormir et demande à se coucher ! Elle appelle son
frère André pour qu'il l'aide à finir sa besogne, mais André s'amuse à faire de petites maisons avec
des châtaignes au lieu de travailler. Il est bien fainéant, il s'amuse à en peler dix, et moi, il faut que
je pèle le reste.
Dans cet état, elle parle le patois limousin, ne sait pas lire, connaît à peine l'A. B. C. Elle ne sait
pas parler un mot de français. Sa petite soeur Louise ne veut pas dormir. Il faut toujours, dit-elle, dandiner
ma soeur qui a 9 mois. Elle a une attitude d'enfant.
Après lui avoir mis la main sur le front, on lui dit que, dans deux minutes, elle se retrouvera à l'âge
de 10 ans. Sa physionomie est toute différente ; son attitude n'est plus la même. Elle se trouve aux
Frais, au château de la famille des Moustiers, près duquel elle habitait. Elle voit des tableaux et elle
les admire. Elle demande où sont ses soeurs qui l'ont accompagnée, elle va voir si elles viennent sur
la route. Elle parle comme un enfant qui apprend à parler ; elle va, dit-elle, en classe chez les soeurs
depuis deux ans, mais elle est restée bien longtemps sans y aller ; sa mère étant souvent malade,
on l'obligeait à garder ses soeurs et ses frères. Elle commence à écrire depuis six mois, elle se
rappelle une dictée qu'on lui a donnée mercredi, et elle écrit une page entière très couramment et par
coeur ; c'est la dictée qu'elle a faite à l'âge de 10 ans. Elle dit ne pas être très avancée : « Marie
Coutureau aura moins de fautes que moi, je suis toujours après Marie Puybaudet et Marie Coutureau,
mais Louise Roland est après moi. Je crois que Jeanne Beaulieu est celle qui fait le plus de fautes
».
De la même manière, on lui dit de se retrouver à l'âge de 15 ans. Elle sert à Mortemart, chez Mlle
Brunerie : «« Demain, nous allons à une fête, à un mariage, au mariage de Baptiste Colombeau, le
maréchal. C'est Léon qui sera mon cavalier. Oh ! je n'irai pas au bal, Mlle Brunerie ne veut pas ; j'y
vais bien un quart d'heure, mais elle ne le sait pas. » Sa conversation est plus suivie que tout à
1 Voir p. 194.
2 Changements de la personnalité, p. 152.
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l'heure. Elle écrit le Petit Savoyard. La différence des deux écritures est très grande. A son réveil,
elle est très étonnée d'avoir écrit le Petit Savoyard, qu'elle ne sait plus. Quand on lui fait voir la
dictée qu'elle a faite à 10 ans, elle dit que ce n'est pas elle qui l'a écrite.
Je ferai remarquer que le phénomène de reviviscence d'une période de la vie passée
s'est produit chez Albertine, le sujet de M. Pitres, spontanément, comme
conséquence d'une crise d'hystérie, tandis que pour Jeanne R..., c'est à une suggestion
qu'est due cette régression de la mémoire.
Ces remarques montrent bien que, quel que soit le procédé employé, lorsque l'on
peut arriver jusqu'aux couches profondes de la conscience, on y retrouve toujours
fidèlement enregistrés tous les événements du passé, car ils y ont laissé une trace
indélébile que les sensations ultérieures peuvent recouvrir jusqu'au point de les faire oublier
complètement, mais qu'elles ne détruisent jamais. C'est une superposition d'impressions
qui ne se mélangent pas entre elles, qui ont toujours une parfaite autonomie et qui embrassent
tous les états de la personnalité. Ainsi, Jeanne R..., lorsqu'elle est reportée à l'âge de 6
ans, a les sentiments d'un petit enfant, ne connaît pas encore le français et ne
s'exprime qu'en patois limousin ; à ce moment, toute sa vie ultérieure a complètement
disparu pour elle ; cependant nous constatons, comme je le disais plus haut, que chaque
couche de souvenirs se réveille avec une fraîcheur et une vivacité qui équivalent aux
impressions de la vie réelle.
A la suite d'une seconde suggestion, c'est une plus vaste partie du domaine mémorial
qui se trouve rénovée, toujours avec le même luxe de détails se rapportant jusqu'aux
plus infimes circonstances de la vie courante.
Jeanne R..., reproduit de mémoire la dictée qu'elle a écrite mercredi chez les soeurs.
L'écriture est enfantine et l'orthographe défectueuse. C'est donc bien l'état précis de
l'âge de 10 ans qui est rénové. Il ne s'est pas mélangé avec celui de 6 ans, pas plus
qu'il ne s'amalgamera aux souvenirs des périodes suivantes, quand on reporte le sujet
à sa quinzième année ; cette fois l'écriture s'est modifiée, et il est tout à fait
intéressant de faire remarquer que si le mécanisme idéomoteur de l'écriture occupe, chez
le sujet, les mêmes parties du système nerveux, il a subi cependant des modifications
successives, dont chacune a manifestement laissé des empreintes qui ne s'effacent
jamais.
Nous pouvons donc imaginer que les souvenirs successifs s'accumulent par étage, que
tous ceux qui sont contemporains sont reliés entre eux d'une manière intime, de telle
sorte que ce ne sont pas seulement des souvenirs psychologiques qui survivent, mais
aussi tous les états physiologiques concomitants ; si l'un d'eux est rénové, l'autre
apparaît fatalement.
J'insisterai sur ce point en citant le témoignage de M. Pierre Janet1, professeur au
collège de France, qui montre bien clairement cette liaison indissoluble des états
psychiques et physiques du corps à une période quelconque de la vie du même individu :
On peut faire jouer au sujet toutes les scènes de sa propre vie et constater, comme si on se reportait à cette
époque, des détails qu'il croyait oubliés complètement et ne pouvait raconter. Léonie est restée deux
heures métamorphosée en petite fille de 10 ans et elle vivait de nouveau sa propre existence, avec une vivacité
et une joie bien étrange, criant, courant, appelant sa poupée, parlant à des personnes dont elle ne se souvenait
plus, comme si la pauvre femme était réellement retournée à l'âge de 10 ans. Quoiqu'elle soit en ce
moment toujours anesthésique du côté gauche, elle reprenait sa sensibilité complète2 pour jouer ce
rôle.
Ces modifications de la sensibilité et des phénomènes nerveux par une suggestion de ce genre donnent
lieu quelquefois à de singuliers phénomènes. Voici une observation qui semble une plaisanterie, et qui est
cependant exacte et, en réalité, assez facile à expliquer.
Je suggère à Rose que nous ne sommes plus en 1888, mais en 1886, au mois d'avril, pour constater simplement
les modifications de sensibilité qui pourraient se produire. Mais voici un accident bien étrange ; elle gémit, se
plaint d'être fatiguée et de ne pouvoir marcher : « Eh bien ! qu'avez-vous donc ? - Oh ! rien, mais dans ma
1 L'Automatisme psychologique, p. 160.
2 C'est moi qui souligne.

situation. - Quelle situation ? » Elle me répond d'un geste, son ventre s'était subitement gonflé et tendu par
un accès subit de tympanite hystérique : je l'avais, sans le savoir, ramenée à une période de sa vie
pendant laquelle elle était enceinte. Il fallut supprimer la suggestion pour faire cesser cette mauvaise
plaisanterie. Des études plus intéressantes furent faites par ce moyen sur Marie ; j’ai pu, en la
ramenant successivement à différentes périodes de son existence, constater tous les états divers de la
sensibilité par lesquels elle a passé et les causes de toutes les modifications.
Ainsi elle est maintenant complètement aveugle de l’oeil gauche, et prétend être ainsi depuis sa naissance.
Si on la ramène à l'âge de 7 ans, on constate qu'elle est encore anesthésique de l’oeil gauche ; mais si on lui
suggère de n'avoir que 6 ans, on s'aperçoit qu'elle voit bien des deux yeux, et on peut déterminer
l'époque et les circonstances bien curieuses dans lesquelles elle a perdu la sensibilité de l’oeil gauche. La
mémoire a réalisé automatiquement un état de santé dont le sujet n'avait conservé aucun souvenir.
Les trois sujets de M. Pierre Janet, et particulièrement les deux derniers, montrent
bien cette liaison indissoluble des états successifs, corporels et spirituels, dont je parlais
plus haut. Il est tout à fait remarquable que l'on puisse rénover une période
intellectuelle de la vie passée en reproduisant, par suggestion, ou par un procédé
physique, un état pathologique que le sujet a éprouvé jadis. Par exemple, si à l'âge de
12 ans un individu était insensible du côté droit, et que cette infirmité ait disparu, si
l'on produit artificiellement une anesthésie du côté droit, immédiatement ce sujet
reprend le caractère, les manières, les souvenirs qu'il possédait à l'âge de 12 ans.
HISTOIRE DE LOUIS V...
L'histoire de Louis V..., que j'emprunte encore à MM. Bourru et Burot, confirme
cette affirmation d'une manière absolue. Comme le récit de ces savants est un peu
long, je crois utile de le résumer ici :
Louis V... était un hystérique qui, à la suite d'un vol, fut enfermé à la colonie de Saint-Urbain. A ce
moment, il est docile et intelligent. On l'occupe à des travaux agricoles. Après l'émotion produite par
la vue d'une vipère, il devient paralysé des membres inférieurs.
Transporté à Bonneval, sa figure est ouverte et sympathique, le caractère est doux et docile ; il
regrette fort son passé et affirme qu'à l'avenir il sera plus honnête. On lui apprend le métier de
tailleur.
Un jour, il est pris d'une crise qui dure cinquante heures, à la suite de laquelle il n'est plus paralysé. Il a
perdu complètement le souvenir de sa translation ; il se croit encore à Saint-Urbain et veut aller
travailler aux champs. Ce n'est plus le même sujet moral, il est devenu querelleur, gourmand et voleur,
il répond impoliment. En 1881, il paraît guéri et sort de l'asile.
Après un séjour chez sa mère, à Chartres, il est placé à Mâcon, chez un propriétaire agricole. Tombé
malade, il est transféré à l'asile de Saint-Georges, près de Bourg (Ain). On constate qu'il est tantôt
exalté, tantôt presque stupide et imbécile.
En 1883, on le croit guéri et, muni d'un pécule, il sort de Saint-Georges pour rentrer dans son pays.
Il arrive à Paris on ne sait comment. Il est admis en premier lieu à Sainte-Anne et en dernier
lieu à Bicêtre. Le 17 janvier 1884, il a une nouvelle attaque très violente, qui se reproduit les jours
suivants avec accès de thoracalgie et alternatives de paralysie et de contractures du côté gauche et du
côté droit. Le 17 avril, à la suite d'une crise légère, la contracture du côté droit a disparu. Il se réveille
le lendemain et se croit au 26 janvier. Pendant les six derniers mois de l'année 1884, V... n'a présenté
aucun phénomène nouveau. Son caractère est modifié. Il était doux pendant la période de contracture ;
en dehors de ces périodes, il est indiscipliné, taquin et voleur.
Le 2 janvier 1885, après une scène de somnambulisme provoqué, suivie d'une attaque, il s'évade de
Bicêtre en volant des effets d'habillement et de l'argent.
Après quelques semaines passées à Paris, il contracte un engagement dans l'infanterie de marine et
arrive à Rochefort. A la caserne, il commet des vols, passe en conseil de guerre. Un non-lieu est
prononcé et le 27 mars il entre à l'hôpital. Le 30, il présente une contracture de tout le côté droit, qui se
dissipe au bout de deux jours, mais il reste paralysé et insensible de toute la moitié du corps.
Lorsque ce sujet a été placé à l'hôpital de Rochefort, il avait une paralysie avec insensibilité du
côté droit et il ne connaissait de sa vie que la deuxième partie de son séjour à Bicêtre, et enfin son

séjour à Rochefort, où il se trouve. On essaya sur lui l'action des métaux et de l'aimant ; on put par
ces moyens ramener tous les états pathologiques antérieurs, et en même temps réveiller la mémoire de tous
les états psychiques concomitants. C'est d'ailleurs de cette manière que l'histoire de Louis V... fut
reconstituée en entier par ces messieurs qui en ignoraient les particularités, et l'enquête à laquelle ils se
livrèrent permit de constater la parfaite authenticité de tous les détails fournis par le sujet dans
chacun de ces états, alors qu'il en perdait le souvenir aussitôt qu'il revenait à son état du moment.
Ces changements sont obtenus, et c'est un point très important, par des agents physiques qui déterminent
des modifications physiologiques se révélant par des transformations dans la distribution de
la sensibilité et de la motilité. En même temps que ces alternances physiques, se produisent des
transformations régulières de l'état de conscience, si constantes que, pour faire disparaître à son gré
tel ou tel état psychologique, il suffit à l'expérimentateur de provoquer par l'application convenable
de l'aimant, d'un métal, de l'électricité, telle ou telle modification de la sensibilité et de la motilité.
Et cet état de conscience est complet pour l'état qu'il embrasse ; mémoire du temps, des lieux, des
personnes, des connaissances acquises (lecture, écriture), des mouvements automatiques appris (art du
tailleur), sentiments propres et leur expression par le langage, le geste, la physionomie ; la concordance
est parfaite.
Envisagés seuls, disent les auteurs, les changements subits de l'état physique sont déjà bien surprenants.
Transporter et, mieux encore, faire disparaître à son gré sensibilité, motilité, anesthésie dans tout le
corps ou dans une partie déterminée du corps, semble toucher au merveilleux.
Ce changement si étonnant n'approche pas encore de la transformation qui s'opère
simultanément et par le même agent dans le domaine de la conscience. Tout à l'heure, le sujet
ne connaissait qu'une partie limitée de son existence ; après une application de l'aimant, il se
trouve transporté à une autre période de sa vie avec les goûts, les habitudes, les allures qu'il avait alors.
Que le transfert soit bien conduit et on le débarrasse de toute infirmité du mouvement ou de la
sensibilité ; en même temps le cerveau se dégage presque en entier, le livre de la vie est
complètement ouvert et l'on peut lire aisément dans tous les feuillets.
C'est dans ce livre que nous avons dû feuilleter pour connaître la vie de notre malade que nous ignorions
absolument. Il y avait beaucoup de pages arrachées ; il fallait les reconstituer.
Il a suffi d'appliquer un aimant sur les cuisses pour faire apparaître tel ou tel état physique entraînant
sa mémoire propre, mais dans aucune condition il n'a été possible de faire apparaître la mémoire totale,
parce que, dans aucun cas, l'absence de troubles physiques n'était complète.
Il restait à faire l'épreuve complémentaire, agir directement sur l'état de conscience et constater si l'état
physique se transformerait parallèlement.
Pour agir sur l'état psychique, on n'avait d'autre moyen que la suggestion, dans la forme suivante :
V..., tu vas te réveiller à Bicêtre, salle Cabarnis, le 2 janvier 1884. V... obéit ; au sortir du somnambulisme
provoqué, l'intelligence, les facultés affectives sont exactement les mêmes que dans le deuxième état.
En même temps, il se trouve paralysé et insensible de tout le côté gauche du corps.
Dans une autre suggestion, on lui commande de se trouver à Bonneval alors qu'il était tailleur. L'état
mental obtenu est semblable à celui décrit au quatrième état, et simultanément est apparue la
paralysie avec contracture et insensibilité des parties inférieures du corps.
La vérification est donc complète ; il est certain que les états psychiques et
physiques contemporains s'enregistrent ensemble dans l'organisme, où ils sont liés
les uns aux autres d'une manière indissoluble.
Que l'on ne croie pas que cette rénovation intégrale des souvenirs soit seulement le
privilège des somnambules. En réalité, chacun de nous les conserve. Je vais montrer que
les personnes normales peuvent, dans certaines circonstances, revoir les événements
de la vie entière jusque dans leurs plus infimes détails.

LA MÉMOIRE LATENTE
La suggestion pendant le sommeil hypnotique n'est pas le seul procédé qui permette de
rénover le souvenir du passé ; normalement, dans certains cas de maladie, on a pu
constater la reviviscence de périodes de la vie antérieure complètement oubliées à l'état
de veille ; c'est ainsi que la résurrection se produit dans les cas de fièvre aiguë, dans
l'excitation maniaque, dans l'extase et dans la période d'incubation de certaines
maladies du cerveau.
Ne pouvant m'étendre sur ces exemples particuliers, il me paraît intéressant de signaler
les réveils de souvenirs qui se produisent normalement, à la suite de certaines
circonstances.
Une dame, à la dernière période d'une maladie chronique, fut conduite de Londres à la campagne. Sa
petite fille, qui ne parlait pas encore, lui fut amenée, et après une courte entrevue, elle fut reconduite à
la ville. La dame mourut quelques jours après, la fille grandit sans se rappeler sa mère, jusqu'à l'âge mûr.
Ce fut alors qu'elle eut l'occasion de voir la chambre où sa mère était morte. Quoiqu'elle l'ignorât, en
entrant dans cette chambre, elle tressaillit ; comme on lui demandait la cause de son émotion : « J'ai,
dit-elle, l'impression distincte d'être venue autrefois dans cette chambre. Il y avait dans ce coin une
dame couchée, paraissant très malade, qui se pencha sur moi et pleura.
Un homme doué d'un tempérament artistique très marqué (ce point est à noter) alla avec des amis faire
une partie près d'un château du comté de Sussex qu'il n'avait aucun souvenir d'avoir visité. En
approchant de la grande porte, il eut une impression extrêmement vive de l'avoir déjà vue, et il revoyait
non seulement cette porte, mais des gens installés sur le haut, et en bas des ânes sous le porche. Cette
conviction singulière s'imposant à lui, il s'adressa à sa mère pour avoir quelques éclaircissements sur ce
point. Il apprit d'elle qu'étant âgé de 16 mois, il avait été conduit dans cet endroit, qu'il avait été
porté dans un panier sur le dos d'un âne ; qu'il avait été laissé en bas avec les ânes et les domestiques,
tandis que les plus âgés de la bande s'étaient installés pour manger au-dessus de la porte du château1.
Il est intéressant de signaler que des impressions qui, probablement n'ont pas été
conscientes, se sont stéréotypées dans le cerveau de cet enfant de 16 mois et avec
assez d'intensité pour se réveiller un grand nombre d'années plus tard avec la plus
entière fidélité.
Le sommeil anesthésique, dû au chloroforme ou à l'éther, peut produire les mêmes
effets que l'excitation fébrile :
Un vieux forestier avait vécu pendant sa jeunesse sur les frontières polonaises et n'avait guère parlé
que le polonais. Dans la suite, il n'avait habité que des districts allemands. Ses enfants assurèrent que,
depuis trente ou quarante ans, il n'avait entendu ni prononcé un seul mot de polonais. Pendant une
anesthésie qui dura près de deux heures, cet homme parla, pria, chanta, rien qu'en polonais2.
Même au cours de la vie normale, certaines émotions violentes ont pour résultat de
mettre tout à coup en action le mécanisme de la mémoire avec une intensité
réellement extraordinaire. Les deux exemples suivants peuvent nous donner une idée de
ce qui doit se passer souvent au moment de la mort, ou peu de temps après la
désincarnation.
Il y a plusieurs récits de noyés, sauvés d'une mort imminente, qui s'accordent sur ce point qu'au moment où
commençait l'asphyxie il leur a semblé voir, en un moment, leur vie entière dans ses plus petits
incidents. L'un d'eux prétend qu'il lui a semblé voir toute sa vie antérieure se déroulant en succession
rétrograde, non comme une simple esquisse ; mais avec des détails très précis formant comme un panorama
de son existence entière, dont chaque acte était accompagné d'un sentiment de bien ou de mal.
Dans une circonstance analogue, un homme d'un esprit remarquablement net traversait une voie de chemin
de fer au moment où un train arrivait à toute vitesse. Il n'eut que le temps de s'étendre entre les deux
lignes de rails. Pendant que le train passait au-dessus de lui, le sentiment de son danger lui remit en mémoire
tous les incidents de sa vie comme si le livre du jugement avait été ouvert devant ses yeux3.
1 Abercrombie Essay on Intellectuel Powers, p.120
2 M. DUVAL, article Hypnotisme dans le Nouveau dictionnaire de médecine, etc., p. 144.
3 Au sujet de cette vision rétrospective de la vie actuelle; voir dans la Revue spirite à
partir ou mois de septembre 1922 les remarquables articles de M. Ernest BOZZANO, parus
sous le titre : De la vision panoramique ou Mémoire synthétique dans l’imminence de la
mort.

Il semble donc évident, d'après les exemples cités, que toutes les sensations que nous
avons ressenties se sont enregistrées en nous et y ont laissé des traces indélébiles. Sans
aucun doute, cet immense amas de connaissances de toute nature n'est pas resté
présent à la conscience, car, ainsi qu'on l'a fait justement observer, l'oubli d'une
quantité énorme d'événements insignifiants est une des conditions de la mémoire ; mais ce
qui est tout à fait remarquable, c'est que l'oubli n'implique nullement l'anéantissement des
souvenirs. L'expérience nous montre que tout ce qui a agi sur nous est fixé à tout jamais
dans les profondeurs de notre être, en quelque sorte dans les dessous de la conscience, et
que tous ces souvenirs, alors même que nous semblons ne pouvoir les rénover, ne
continuent pas moins de vivre d'une manière latente et constituent les fondements de
notre personnalité, chaque souvenir physique ou intellectuel ayant contribué pour sa part
à l'édification de notre vie mentale.
Dans son livre sur les Névroses et les idées fixes, M. Pierre Janet a illustré cette thèse par
une quantité d'observations cliniques des plus démonstratives. Sa méthode consiste à
découvrir l'idée fixe, souvent ignorée du malade, qui est la cause de tous ses désordres
mentaux et physiques.
Voici ce qu'il dit à ce sujet :
Souvent l'existence de l'idée fixe ne peut être mise au jour que pendant les attaques, les rêves, les
somnambulismes, ou par les actes subconscients et les écritures automatiques. En un mot, ces idées restent
au-dessous ou plutôt en dehors de la conscience normale, et cependant n'en exercent pas moins une influence
prépondérante, puisqu'elles sont l'origine de la maladie du sujet.
A l'immense magasin de sensations visuelles auditives ou olfactives, tactiles,
cénesthésiques, etc.., que nous avons consciemment ressenties, s'ajoutent encore
d'autres impressions qui sont entrées en nous pour ainsi dire d'une manière furtive et s'y
sont fixées à notre insu ; de sorte que, le jour où elles réapparaissent, elles nous
semblent des phénomènes extra-normaux provenant de facultés supérieures.

VISION DANS LA BOULE DE CRISTAL
Un des moyens qui ont servi à extérioriser les images mentales est celui de la boule de cristal.
On sait, en effet, que certaines personnes, après l'avoir considérée quelques
instants, voient d'abord un nuage, puis dans celui-ci se dessinent des étoiles, des
barres, des chiffres, des lettres, des figures colorées, des personnages, des animaux,
des arbres, des fleurs. Parfois ces images sont mobiles ; les personnages vont et
viennent et même peuvent causer entre eux.
D'où viennent ces visions ?
D'après les auteurs anglais qui les ont le mieux étudiées, ce sont des hallucinations
visuelles qui extériorisent les images contenues dans le cerveau de l'expérimentateur.
Ce qui cause la surprise du voyant, c'est que, souvent, il ne reconnaît pas ces paysages ou
ces objets, mais une minutieuse recherche permet parfois de retrouver la preuve que
ce sont des choses qu'il a vues inconsciemment, qui sont ainsi ressuscitées et
projetées dans la boule de verre.
En voici trois exemples empruntés aux Proceedings.
Une jeune fille raconte qu'en regardant dans le miroir elle était obsédée par une image toujours la
même ; une maison avec de grands murs noirs sur lesquels brillait une touffe de jasmin blanc. Elle
assurait n'avoir jamais vu une maison pareille dans la ville où elle était depuis longtemps.
Une personne mise en face de la boule de verre y voit apparaître un numéro 3.244. Pourquoi ce chiffre
plutôt qu'un autre ?
Mais voici ce qui touche au mystère.
Miss X... voit apparaître dans la boule de verre un article de journal, parvient à y lire l'annonce de la mort
d'une personne de ses amis. Elle raconte ce fait : les personnes présentes sont stupéfaites. Quelques heures
après, la nouvelle est confirmée officiellement et on est tenté d'admettre une prévision miraculeuse.

Cependant en y regardant de plus près, chacun de ces cas reçoit une explication purement naturelle.
En effet, d'après une enquête des membres de la Société Psychique, il fut constaté qu'il y avait à
Londres une maison qui avait toute l'apparence de celle décrite par le premier sujet et que celui-ci
avait vue. Il avait passé à côté en pensant à autre chose.
Quant à l'histoire du numéro, il fut démontré que, dans la journée, la personne avait changé un billet de
banque et que ce numéro était celui du billet. Il est bien probable que ce numéro avait été vu, mais il
n'avait pas laissé de souvenirs conscients.
Arrivons enfin à cette révélation singulière de la mort d'un ami : la pauvre voyante dut perdre un peu
de son illusion lorsqu'on trouva dans la maison un numéro d'un journal accroché devant la cheminée,
comme paravent. Or, sur le côté visible s'étalait, en toutes lettres, l'article en question, avec les
mêmes caractères, la même forme qu'il avait revêtue dans le cristal.
C'était donc bien l'extériorisation d'un cliché visuel qui avait été enregistré inconsciemment.
Ce dernier exemple nous montre avec quelle prudence il faut apprécier les faits
d'apparence extra-normale. Ce qui rend l'étude du spiritisme très difficile, c'est que,
presque toujours, le véritable phénomène spirite se double d'un autre qui n'en est
qu'une contrefaçon. C'est ainsi que l'écriture automatique simule l'écriture
mécanique des médiums, que l'hallucination véridique ressemble à une apparition
véritable, que l'objectivation des types ressemble aux faits d'incarnation, que
l'idéoplastie se distingue parfois si difficilement d'une matérialisation d'esprit, de
même que la paramnésie, comme Il nous le verrons plus loin, peut être prise pour
un souvenir de vie antérieure. Sans exagérer l'importance de ces phénomènes
d'animisme, il faut cependant bien les connaître, si on ne veut pas s'exposer à de
graves mécomptes. Voici des faits qui ressemblent à ceux de la clairvoyance et qui
ne relèvent que de la cryptomnésie, c'est-à-dire de la mémoire latente.

CRYPTOMNÉSIE
Un monsieur Brodelbank perd un couteau de poche. Six mois après, sans être préoccupé le moins du
monde de cette perte, il rêve que ce couteau est dans la poche d'un pantalon qu'il avait mis à la
défroque. En se réveillant l'idée lui vint de savoir si son rêve était exact, il alla chercher son pantalon
et retrouva le couteau dans une poche.
C'est évidemment un souvenir oublié qui surgissait pendant le sommeil. On peut en dire
autant du récit qui suit :
Dans son ouvrage : Le Sommeil et les Rêves, le professeur Delboeuf raconte que, dans un rêve, le nom
de l'Asplenium Ruta Muralis lui parut un nom familier. En s'éveillant, il se creusa en vain la tête
pour découvrir où il pouvait avoir appris cette appellation botanique. Longtemps après, il découvrit
le nom Asplenium Ruta Muraria écrit par lui-même dans une collection de fleurs et de fougères à côté
desquelles il avait inscrit les noms sous la dictée d'un ami.
Dans l'exemple suivant, il y a plus qu'un simple rappel de mémoire. Il semble
qu'un certain nombre d'impressions visuelles ont été enregistrées inconsciemment,
comme nous verrons tout à l'heure que cela est possible ; puis sous l'influence de
l'attention, elles ont été retrouvées par l'esprit pendant le sommeil. Voici le cas :
En arrivant à l'Hôtel Morley, à 3 heures, dit Mme Bickford Smith, mardi 29 janvier 1889, je m'aperçus
que j'avais perdu ma broche, en or, et je supposai que je l'avais laissée dans une salle d’essayage, chez
Swan et Edgar. J'envoyai voir et fus désappointée d'apprendre que toutes les démarches avaient été
inutiles. J'étais très contrariée et la nuit je rêvai que je la trouvais dans un numéro de la Queen qui
avait été sur la table, et dans mon rêve je voyais même la page où elle était. J'avais remarqué une
des gravures de cette page. Aussitôt après le déjeuner, j'allai chez Swan et Edgar et demandai les
journaux, racontant en même temps aux jeunes femmes mon rêve et où j'avais revu la broche.
Les journaux avaient été enlevés de cette chambre ; mais on les retrouva et au grand étonnement
des jeunes femmes je dis : « Voici celui qui contient ma broche », et à la page où je m'y attendais, je
trouvai la broche.
J'essayerai de tirer les conclusions de l'ensemble de toutes ces observations, et nous
verrons combien elles confirment les enseignements du spiritisme par les esprits et les
résultats expérimentaux obtenus par les savants depuis un demi-siècle dans le monde
entier.

CHAPITRE VII
Les expériences de rénovations de la mémoire.
Le périsprit est le conservateur de tous les acquis physiologiques et intellectuels. – Après la mort, le
périsprit a conservé toutes ses sensations terrestres. – La période trouble obnubile les facultés
intellectuelles. – Comme sur la terre, dans l’espace la mémoire est fragmentaire chez les êtres peu
évolués. – Elle peut se réveiller comme celle d’ici-bas par l’action magnétique. – Le Dr Cailleu. –
Etudes sur les séances où se produisent de prétendues révélations sur les vies antérieures du sujet ou
des assistants. – Difficultés de l’expérimentation magnétique pour obtenir la régression de la mémoire
des vies antérieures : 1° Simulation ; 2° Personnalité fictive ; 3° Clairvoyance. – Les cas de MM.
Estevan Marata, Gastin, Cornillier, Henri Sausse, Bouvier. – La réincarnation en Angleterre. – Les
vies successives de M. de Rochas. – Des Indes à la planète Mars, du professeur Flournoy. – Le cas de
la princesse Simandini. – Réveil de souvenirs pendant la trance, encore en Angleterre. – Le rapport du
prince de Wittgenstein. – Réveil, chez un sujet, de la mémoire d’une langue étrangère, en Allemagne.

– Le cas du fou Sussiac. – Résumé.
Les quelques exemples que je viens de rapporter au sujet de la mémoire ne sont que des cas
particuliers pris parmi un très grand nombre d'autres, ce qui nous autorise à croire que
toute action exercée sur l'être humain y laisse une trace indélébile, et que, si généralement
la mémoire ordinaire ne nous rappelle que les faits les plus importants de notre existence, il
n'en est pas moins vrai que les événements les plus futiles sont gravés en nous et qu'ils
peuvent reparaître sous l'influence de causes diverses, normales ou provoquées.
Où se fait cet enregistrement des sensations ? Dans quelle partie de notre être a-t-il lieu ?
C'est un problème qui n'a pas encore été résolu, et il est très curieux que la science, qui nous a
fait connaître le monde et ses lois, soit restée impuissante à pénétrer jusque dans les
profondeurs de l'être humain. Ni les physiologistes, ni les psychologues ne sont capables de
nous expliquer un fait aussi simple et aussi banal que le sommeil, car, d'après M. Claparède,
il existe 21 théories du sommeil, ce qui prouve manifestement qu'aucune d'elles
n'est exacte, chacune n'envisageant qu'un aspect de la question. Il en est de même pour la
mémoire.
Les savants matérialistes affirment qu'elle est contenue dans le système nerveux, mais il
leur est impossible d'indiquer, d'une manière précise, quelles sont les modifications de ce
système qui s'effectuent au moment où une impression pénètre dans la masse nerveuse et
comment elle peut renaître pour produire la mémoire.
Maudsley, en effet, dit qu'il y a dans les centres nerveux des résidus provenant des
réactions motrices. Les mouvements déterminés ou effectués par un centre nerveux
particulier laissent comme les idées leurs résidus respectifs qui, répétés plusieurs fois,
s'organisent ou s'incarnent si bien dans sa structure que les mouvements correspondants
peuvent avoir lieu automatiquement.
On saisit ici le vague et l'imprécision des termes qui masquent mal ceux de la pensée ;
d'ailleurs, l'auteur anglais le sent lui-même, car il ajoute :
Quand nous disons une trace, un vestige ou un résidu, tout ce que nous voulons dire, c'est qu'il reste dans
l'élément organisme un certain effet, un quelque chose qu'il retient et qui le prédispose à fonctionner de
nouveau de la même manière.1
1 MAUDSLEY, Psychologie de l'esprit, trad. Herzen, p. 23 et 252.

M. Ribot convient qu'il est impossible de dire en quoi consiste cette modification. Ni le
microscope, ni les réactifs, ni l'histologie, ni l'histochimie ne peuvent nous l'apprendre1. En
somme, ces auteurs admettent que les molécules de la matière vivante qui a reçu
l'action d'une force extérieure ne vibrent plus de la même manière que précédemment,
elles sont dans un nouvel état d'équilibre, et si une impulsion de la môme nature vient
de nouveau à s'exercer sur elles, le mouvement se produira, cette fois, avec plus de
facilité que la première et s'incarnera pour ainsi dire dans la substance à laquelle il
aura communiqué une propriété nouvelle.
M. Ribot voit dans l'association de ces mouvements de toutes les parties du système
nerveux une condition essentielle de la mémoire et cite un certain nombre de faits qui
semblent appuyer fortement sa manière d'interpréter ces phénomènes.
C'est ainsi que les mouvements de la marche exigent la participation d'un très grand
nombre d'éléments moteurs et nerveux qui ont besoin d'être coordonnés, associés, afin
de produire le déplacement voulu. Il entre en jeu des cellules différant entre elles par le
volume, par la forme (fusiformes, géantes, pyramidales, etc.), par leur position dans les
diverses parties de l'axe cérébro-spinal, puisqu'elles sont répandues depuis l'extrémité
inférieure de la moelle jusqu'aux couches corticales.
Tous ces éléments jouent leur partie dans ce concert. M. Ribot résume ainsi ces
observations :
Nous croyons donc de la plus haute importance d'attirer l'attention sur ce point : que la mémoire
organique ne suppose pas seulement une modification des éléments nerveux, mais la formation entre eux
d'associations déterminées pour chaque événement particulier, l'établissement de certaines associations
dynamiques qui, par la répétition, deviennent aussi stables que les connexions anatomiques primitives. A nos
yeux, ce qui importe comme base de la mémoire, ce n'est pas seulement la modification imprimée à chaque
élément, mais la manière dont plusieurs éléments se groupent pour former un complexus.
La mémoire psychologique proprement dite suggère les mêmes réflexions, car nos idées
s'associent entre elles suivant des lois déterminées par la contiguïté, la ressemblance, la
différence, etc.
Il faut noter, en outre, qu'une de ces associations secondaires peut entrer, à son tour,
dans d'autres groupes, afin d'y jouer un rôle différent, car les rapports dynamiques,
créés, par exemple, pour la marche, peuvent servir avec d'autres modifications pour le
patinage, la natation ou la danse.
Est-ce bien réellement dans la masse nerveuse que s'organisent ces associations et peuton
concevoir rationnellement que ce soit le lieu de leur conservation ? Je ne le crois
pas, et voici pourquoi : si l'on admet, avec Claude Bernard, que tous ces mouvements
produits dans l'organisme exigent la destruction de la substance vivante, le cerveau
qui fonctionne avec une activité ininterrompue doit se renouveler un nombre
considérable de fois pendant 1a durée de l'existence, de sorte que le mouvement
imprimé à une cellule nerveuse doit aller en s'affaiblissant de plus en plus à meure que
s'augmente le nombre des rénovations de cette cellule ; dès lors, on conçoit mal comment
se maintiendraient des relations dynamiques stables au milieu du perpétuel changement
des molécules constituant les milliards de petits organismes qui forment la trame de la
substance nerveuse, de manière qu'à la fin de la vie, quand ces reconstitutions ont eu
lieu des centaines de fois, le souvenir des premières années devrait avoir disparu
complètement.
Or il se trouve que l'observation a démontré que chez les vieillards ce sont les souvenirs
du jeune âge qui persistent les derniers. Cette anomalie est inexplicable, si réellement
c'est le système nerveux qui est l'enregistreur de toutes les sensations.
C'est ici qu'intervient l'enseignement spirite, il apporte une explication nouvelle,
comme je l'ai dit déjà à plusieurs reprises. Nous savons que l'âme humaine est associée à
une substance infiniment subtile à laquelle Allan Kardec a donné le nom de périsprit.
Ce corps spirituel existe pendant la vie et survit à la mort. C'est lui qui est le moule
dans lequel la matière physique s'incorpore, ou, plus exactement, le plan idéal qui
1 RIBOT. Maladies de la mémoire, p. 14.

contient les lois organo-géniques de l'être humain ; le périsprit est attaché au corps par
l'intermédiaire du système nerveux ; toute sensation qui ébranle la masse nerveuse
dégage cette sorte d'énergie à laquelle on a donné les noms les plus divers : fluide
nerveux, fluide magnétique, force ecténique, force psychique, force biologique, etc., etc.
Cette énergie agit sur le périsprit pour lui communiquer le mouvement vibratoire
particulier suivant le territoire nerveux qui a été excité (vibration visuelle, auditive,
tactile, musculaire, etc.), de manière que l'attention de l'âme soit éveillée et que se
produise le phénomène de la perception ; dès ce moment, cette vibration fait partie
pour toujours de l'organisme périsprital, car, en vertu de la loi de conservation de
l'énergie, elle est indestructible. Sans doute, elle pourra disparaître du champ de la
conscience, mais, nous l'avons vu, elle persiste inaltérée dans les profondeurs de cette
mémoire latente que l'on appelle aujourd'hui l'inconscient ; ce sont les expériences
spirites qui ont établi la certitude absolue de ce corps spirituel qui se rend visible,
pendant le dédoublement de l'être humain, et qui témoigne de sa persistance après la
mort, par les apparitions, et surtout au. moyen des matérialisations. Ces derniers
phénomènes, qui reconstituent momentanément l'être humain tel qu'il existait sur la terre
physiquement et intellectuellement, prouvent avec une lumineuse évidence que c'est
bien lui qui organise et maintient le corps humain et qui, suivant la claire expression
de Claude Bernard, en contient l'idée directrice, la structure et les fonctions ; c'est en lui
que réside la raison dernière des fonctions biologiques et psychologiques de tous les
êtres vivants.
C'est parce que le périsprit est indestructible que nous emportons après la mort
l'intégralité de toutes nos acquisitions terrestres et que la mémoire se réveille entière et
complète chez les êtres suffisamment évolués, de manière à nous faire embrasser le
panorama de notre existence passée.
Nous allons voir un peu plus loin les conséquences qui en résultent pour la vie spirituelle
et pourquoi le souvenir des vies antérieures n'est pas également rénové par tous les esprits
qui habitent l'espace.
Il est encore difficile à l'heure actuelle de nous représenter avec exactitude les conditions
de la vie d'outre-tombe ; cependant les nombreuses communications obtenues depuis un demisiècle
dans le monde entier nous permettent de nous faire une idée générale de l'état
psychologique de l'âme après la mort. Nous savons que la séparation entre l'esprit et la
matière produit une période de trouble pendant laquelle l'âme n'a pas une conscience
exacte de sa nouvelle situation ; elle est comme dans un rêve, et tantôt elle ignore tout du
monde matériel qu'elle vient de quitter, tantôt elle en a de vagues perceptions qui, se
mélangeant avec ses souvenirs, lui donnent une sorte d'existence anormale comparable
au délire qui accompagne certaines maladies terrestres. C'est dans cette catégorie qu'il faut
classer ces esprits qui se croient encore vivants et dont parfois les manifestations
donnent lieu à ces phénomènes de hantise qui ont été si souvent constatés. Si l'on évoque les
êtres qui sont dans cette situation, on n'en obtient le plus souvent que des réponses
incohérentes, mais peu à peu cette sorte de maladie périspritale prend fin, soit
normalement, soit sous l'influence des esprits protecteurs, et alors l'âme s'éveille dans son
nouveau milieu et les souvenirs de la vie terrestre peuvent renaître dans toute leur
intégralité.
Nous avons constaté que la mémoire s'inscrit dans le périsprit pour ainsi dire par couches
successives, puisque dans les phénomènes de régression de la mémoire signalée par MM.
Pitres, Bourru, Burot, Pierre Janet, etc., chaque âge ressuscite tous les événements
contemporains, et que ceux de l'époque de 19 ans, par exemple, sont associés entre eux d'une
manière indissoluble et ne se confondent ni avec ceux des âges antérieurs ni avec ceux qui
les ont suivis.
Mieux encore, chez certains sujets, tels que Louis V..., l'état physiologique est inséparable de
l'état psychologique qui lui est associé ; ceci nous permet de comprendre comment, pendant
une matérialisation, l'esprit se recréant momentanément un corps physique qui est la
représentation de celui qu'il possédait à une période de sa vie terrestre, peut le faire par un
simple acte de sa volonté, c'est-à-dire par autosuggestion.
Il est possible de comparer l'action du corps spirituel à celle d'un champ de force
magnétique ou électrique, car l'on sait que ceux-ci peuvent agir sur la matière au
moyen des lignes de force qui forment des dessins plus ou moins compliqués, suivant pour

l'aimant, par exemple, la forme des pôles. Il est donc possible d'imaginer que tous les
organes terrestres sont représentés dans le périsprit ; qu'au moment de la matérialisation,
c'est l'énergie fournie par le médium qui met le mécanisme en action, et que cette matière
extériorisée à laquelle on donne aujourd'hui le nom d'ectoplasme, qui émane également du
même médium, vient s'incorporer mécaniquement dans ce même canevas fluidique auquel
elle obéit passivement si l'extériorisation de cette matière n'est pas contrariée par des
influences perturbatrices.
L'on conçoit aisément qu'un phénomène aussi anormal s'accompagne de troubles plus ou
moins prononcés en ce qui concerne l'état psychologique, et que, pendant les apparitions
tangibles, l'être qui se manifeste ainsi ait, dans les premiers temps, une grande difficulté à
se servir de son cerveau périsprital qui vient d'être si profondément et si subitement
modifié. Ces remarques nous aident à comprendre pourquoi les apparitions de vivants ou
celles qui se produisent peu de temps après la mort sont, en général, peu loquaces et fort
avares de renseignements si l'on vient à les interroger. Mais il n'en est plus de même
quand on a affaire à des esprits qui peu à peu se sont habitués à ce nouvel état, car alors l'on
constate que leurs facultés intellectuelles reprennent petit à petit leur fonctionnement
normal, tel qu'il était sur la terre. C'est ce que l'on put observer avec Katie King, qui dans les
derniers temps de ses apparitions racontait aux enfants de M. Crookes des événements
de sa vie passée dans l'Inde ; ou bien avec Mme Estelle Livermore qui finit au bout de
200 séances par pouvoir écrire les messages en français, langue qu'elle possédait parfaitement,
alors que le médium Kate Fox l'ignorait complètement. Ces constatations expérimentales
ont pour moi, je ne saurais trop le répéter, une valeur de premier ordre, puisqu'elles
montrent que c'est l'esprit qui possède le pouvoir d'organiser la matière, que c'est en lui
que résident les facultés intellectuelles et non dans le corps physique qui, lui, a disparu
et dont les éléments sont dispersés dans la nature. Si la mémoire de la dernière vie
terrestre est rénovée après la mort, il n'en est pas de même dans beaucoup de cas pour
celle des existences antérieures, et les ennemis du spiritisme ont essayé de se servir de cet
argument pour combattre la théorie de la réincarnation. Mais ici encore l'observation des faits
nous permet de comprendre cette anomalie apparente.
Nous avons vu qu'il existe des séries de mémoires superposées et que les couches
superficielles sont accessibles à la conscience. Si l'on veut pénétrer plus profondément
dans le magasin du souvenir, il est nécessaire de plonger le sujet dans l'état somnambulique,
celui-ci ayant pour résultat de dégager partiellement l'âme du corps en rendant
au périsprit le mouvement vibratoire qui lui est propre. Alors, de même que dans un rayon
de lumière blanche il existe des longueurs d'ondes différentes les unes des autres qui
s'étendent bien au delà de la partie visible, de même dans le corps spirituel on constate
des zones d'intensité vibratoire prodigieusement différentes. Les couches périspritales des vies
antérieures ont un minimum de mouvements vibratoires qui les rend inconscientes pour les
esprits peu évolués, de sorte qu'ils ignorent s'ils ont vécu antérieurement et qu'ils peuvent
soutenir de la meilleure foi du monde qu'il n'existe qu'une vie terrestre. Mais il est possible de
réveiller chez ces esprits les souvenirs en les magnétisant, et alors se déroulent devant
eux le panorama du passé. Que l'on ne croie pas cette explication inventée pour les
besoins de la cause ; ici encore je reste sur le terrain expérimental et il est tout à fait
remarquable, que ce soient nos instructeurs spirituels qui nous aient mis sur la voie de
cette découverte. A une époque où l'on ne connaissait pas les expériences sur la
régression de la mémoire, Allan Kardec nous enseignait que, dans l'espace, l'esprit peut
être magnétisé comme sur la terre et par ce moyen reconquérir la plénitude d'une mémoire
intégrale ; voici, en effet, ce que nous lisons dans la Revue Spirite de 1866, pages 175 et
suivantes (je cite ce passage parce qu'il semble bien confirmer l'opinion émise plus haut).
Il s'agit de l'esprit d'un médecin très estimé, le docteur Cailleu ; il raconte, par l'intermédiaire du médium
Morin, que, bien qu'il fût sorti depuis assez longtemps du trouble, il se trouva un jour dans un état
semblable à une espèce de sommeil lucide.
Il dit : lorsque mon esprit a subi une sorte d'engourdissement, j'étais en quelque sorte magnétisé par le
fluide de mes amis spirituels ; il devait en résulter une satisfaction morale qui, disent-ils, est ma
récompense et, de plus, un encouragement à marcher dans la voie que suit mon esprit depuis déjà bon
nombre d'existences. J'étais donc endormi d'un sommeil magnético-spirituel ; j'ai vu le passé se former en un
présent fictif ; j'ai reconnu des individualités disparues par la suite des temps, ou plutôt qui n'avaient été qu'un
seul individu. J'ai vu un être commencer un ouvrage médical, un autre, plus tard, continuer l'ouvrage laissé
ébauché parle premier, et ainsi de suite. J'en suis arrivé à voir, en moins de temps que je n'en mets à vous
le dire, d'âge en âge se former, grandir et devenir science ce qui, dans le principe, n'était que les premiers
essais d'un cerveau occupé d'étude pour le soulagement de l'humanité souffrante. J'ai vu tout cela, et lorsque
arrivé au dernier de ces êtres qui successivement avaient apporté un complément à l'ouvrage, alors je me
suis reconnu. Là tout s'évanouit et je redevins l'esprit encore en retard de votre pauvre docteur.
Ici l'enseignement de nos guides spirituels a devancé la science, et ce récit nous
prouve que les lois du magnétisme sont les mêmes dans l'espace que sur la terre.
Donc, réciproquement, si nous magnétisons un sujet terrestre assez pour extérioriser
son corps fluidique et si nous continuons sur l'esprit dégagé l'action magnétique de
manière à atteindre les couches profondes du périsprit, il se peut que nous rénovions la
mémoire des vies antérieures de ce sujet.
C'est ce que les spirites espagnols ont fait, comme il est facile de s'en convaincre en se
reportant au compte rendu du congrès spirite de 1889. Plus tard, sur les indications
de Léon Denis, le colonel de Rochas s'est engagé dans la même voie et a obtenu
quelques résultats intéressants, qui sont consignés dans son livre: Les Vies successives.
Malheureusement ces expériences ne sont pas à l'abri de certaines critiques,
principalement en ce qui concerne la suggestion que le magnétiseur exerce même
involontairement sur ses sujets. Je suis persuadé cependant que l'on arrivera à se
mettre à l'abri de ces causes d'erreurs, et nous pourrons acquérir de nouvelles preuves de
la grande loi de l'évolution qui régit l'univers entier. Alors, en prenant en considération
ce pouvoir que possède le corps périsprital de retenir à tout jamais toutes les influences
qui ont agi sur lui pendant tous ses passages sur la terre, nous aurons ainsi une
explication claire et simple des problèmes de l'hérédité que la science contemporaine
est impuissante à résoudre. Ce sera encore un service immense que le spiritisme aura
rendu à l'humanité, et nos successeurs lui accorderont enfin l'hommage qui lui est si
justement dû. En attendant nous allons passer rapidement en revue les résultats
obtenus dans les séances spirites avec des sujets endormis ou au moyen de médiums
servant d'intermédiaires à des esprits désincarnés.

ETUDE SUR LES SÉANCES OU SE PRODUISENT DE PRÉTENDUES RÉVÉLATIONS SUR LES VIES ANTÉRIEURES DU SUJET OU DES ASSISTANTS.

S'il est parfaitement exact, comme nous le verrons plus loin, que l'on peut pousser la
régression de la mémoire jusqu'à des vies antérieures chez certains sujets
somnambuliques, il est non moins sûr, malheureusement, que l'étude de cette question
est hérissée de difficultés de toute nature.
On est obligé dans ces recherches de se tenir en garde en premier lieu contre une
simulation toujours possible si l'on a affaire à des sujets professionnels ; en second
lieu, même avec des somnambules parfaitement honnêtes, il faut se défier toujours de
leur imagination qui se donne souvent libre carrière en forgeant des histoires plus ou
moins véridiques auxquelles le professeur Flournoy a donné si justement le nom de
romans subliminaux ; ces sortes de personnifications d'individus imaginaires ont été
fréquemment produites expérimentalement, entre autres par M. le professeur Richet, qui
les a désignées par le terme d'objectivation des Types ; et nous savons que par autosuggestion
il est parfaitement possible à un sujet plongé dans cet état de s'imaginer
qu'il est tel ou tel personnage et de le composer avec un si grand luxe d'attitudes et
de détails caractéristiques qu'il semblerait que l'on se trouve réellement en face d'une
individualité véritable.
D'autres causes d'erreurs, suivant les cas, peuvent encore intervenir si le sujet possède
une faculté de clairvoyance ou de cryptésthésie qui lui permet de prendre connaissance
des pensées des assistants, ou, s'il est psychomètre, de ressusciter avec une parfaite
vraisemblance des scènes qui ont eu lieu fort loin de lui et à des époques passées.

On le voit, il est absolument nécessaire de scruter tous les récits qui nous sont
parvenus avec la plus sévère méthode critique, si l'on ne veut pas se laisser entraîner à
des conclusions hâtives que l'avenir ne tarderait pas à démentir. C'est en me soumettant
à cette discipline que j'analyserai les cas suivants, après en avoir éliminé un
certain nombre d'autres qui ne m'ont pas paru présenter des garanties suffisantes
d'authenticité.
Voici d'abord une catégorie dans laquelle la bonne foi du sujet et des expérimentateurs
me semble certaine. Ces faits ont été, pour la plupart, observés spontanément par des
spirites, et comme ils diffèrent des recherches systématiques de MM. Flournoy et de
Rochas, je vais les relater en premier lieu, car ils ont la priorité.
Au congrès de 1900, M. Estevan Marata fit l'intéressante communication suivante, qui
montre comment on pourrait parvenir parfois à faire renaître, pendant l'état
somnambulique, des souvenirs empruntés aux vies antérieures.
C'était, dit-il, en 1887 ; il y avait en Espagne un groupe spirite nommé la Paix, dont le fondateur et le
président était Fernandez Colavida, surnommé, de l'autre côté des Pyrénées, le Kardec espagnol. Dans
toutes ses séances, ce groupe faisait l'étude et le contrôle des problèmes spirites. Ma femme et moi nous étions
à cette époque membres de ce groupe.
Or, un jour, M. Fernandez Colavida a voulu essayer s'il pouvait provoquer sur un somnambule le souvenir de
ses existences passées. Voici comment il agit. Le médium étant magnétisé à un haut degré, il lui
commanda de dire ce qu'il avait fait la veille, l'avant-veille, une semaine, un mois, un an auparavant, et le
poussant ainsi il le fit arriver jusqu'à son enfance qu'il expliqua dans tous ses détails.
En le poussant toujours, le médium raconta sa vie dans l'espace, la mort de sa dernière incarnation et, poussé
continuellement, il arriva jusqu'à quatre incarnations, dont la plus ancienne était une existence tout à fait
sauvage. Il faut remarquer qu'à chaque existence les traits du médium se modifiaient complètement.
Pour le ramener à son état habituel, il le fit revenir en arrière jusqu'à son existence présente, puis le
réveilla.
Ne voulant pas être accusé de s'être trompé, il fit magnétiser le même médium par un autre magnétiseur
qui devait lui suggérer que les existences passées n'étaient pas vraies. Malgré cette suggestion, le médium
exposa de nouveau les quatre existences, comme il l'avait fait quelques jours auparavant.
J'ai obtenu le même résultat sur le même fait, avec un autre médium1; j'ai magnétisé ma femme
jusqu'au somnambulisme pour contrôler une poésie que lui avait offerte Mme Amalia Domingo Y
Soler, dans laquelle un esprit lui annonçait un fait qui lui était arrivé dans une existence antérieure ; et
en effet le cas a été confirmé par ma femme dans cet état de somnambulisme.
Je crois que si quelqu'un veut entreprendre ces études, il pourra obtenir les mêmes résultats, mais il faut
entourer le médium de tous les soins possibles, car il peut lui arriver des accidents très dangereux. Ne
poussez pas trop loin vos recherches et n'essayez ces études qu'avec de parfaits somnambules
habitués à se séparer du corps et à ne rester unis que par le périsprit.
Il est clair que nous n'avons ici aucune démonstration effective de la réalité de ces
rétrocognitions, car la seconde expérience avec suggestion que ces visions
n'existent pas ne pouvait avoir de prise sur la conscience somnambulique du sujet.
De plus, aucune révélation vérifiable n'étant donnée relativement à ces vies
antérieures, rien ne nous autorise à y voir une véridique résurrection du passé.
Arrivons maintenant à des expériences effectuées dans d'autres milieux.

RÉVÉLATION IMPRÉVUE
Je dois à l'obligeance de M. Gastin, l'éminent occultiste bien connu, la relation suivante :
CHER MONSIEUR DELANNE,
1 Les premières études ont été contrôlées par les membres qui forment le groupe « La Paix ».

Je me fais un plaisir de vous confirmer ci-dessous la très curieuse expérience que j'ai obtenue, il
y a un certain nombre d'années déjà, d'une manière tout à fait impromptu.
C'était en 1906. Je demeurais encore à Avignon et je m'occupais déjà beaucoup de l'étude
systématique des phénomènes psychiques, en dehors de toute doctrine ou théorie.
Je n'étais pas encore parvenu à me faire une opinion sur la valeur de l'hypothèse spiritualiste, et mes
tendances positives m'inclinaient plutôt à trouver dans la suggestion et l'auto-suggestion une
explication suffisante de tout le phénoménisme psychique et parapsychique.
J'allais fréquemment à Romans, dans la Drôme, où mon oncle demeurait avec une famille de spirites
composée, en dehors du père et de la mère, de deux jeunes filles dont je n'eus aucune peine à faire deux
sujets d'expériences.
Dans l'espoir d'obtenir un contrôle plus sérieux du phénomène, j'endormais simultanément les deux
jeunes filles et essayais d'obtenir avec elles des faits de voyance somnambulique, pendant que mon
oncle, médium écrivain, recevait des communications à quelques pas de là.
Aimée, le plus jeune des deux sujets, présentait de fréquentes et fort intéressantes manifestations de
somnambulisme lucide. Je ne vous en parlerai pas ici, bien que certaines d'entre ces manifestations fussent
vraiment dignes d'intérêt.
L'aînée, Juliette, ne présentait, par contre, aucun phénomène intéressant : elle demeurait dans une espèce
de léthargie inconsciente d'où je la tirais vainement en lui ouvrant les yeux et en la regardant. Un état
cataleptoïde survenait, et elle refermait les yeux aussitôt que mon regard, pour une raison ou pour une
autre, les quittait. En dehors de ce fait banal, rien, absolument rien, n'était venu me faire espérer une
réalisation quelconque dans l'ordre expérimental, avec ce sujet médiocre. La perte de conscience était
évidente toutefois.
Un jour, renouvelant un essai vainement tenté tant d'autres fois et d'ailleurs sans but précis ou objet
déterminé, alors que les deux soeurs étaient endormies et mon oncle à la table, devant son papier, je
m'approchais de Juliette, le sujet médiocre, et lui ouvrant les yeux je la regardai comme de
coutume, lorsque brusquement elle me dit, l'air surpris : « Comme c'est curieux. Je ne vous vois plus...
ou plutôt je vous vois vieilli, chauve et le regard sévère. Mais non ce n'est pas vous... c'est bien votre expression,
mais ce n'est pas vous ; c'est un vieillard qui vous ressemble, et derrière ce visage froid et sévère
qui m'effraie, je vous vois, vous, tel que je vous connais, vivant et souriant ».
Comme je demandais de plus amples détails, Juliette ajouta : « Ah ! le visage du vieillard a disparu...
Mais un autre le remplace. » Et successivement, dans un ordre que je n'eus pas le temps de noter,
tellement le fait avait été imprévu et rapide, le sujet décrivit une longue série de visages de tous
âges, hommes et femmes, qui venaient, comme des masques vivants mais froids, se placer devant ma
propre physionomie vivante, et toujours c'était la même expression du regard. Cette porte de l'âme,
au dire des physionomistes, que le sujet reconnaissait être ma propre expression, est comme la
caractéristique de mon individualité.
Puis, soudain toute vision disparut et Juliette ne vit plus que moi actuel et présent.
Je demandai alors au sujet ce que pouvaient représenter, à son avis, les curieuses visions
kaléidoscopiques. Juliette répondit nettement qu'elle n'en savait rien. Je m'approchai de sa soeur, qui
dormait toujours à quelques pas, et lui demandai si elle avait vu aussi.
Oui, me répondit-elle ; il y a même eu beaucoup plus de figures que ma soeur n'en a signalé, mais elles
passaient si vite que quelquefois ma soeur ne pouvait les saisir. - Que pensez-vous que puissent
signifier ces visions ? - Vos précédentes existences.
A ce moment précis mon oncle écrivait médiumniquement : Ce sont vos précédentes incarnations.
Evidemment il n'y avait dans cette succession de faits, pour moi qui me trouvais à ce moment en
dehors de toute doctrine spiritualiste et assez disposé à voir partout le rôle de la suggestion ou
de l'auto-suggestion, rien de démonstratif touchant la possibilité d'une vision d'incarnations passées.
Je me trouvais chez des spirites et je pensais qu'il était tout naturel de recevoir d'Aimée et de mon
oncle en relation subconsciente avec Juliette une explication de l'ordre spirite.
Pour mieux observer le phénomène, je résolus de le provoquer à nouveau, et, m'approchant de
Juliette, je lui demandai d'ouvrir à nouveau les yeux, lui suggérant qu'elle allait voir les mêmes
visions se dérouler à nouveau.
Malgré tous mes efforts de suggestion (j'étais alors en pleine forme comme hypnotiseur), il me
fut impossible de reproduire, même embryonnairement, la même vision, et je dois ajouter, car le fait
a une importance capitale, que par la suite Juliette redevint le sujet médiocre qu'elle avait été
jusque-là, et que plus aucune manifestation ne vint jamais s'affirmer. Ainsi disparaissait l'argument
explicatif de la suggestion et de l'auto-suggestion. Ce n'est pas avec vous, cher Monsieur Delanne, que
j'ai à développer ce point de logique ; vous le ferez avec plus de précision et d'autorité que moi, si
vous croyez devoir utiliser dans vos travaux le récit que je viens de vous faire, une expérience qui
fut le point de départ d'une série d'études de ma part touchant la dualité de l'être intime et la différence
fondamentale que nous devons établir dans leur nature autant que dans leurs relations entre la
personnalité vivante et l'individualité spirituelle que cette personnalité reflète sans la connaître et
dont elle n'est que le prolongement.
Croyez, cher Monsieur et ami, à mes sentiments bien fraternels, Louis GASTIN.

Il paraît évident que toute suggestion de la part de M. Gastin doit être éliminée,
mais comme la scène se passe dans un milieu spirite dans lequel les idées de
réincarnation sont familières, on peut supposer qu'il y ait eu temporairement irruption
d'idées subconscientes qui se sont extériorisées sous des formes visuelles en rapport avec
cette théorie. Cependant le second sujet confirmant les descriptions du premier
aurait eu une grande valeur si ce second sujet n'avait pas entendu sa soeur faire ces
descriptions. Il en est de même pour l'écriture médiumnique de l'oncle de M.
Gastin.
Enfin aucune précision n'étant fournie sur ces antériorités, qui ait permis une
vérification ultérieure, je suis obligé logiquement, sans nier la possibilité d'une
révélation exacte, de classer ce fait parmi ceux qui n'offrent pas de preuves suffisantes
de leur réalité.
Il en sera de même pour le cas suivant :

ROMAN SUBLIMINAL OU RÉMINISCENCE
Dans son intéressant ouvrage : la Survivance humaine, page 535-536, M. Cornillier
raconte ainsi une des séances qu'il eut avec son médium Reine, un jeune modèle
tout à fait ignorant des théories spirites.
Les voilà, dit-elle, maintenant en contemplation devant le lac et causant... et c'est d'une réalité si
prodigieuse qu'il nous semble être en tiers dans leur causerie. La lucidité du médium se clarifie de plus en
plus. La vue de ce lac bleu fait renaître les souvenirs de ses vies antérieures en Italie et en Orient. Elle en
relate certains incidents à ses deux compagnons, fait des descriptions, des comparaisons. Elle raconte
sa vie à Naples et à Capri.
Elle parle de la Sicile, décrit des aspects du Vésuve avec une précision extrême. A Capri, elle a connu
une maison qu'habitera plus tard Vetellini1 ; elle donne sa situation exacte ; elle fait des observations
sur les scènes de la nature ; elle a vu la mer bouillonnante quand les laves du Vésuve s'y engloutissaient
; le manque absolu d'oiseaux dans ce beau ciel, etc. Puis elle apprécie l'Orient, s'étonne que Vieil ami
n'ait jamais eu la curiosité d'y aller depuis qu'il est un esprit.
Ça te serait si facile ! Pourquoi n'y vas-tu pas ? Ah ! tu aimes mieux les banques et la bourse ;
eh bien, une fois nous irons ensemble. Je t'y mènerai. Oh ! moi, je connais bien l’Egypte... Et elle
revient au temps où elle était un guérisseur. En Egypte, docteur de l'âme et du corps. En cette vie-là,
elle était avec Vetellini ; ils étaient amis, lui déjà plus avancé, au-dessus d'elle (de lui plutôt) et le
protégeant. Elle remarque qu'en Orient, en raison des conditions atmosphériques, la vie de l'astral est
perceptible. Les incarnés un peu évolués sentent pour ainsi dire constamment le frôlement des
désincarnés.
Toute cette causerie est prodigieuse ; malgré notre accoutumance, nous en sommes émerveillés. Mais
plusieurs fois déjà Reine a remarqué qu'elle ne pourra jamais arriver à mettre M. Cornillier au courant
de tout cela. Vetellini la rassure, lui dit qu'il la fait parler tout haut. Elle ne le croit qu'à moitié ;
cela lui semble impossible qu'elle ait pu dire à haute voix à Paris ce qu'elle a vu et ressenti ici en
Amérique. Il faut revenir, afin qu'elle puisse vérifier si c'est vrai.
Le guide Vetellini avait dit déjà dans une autre séance que Reine avait vécu en Egypte. Une pierre
d'un collier de ce pays lui étant mise dans la main, elle dit : « Ça. Vient d'Egypte. Est-ce de la
psychométrie ? »
1 Vetellini est le guide du médium Reine et du groupe de M. Cornillier.

Ici encore, aucune indication précise sur ces prétendues vies antérieures, et les
descriptions faites par Reine pourraient à la rigueur être le fruit de lectures
anciennes ou de conversations entendues, ou même de l'action clairvoyante du sujet.
Ce qui oblige à la plus grande réserve dans l'appréciation de ce curieux phénomène.
Il semble qu'avec les cas suivants nous fassions un petit pas en avant vers quelque
chose de plus démonstratif.
J'emprunte le récit suivant à la brochure publiée par M. Henri Sausse. Connaissant
personnellement l'auteur de longue date, je puis garantir son absolue bonne foi et
la véracité de ses comptes rendus1.
En venant à nos réunions, Mme Conte Calix se faisait accompagner par Mlle Sophie, sa demoiselle
de compagnie. Celle-ci, après avoir vu la facilité avec laquelle les médiums étaient mis en
somnambulisme et l'état de bien-être dans lequel ils se trouvaient au réveil, me fit demander
d'essayer de l'endormir pour voir si elle avait, à l'état latent, des facultés qui pourraient nous être
utiles. A la fin d'une séance, je dis à Mlle Louise avant de la réveiller : « Aidez-la à se dégager, je
vais endormir Mlle Sophie. » Elle me répondit nerveusement et à voix basse : « Non, je ne veux
pas. Je ne veux pas, et puis faites comme vous voudrez. Je fus surpris du ton sur lequel cette
observation fut faite, mais je n'insistai pas. Le lendemain, je revis Mlle Louise et sans lui dire
le but de ma visite, je la mis en somnambulisme et lui demandai la cause de sa conduite de
la veille. Elle s'obstina longtemps à vouloir garder pour elle un secret qui ne me concernait pas
; cependant, sur mon insistance, elle finit par me déclarer : « je m'y suis opposée parce que cette
personne a été la cause de mon malheur dans une autre existence ; nous nous sommes juré une
haine éternelle, je la méprise, je la hais et jamais je ne lui pardonnerai, jamais, entendezvous,
tout le mal qu'elle m'a fait.
- Je crois cependant, lui dis-je, que ce n'est pas le hasard seul qui vous a mises sur le même chemin,
mais que ce sont nos amis pour vous donner le moyen de vous réconcilier. » Elle se révolta contre
cette idée, mais à force de patience et de bonnes raisons, je finis par lui faire promettre qu'elle
m'aiderait à l'endormir et lui pardonnerait.
A la séance suivante je n'avais rien dit à personne de cette dernière entrevue. Après avoir
endormi simultanément Mlle Louise, Mme Maria et M. Molaret, je fis mettre ce dernier à ma
place, à droite de Mlle Louise et Mme Maria à sa gauche, et me plaçant en face de Mlle Sophie,
je me mis en devoir de provoquer chez elle le somnambulisme. A ce moment Mme Maria et M.
Molaret prirent Mlle Louise par la taille en lui disant :
«Allons, Louise, du courage, il faut l'aider à se dégager; il faut aussi lui pardonner, il faut oublier.
Oui, pardonnez et oubliez ; ce sont nos amis qui vous le demandent ; il faut que cette haine
prenne fin et qu'un pardon sincère vous réconcilie. »
Mlle Sophie venait de s'endormir à son tour ; alors Mlle Louise la prit par la main et lui dit
: « Voyez et souvenez-vous. » Mlle Sophie resta un moment comme stupéfaite, médusée, puis elle
se mit à pleurer à chaudes larmes en disant : « Non, vous ne pouvez pas me pardonner, je vous
ai fait trop de mal pour que vous puissiez l'oublier. Où me cacher ? J'ai honte de moi-même.
» Et elle pleurait à inonder son corsage. Louise et les autres pleuraient aussi. Enfin Mlle Louise
dit : « Puisque nos amis le demandent, que tout s'efface de ce passé sinistre, que tout soit oublié. »
Et s'étant levés spontanément, les quatre médiums se tenaient enlacés dans une forte étreinte,
pleurant maintenant de joie et de ravissement. J'eus beaucoup de mal à les ramener tous les
quatre au sentiment de la réalité et à les faire revenir pour les réveiller. Les autres membres du
groupe avaient suivi cette scène pathétique sans bien la comprendre. Je dus leur donner la clef
de l'énigme. C'était la fin d'une haine posthume. J'ai observé ailleurs deux autres cas
semblables.
En septembre 1887, à une séance, un des esprits qui nous aidaient dans nos travaux, l'ami Joseph,
nous dit : « Je viens vous faire mes adieux, je ne reviendrai plus à vos réunions où vous m'avez si
fraternellement accueilli, je vais me réincarner. - Si vous vouliez nous dire dans quelles conditions
nous pourrions vous rechercher pour encore nous occuper de vous. - Non, c'est inutile ; ce
serait contre la loi de Dieu. Si le mystère de notre passé nous est caché, c'est qu'il y a pour cela des
1 H SAUSSE, Des preuves, en voilà, p. 32.

motifs sérieux et que nous ne pouvons enfreindre en cherchant à soulever le voile qui nous
cache notre destinée. » Ce fut sa dernière visite.
Si nous ne connaissions pas d'exemples de contagion psychique se produisant entre
sujets à l'état somnambulique, nous pourrions classer ce fait de reconnaissance
réciproque parmi les bonnes preuves de la réincarnation.
Malheureusement, ici encore, aucun renseignement précis n'est donné sur les vies
antérieures des deux sujets, ce qui nous laisse dans l'indécision et ne permet pas de se
prononcer d'une manière absolue sur la valeur de cette reconnaissance mutuelle.
Voici un autre cas ambigu où l'action terrestre produisant une obsession aurait été
déterminée par une haine contractée dans une existence précédente. Je l'emprunte à
l'étude sur la réincarnation de M. Bouvier1.
HAINE TENACE
Vers la fin de l'année 1886 une dame de la rue Saint-Marcel, aujourd'hui rue Sergent-Blandan, avait été
enfermée depuis quinze ans dans différentes maisons de santé comme atteinte d'aliénation mentale. Au
bout d'un certain temps, son état semblant s'améliorer, elle sortait pour rentrer dans sa famille, mais de
nouvelles crises d'une très grande intensité obligeaient celle-ci à la faire enfermer à nouveau. Voyant
que cet état se perpétuait, les intéressés eurent recours à l'action magnétique, croyant avec juste
raison qu'il serait possible d'obtenir un résultat que la science officielle ne pouvait donner. Et, en
effet, c'est ce qui eut lieu dans les conditions suivantes :
A la deuxième séance, voulant faire voir par mon sujet Isidore quelle était la cause du dérangement
cérébral de cette dame, il me dit qu'elle était obsédée et que, si je voulais appeler et moraliser l'esprit
qui était cause de son trouble, j'en aurais bien vite raison. C'est ce que je fis et peu à peu l'obsesseur fit
connaître la raison qui le faisait agir.
Dans une précédente existence, me dit-il, je faisais partie d'une famille princière russe. Nous étions trois
enfants, deux filles et un garçon. Mes soeurs, pour jouir de mon patrimoine, me firent enfermer dans une
maison d'où je ne pus sortir que par la mort. Là je me suis juré que, si je le pouvais, tôt ou tard, je me
vengerais. Dieu dans sa bonté a permis que nous nous réincarnions dans le même milieu, de telle façon que
par les liens du mariage nous sommes arrivés à être beau-frère et belle-soeur ; malgré cela, pendant ma vie,
nous n'avons pu sympathiser ensemble sans en connaître les raisons. Je suis mort au monde de la
matière voilà treize ans ; je pus me reconnaître assez vite pour voir que ma soeur du passé était ma
belle-soeur du présent. De là notre antipathie l'un pour l'autre et de là aussi ma vengeance ; j'étais mort
enfermé ; je voulus qu'à son tour elle subit le même sort. Maintenant je comprends mes torts,
puisque, malgré ma vengeance, la souffrance est toujours mon lot ; aussi je veux lui demander
pardon et promettre de la laisser vivre en paix. Le pardon eut lieu, c'était une scène touchante de voir le
médium entrancé et Mme B... pleurer dans les bras l'un de l'autre en regrettant le passé. Il faut
avoir vu pour sentir que là il ne pouvait y avoir de comédie. A partir de ce moment la cure fut radicale ;
cette dame vécut encore douze années avec une lucidité parfaite et s'est éteinte bien doucement à
l'âge de 72 ans des suites de l'influenza. Quant à savoir s'il est vrai que ces êtres faisaient partie ou non
d'une famille princière russe, ce qui serait une preuve de plus en faveur de la réincarnation, la chose
est difficile à contrôler, mais ce qu'il y a de bien certain, c'est que 16 ans auparavant, un beau-frère de la
malade portant le nom donné par le médium entrancé et avec lequel elle n'avait jamais sympathisé était
bien mort ; de plus, qu'un an après sa mort, Mme B... était enfermée une première fois ; mieux encore, la
réalisation de la promesse faite après le pardon réciproque nous montre bien qu'il y avait une cause
consciente d'elle-même. Or comme toute la partie contrôlable est vraie, il y a des probabilités pour que
celle qui ne l'est pas le soit aussi.

LA RÉINCARNATION EN ANGLETERRE
1 Conférence faite à la salle Allan Kardec, p. 10.

Les adversaires du spiritisme ont souvent affirmé qu'il y avait fréquemment
contradiction absolue entre les enseignements des esprits désincarnés qui se
manifestent en France et en Angleterre, au sujet de la réincarnation.
Sans doute, la majorité des désincarnés anglo-saxons n'admettent pas que l'évolution
de l'âme ait lieu sur notre globe par une suite de vies terrestres. Ils enseignent que
cette évolution se produit dans les différents plans de l'espace et sur d'autres planètes.
Mais il existe cependant de nombreux centres dans lesquels les enseignements
de l'au-delà sont conformes à ceux des pays latins, et c'est un point intéressant à
signaler, car, de plus en plus, la théorie palingénésique gagne du terrain chez nos
voisins et même dans l'Amérique du Nord. En voici un exemple entre beaucoup d'autres
que je pourrais signaler1.

LA RÉINCARNATION PEUT-ELLE ÊTRE PROUVÉE ?
L'auteur commence par dire qu'en Angleterre la majorité des spirites refusent d'y croire, parce que tous
les médiums parlant à l'état de trance déclarent, non pas que la réincarnation est certainement un
mythe, mais qu'ils n'ont aucune notion à ce sujet. En outre, les hommes trouvent le séjour de la terre
si triste qu'ils ne peuvent se faire à l'idée d'y revenir. Enfin la plupart des spirites se réservent en
demandant des preuves et ne pensent pas que l'on en ait encore de suffisantes.
- J'étais du nombre de ces derniers, continue-t-il, et je rejetais ce point de doctrine avec d'autant plus
d'énergie que pendant longtemps les esprits qui se manifestaient par ma médiumnité lui étaient nettement
opposés. Mais depuis trois ans un groupe d'esprits vient dans notre cercle, qui est privé, et proclame
que la réincarnation n'est pas une pure théorie, mais un fait. Quand je repris mes sens la première
fois et que l'on me fit connaître ce que j'avais dit, je protestai vivement d'abord contre le choix
qui était fait de moi, adversaire décidé, pour défendre une telle théorie. Cependant ils y revinrent
avec une telle insistance que l'on finit par leur dire : « Pouvez-vous nous le prouver ? » Ils nous
répondirent : « Laissez-nous d'abord vous montrer qui nous sommes, et lorsque vous aurez suffisamment
confiance en nous, nous achèverons notre oeuvre. »
Ils donnèrent alors de telles preuves d'identité et de leur connaissance du passé, du présent et dans certains
cas de l'avenir ; ils rendirent aux membres de ce petit cercle de tels services de tous ordres qu'une
pleine confiance leur fut accordée.
Ils promirent alors de nous mettre en relations avec des personnes que nous avions connues dans une
précédente existence et de nous montrer des scènes de nos vies passées que nous reconnaîtrions. Un soir,
on nous décrivit une dame en me disant que je la rencontrerais sous peu. Dix jours plus tard, je me rendis
sur une plage de bains de mer où je n'étais jamais allé et où je retins un appartement par
correspondance.
A mon arrivée, l'hôtesse me dit qu'il y avait dans la maison une dame qui attendait ma venue ; elle était
étrangère au pays et était venue deux jours auparavant occuper un appartement. Elle avait dit qu'elle
avait souvent des songes dans lesquels elle voyait des personnes qu'elle devait rencontrer dans la suite :
« Ainsi, ajouta-t-elle, j'attends cette semaine M. W... que je ne connais pas. Je ne sais où ni quand, mais je
sais que cela aura lieu. »
Une preuve bien plus frappante fut donnée à un autre membre du cercle. Une dame fut présentée à un
monsieur et aussitôt sa mémoire lui retraça une autre existence dans laquelle elle l'avait connu. La
reconnaissance fut réciproque, car il sourit en disant :
« Vous vous souvenez donc de moi. S'il en est ainsi, que chacun de nous écrive à part les noms sous
lesquels nous nous sommes déjà connus. » C'est ce qu'ils firent, puis ils échangèrent les feuilles de papier
sur lesquelles ils avaient inscrit les noms. Ils étaient identiques.
Si l'on ne veut pas y voir une preuve, je demande que l'on me fournisse une autre explication. Pour moi,
je m'en tiens à ce que nous en dit l'esprit guide.
Je pourrais citer encore d'autres preuves, mais je préfère m'en tenir à celle-là. Pourquoi les esprits qui nous ont
si bien prouvé qu'ils disaient la vérité sur tous les autres points nous tromperaient-ils sur celui-ci ?
Dans ces deux exemples, malheureusement trop peu détaillés, la certitude de la vie
antérieure résulte de l'affirmation des esprits guides ; mais l'évocation simultanée des
1 Revue scientifique et morale du spiritisme, novembre 1903, p. 314.

souvenirs relatifs à une existence précédente, s'ils ne résultent pas d'une suggestion
spirituelle, prouverait que réellement c'est une résurrection du passé qui s'est produite
pour chacun des expérimentateurs, et ceci à l'état normal, ce qui augmente la valeur du
cas.

LES VIES SUCCESSIVES
Tel est le titre d'un ouvrage publié en 1911 par M. le Colonel de Rochas, ancien
administrateur de l'École Polytechnique. L'auteur est bien connu pour les nombreuses
recherches qu'il fit sur l'extériorisation de la sensibilité, les états superficiels et profonds
de l'hypnose, et en dernier lieu pour ses expériences concernant la mémoire prénatale.
Dans l'ouvrage en question, il rapporte les expériences qu'il fit de 1892 à 1910 avec 19
sujets, pour essayer de réveiller chez chacun d'eux, en les plongeant dans des états
magnétiques de plus en plus profonds, le souvenir de leurs vies antérieures.
Son procédé consistait à faire des passes longitudinales, afin d'endormir de plus en plus
les sujets et à leur faire des suggestions, de manière à réveiller en eux tous les
souvenirs de la vie actuelle jusqu'à la naissance, et, en poussant l'expérience plus loin
encore, à obtenir d'eux les révélations sur les existences qui auraient précédé la vie
actuelle.
Tous ces sujets lui ont fait des récits plus ou moins vraisemblables de vies antérieures.
Malheureusement, dans la majorité des cas, il a été impossible de s'assurer de la
réalité de ces visions rétrospectives. L'auteur ne s'est pas attaché suffisamment à faire
préciser les noms, les dates et les lieux où se seraient déroulées ces visions régressives.
Je crois que, si M. de Rochas avait mieux connu et pratiqué les expériences du
spiritisme, il aurait pu tirer un grand fruit de sa réelle puissance fluidique, en priant les
esprits désincarnés de l'aider dans cette recherche, en agissant de leur côté sur l'âme
du sujet lorsqu'elle est extériorisée, puisque c'est pendant cette période que se produit la
rénovation de la mémoire intégrale.
M. de Rochas n'a pas été plus heureux dans une autre tentative en sens inverse,
celle de faire prévoir par les sensitifs ce qui devait leur arriver plus tard.
Pour ramener le somnambule à son état normal, M. de Rochas employait des passes
transversales et il les continuait après le réveil, ce qui remettait le sujet dans un autre
état où soi-disant il prévoyait l'avenir.
Je crois que, dans ce cas, la suggestion exercée par le magnétiseur était vraiment la
cause efficiente, car le rapport entre lui et ses sujets était toujours très intime, et il y
a lieu de supposer que son action mentale se transmettait à ceux sur qui il opérait avec la
plus grande facilité.
Quoi qu'il en soit de cette hypothèse, voici comment l'auteur résume lui-même le
long travail auquel il s'est livré1 :
Nous avons relaté un certain nombre d'expériences où, sous l'influence des passes magnétiques,
des sensitifs, dont l'âme se trouvait plus ou moins dégagée des liens du. corps paraissaient
revivre des vies déjà vécues ou vivre des vies futures. Ce phénomène se présente sous des
formes diverses suivant les individus. Chez les uns, les diverses transformations ont
l'apparence de la réalité absolue et se répètent toujours identiques et, dans le même ordre ; à
plusieurs mois d'intervalle, le sujet les vit d'une façon saisissante avec des états physiques et
intellectuels qui le caractérisent. Chez les autres, elles varient quelque peu et ressemblent
plutôt à des souvenirs dans lesquels on reconnaît facilement l'intervention de lectures antérieures
; elles n'en sont pas moins intéressantes, parce qu'elles empêchent d'avoir une confiance
aveugle dans les premières et mettent sur la voie d'une explication purement physique. Une
constante se reproduit cependant dans toutes ces manifestations : l'expiation, dans les vies
suivantes, de fautes commises dans les vies précédentes.
Quelles sont donc les conclusions qu'on peut tirer des faits que j'ai rapportés ?
1 Les Vies successives, DE ROCHAS, p. 495 et suivantes.

Elles sont de deux sortes, les unes certaines, les autres simplement problématiques. Il est
certain qu'au moyen de procédés magnétiques, on peut, chez certains sujets doués d'une
sensibilité suffisante, provoquer une série de phases de léthargie et d'états somnambuliques qui se
succèdent régulièrement comme les nuits et les jours, et au cours desquelles l'âme parait se
dégager de plus en plus des liens du corps et s'élancer dans les régions de l'espace et du temps
généralement inaccessibles pour elle dans l'état de veille normal.
Il est certain qu'au moyen de certaines opérations magnétiques, on peut ramener progressivement la
plupart des sensitifs à des époques antérieures de leur vie actuelle avec des particularités
intellectuelles et physiologiques caractéristiques de ces époques et jusqu'au moment de leur
naissance. Ce ne sont pas les souvenirs qu'on éveille, ce sont les états successifs de la personnalité
qu'on évoque. Ces évocations se produisent toujours dans le même ordre et à travers une succession
de léthargies et d'états somnambuliques. Ce phénomène se produit spontanément chez quelques
malades, mais seulement pour certaines périodes de leur existence.
On peut l'expliquer en supposant que les souvenirs s'enregistrent dans les couches successives du
cerveau, les plus anciens se trouvant localisés dans les couches les plus profondes et que, par suite
de circonstances diverses, l'activité vitale qui, d'ordinaire se porte aux couches externes, revient
dans telle ou telle partie de la masse cérébrale devenue inerte par le temps ; mais une
explication plus probable, parce qu'elle est appuyée sur le témoignage des voyants, est que le
phénomène est dû à la concentration du corps fluidique qui reprend les formes qu'il a eues
successivement pendant le développement de la vie du sujet.
Il est certain qu'en continuant ces opérations magnétiques au delà de la naissance et sans avoir
besoin de recourir à des suggestions, on fait passer le sujet par des états analogues
correspondant à des incarnations précédentes et aux intervalles qui séparent ces incarnations.
Le processus est le même à travers des successions de léthargie et d'états somnambuliques. Ces
révélations, quand on a pu les contrôler, ne répondent généralement pas à la réalité, mais il est
difficile de comprendre comment les mêmes pratiques physiques qui déterminent d'abord les
régressions de personnalités réelles jusqu'à l'époque de la naissance, peuvent tout à coup donner
lieu à des hallucinations tout à fait fausses.
M. de Rochas fait remarquer assez justement que, les idées d'enfer et de purgatoire
étant très répandues dans tous les milieux où il a pris ses sujets, il est étonnant
qu'aucun d'eux n'en ait fait mention, lorsqu'il se trouvait entre deux prétendues incarnations.
Nous allons voir maintenant un autre expérimentateur qui fut plus heureux que M. de Rochas,
puisqu'une fois au moins il obtint des détails exacts relatifs à une vie antérieure de son
sujet.

LE MÉDIUM HÉLÈNE SMITH
Dans son livre Des Indes à la planète Mars, M. Flournoy, professeur de psychologie à la
Faculté des Sciences de l'Université de Genève, a fait une étude très savante et très complète
des facultés d'un médium qu'il nomme Mlle Hélène Smith.
Il est tout à fait remarquable que cette jeune fille, de bonne éducation, d'une sincérité,
d'une bonne foi absolues, et se livrant gratuitement pendant des années à l'investigation des
savants, ait présenté des personnifications imaginaires à côté d'autres faits nettement spirites.
A vrai dire, M. Flournoy s'est efforcé d'expliquer tous les phénomènes par l'auto-suggestion
du médium dont la nature intime très affinée l'aurait porté subconsciemment dans ses rêveries
à s'imaginer qu'il ne se trouvait pas dans la position sociale qu'il aurait dû occuper, de sorte
qu'en fréquentant les cercles spirites, où les idées de réincarnations sont courantes, il aurait
successivement forgé subliminalement, c'est-à-dire pendant ses périodes d'inconscience, deux
romans au moins relatifs à ses vies antérieures.
L'un de ses romans la représente comme la réincarnation de la reine Marie-Antoinette, et l'autre

comme la femme d'un prince hindou qui vivait au XIVeme siècle et aurait régné sur le
Kanara.
Une troisième création hypnoïde est relative à la planète Mars, dont Mlle Smith donne des
descriptions pour le moins fantaisistes ; mieux encore, elle aurait fait connaître le langage
des habitants de notre plus proche voisine.
M. Flournoy a très habilement montré la genèse probable de ce prétendu langage martien et
prouvé par l'analyse de textes que ce n'était, en réalité, qu'une contrefaçon de la
langue française et que seuls les signes représentatifs des lettres avaient une véritable
originalité. Mais celle-ci ne dépasse pas ce que des écoliers peuvent produire lorsqu'ils
imaginent en classe des alphabets secrets pour correspondre entre eux. Je reconnais aussi
que la critique de M. Flournoy relative à la réincarnation en Mlle Smith de l'infortunée reine
de France est très justifiée, car les souvenirs relatifs à ce cycle royal sont remplis
d'anachronismes et l'écriture de la personnalité prétendue de Marie-Antoinette n'a rien de
commun avec les textes qui nous en restent. Au surplus, pour les événements historiques,
comme il est facile de les trouver partout, on ne peut faire état de ceux-ci, puisque la
mémoire subliminale en a certainement enregistré un très grand nombre par la lecture, les
pièces de théâtre, la conversation.
Cette remarque s'applique à tous les cas du même genre, et lorsque l'on sait avec quelle
fidélité la mémoire somnambulique conserve tous les clichés visuels ou auditifs, l'on doit, en
bonne méthode, attribuer ces connaissances aux acquisitions normales de la vie courante et
non à des souvenirs d'une existence antérieure.
Une exception doit être faite cependant lorsqu'il s'agit d'événements historiques que
l'on ne trouve pas relatés dans les manuels d'histoire ordinaires ni dans les
dictionnaires historiques ou biographiques, mais seulement dans quelques documents
ignorés du public qu'il a fallu découvrir par de laborieuses recherches et dont le sujet
n'a pu prendre connaissance.
Si à ces renseignements précis relatifs à une civilisation non européenne se joignent
des descriptions en rapport avec le pays et des réminiscences de la langue qui y a été
employée, alors la probabilité pour que ces connaissances soient dues à des souvenirs
d'une vie passée devient très grande. C'est pourquoi je vais rapporter brièvement tout ce
qui a trait à ce que M. Flournoy appelle le cycle hindou de Mlle Hélène Smith.
Une remarque préalable doit être faite : c'est que cette résurrection du passé s'est
produite, au cours de nombreuses séances, sans aucune suggestion préalable des
assistants, et que le sommeil somnambulique se produisait spontanément chez le
sujet, soit au cours des séances, soit pendant la vie normale, et principalement le matin
au moment du réveil. Alors les visions reproduisant les scènes de la vie antérieure
avaient lieu par hallucinations visuelles et quelquefois auditives et on ne les connaît
que par les lettres que Mlle Smith adressait régulièrement au savant professeur de
Genève.
Je me contenterai de faire ici, faute d'espace, un trop court résumé du cycle hindou,
renvoyant pour les détails le lecteur à l'ouvrage indiqué1.
M. Flournoy raconte dans cet énigmatique chapitre comment son médium Hélène
Smith, prétendant être la réincarnation de la princesse hindoue Simandini, mime son
personnage de la façon la plus réaliste, la plus vécue.
Elle s'assied à terre, les jambes croisées ou à demi étendues, son bras ou sa tête nonchalamment appuyé
contre son époux Sivrouka. La religieuse et solennelle gravité de ses prosternements, lorsque après avoir
longtemps balancé la cassolette fictive, elle croise sur sa poitrine ses mains étendues et par trois fois
s'incline, le front frappant le sol, ses mélopées traînantes et plaintives, la souplesse de ses
mouvements, lorsqu'elle s'amuse avec son singe imaginaire, le caresse, l'excite ou le gronde en riant,
toutes ces mimiques et ce parler exotique ont un tel, accent d'originalité, de naturel, qu'on se demande
avec stupéfaction d'où vient à cette fille des rives du Léman une telle perfection de jeu.
S'il ne s'agissait, dit M. Flournoy, que de la pantomime hindoue, le mystère serait moindre quelques
récits entendus à l'école ou lus dans des feuilletons peuvent expliquer à la rigueur et les attitudes
1 FLOURNOY, Des Indes à la planète Mars, p. 275.
diverses, et le caractère musical des chants et les dehors sanscritoïdes. C'est un travail que les facultés
subliminales peuvent exécuter d'une façon encore plus parfaite chez les sujets disposés à l'automatisme.
Mais... ajoute le savant psychologue...
Il reste deux points qui compliquent le roman hindou et semblent défier jusqu'ici du moins toute
explication normale, parce qu'ils dépassent les limites d'un pur jeu d'imagination. Ce sont les
renseignements historiques précis donnés par Léopold, le guide du médium, dont on a pu, en un certain
sens, vérifier quelques-uns, et la langue hindoue, parlée par Simandini, qui renferme des mots plus ou
moins reconnaissables dont le sens réel s'adapte à la situation où ils ont été prononcés. Or, si l'imagination
d'Hélène peut avoir reconstruit d'après les informations générales, flottantes en quelque sorte, de notre
atmosphère de pays civilisé, les moeurs, usages et scènes de l'Orient, on ne voit pas d'où a pu lui venir la
connaissance de la langue et de certains épisodes peu marquants de l'histoire de l'Inde.
Voilà donc un fait de premier ordre qui s'explique très bien par une rénovation du
souvenir et qui même ne peut s'expliquer autrement.
Mais M. Flournoy ne veut pas en convenir.
Il a consulté sur les points historiques évoqués par le médium les spécialistes les
plus qualifiés de l'histoire asiatique. Aucun d'eux n'avait connaissance des
personnages ni des localités cités. Pourtant, c'étaient des érudits de la science
historique. De guerre lasse, il en est réduit à fouiner (c'est son expression) dans les
bibliothèques, et il finit par trouver, dans un vieux bouquin poussiéreux: l'Histoire
de l'Inde par Marlès, un passage qui lui prouve irréfutablement que le récit
d'Hélène n'est pas un mythe. Bien entendu, les savants, les érudits qui avaient été
précédemment consultés, traitèrent de haut Marlès, l'auteur du vénérable bouquin,
et refusèrent de le considérer comme un confrère sérieux. C'est fort heureux pour la
mémoire de Marlès.
Quant à Flournoy, malgré l'invraisemblance de cette supposition, il n'hésite pas à
considérer que la mémoire subliminale d'Hélène Smith a puisé les renseignements
dans l'obscur et inconnu Marlès ; c'est à peine s'il s'arrête aux différences orthographiques
entre le texte de ce dernier et celui du médium. La seule chose qui le gêne, et
il l'avoue, c'est qu'il ne peut dire où, quand et comment Mlle Smith aurait pu prendre
connaissance de ce texte.
J'avoue sans ambages, dit-il, que je n'en sais rien et je donne volontiers acte à Hélène de
l'indomptable et persévérante énergie avec laquelle elle n'a cessé de protester contre
mon hypothèse en l'air qui a le don de l'exaspérer, et cela se comprend, car elle a beau
creuser ses souvenirs, elle n'y retrouve pas la moindre trace de cet ouvrage dont il n'existe
que deux exemplaires poussiéreux à Genève. Ce ne serait donc que par un concours de
circonstances absolument exceptionnel et presque inimaginable que Marlès aurait pu se
trouver un jour entre les mains d'Hélène et comment se ferait-il alors qu'elle n'en eût
conservé aucun souvenir1.
En somme, et de l'aveu même de Flournoy, ce roman hindou reste une énigme
psychologique non encore résolue d'une façon satisfaisante, parce qu'il révèle et
implique chez Hélène, relativement aux coutumes et aux langues de l'Orient, des
connaissances dont il a été impossible de trouver jusqu'ici la source certaine.
Malgré cette restriction formelle qui enlève toute autorité aux hypothèses antispirites
ou extra-spirites, nos contradicteurs n'ont pas hésité à s'annexer toute
cette partie de l'ouvrage de Flournoy et s'en servent encore aujourd'hui comme
d'un projectile meurtrier, sans s'apercevoir qu'en réalité il se retourne contre eux.
Il est impossible de voir là soit de la télépathie, soit de l'hallucination, soit de
l'autosuggestion. Il ne reste plus qu'à admettre ce que le médium ne cesse de
répéter : c'est qu'il ressuscite le souvenir lointain de la princesse hindoue
Simandini.
Dans les séances où celle-ci s'est manifestée, ce n'est pas une incarnation de cette
princesse que faisait le médium, c'était une résurrection de souvenirs anciens.
Hélène Smith se sent réellement la princesse Simandini revenue sous la forme d'une
1 FLOURNOY, Des Indes à la planète Mars.

jeune fille moderne. L'une et l'autre semblent bien être la même individualité.
Cette individualité s'est manifestée successivement au cours du temps sous la forme
de Simandini, dans l'Inde et, plus tard en Suisse avec la mentalité d'Hélène. Ce
genre de manifestation était utile à noter ; il n'a rien de commun avec les
incorporations ou incarnations habituelles dans les médiums d'une personnalité qui
leur est entièrement et complètement étrangère. C'est un phénomène distinct.
Ce qui m'autorise à faire cette affirmation, c'est que, dès sa jeunesse, Mlle Smith avait
des goût, artistiques tout à fait différents de ceux qu'elle aurait pu puiser dans son
ambiance genevoise. Voici, en effet, ce que note M. Flournoy :
D'après les récits de Mme Smith et des siens propres Hélène était timide, sérieuse, renfermée et n'allait
pas volontiers jouer avec les fillettes de son âge. Elle préférait ne sortir qu'avec sa mère ou rester
tranquille et silencieuse à la maison, s'amusant à dessiner, ce qu'elle faisait avec la plus grande facilité,
ou à exécuter des ouvrages de sa composition, de style oriental, qui réussissaient comme par
enchantement entre ses doigts de fée ; je n'en avais pas le mérite, dit-elle, car cela ne me donnait aucune
peine j'étais poussée à faire ces ouvrages et ces dessins, je ne sais comment parfois, avec de petits
morceaux d'étoffe qui s'assemblaient en quelque sorte sous ma main.
Avec un judicieux bon sens, M. Flournoy fait justement observer que la médiumnité n'est
nullement incompatible avec une vie normale et régulière, qu'un médium n'est pas
nécessairement un névrosé, comme ont tenté de le faire croire certaine médecins à
courte vue. Le sujet étant important, je me permets de citer ici l'opinion autorisée du
célèbre psychologue genevois1.
Si l'on s'étonne de la place que cette peur de passer pour malade ou anormale tient dans la
préoccupation de Mlle Smith, il faut dire à sa décharge et à celle des médiums et des savants incriminés
que la faute en est aux racontars, aux propos en l'air de tous genres dont le public ignorant empoisonne
à plaisir l'existence des médiums et de ceux qui les étudient. Il est clair qu'il se rencontre dans les rangs
de la docte faculté ou des corps scientifiques constitués, comme en toute compagnie un peu
nombreuse, certains esprits étroits et bornés, très forts peut-être dans leur spécialité, mais prêts à jeter
l'anathème sur ce qui ne cadre pas avec leurs idées toutes faites, et prompts à traiter de maladie, de
pathologie, de folie, tout ce qui s'écarte du type normal de la nature humaine, telle qu'ils l'ont conçue
sur le modèle de leur petite personnalité. C'est naturellement le verdict défavorable, mais plein
d'assurance, de ces médecins à oeillères et de ces prétendus savants, qui se colporte de préférence et qui
vient rebattre les oreilles intéressées. Quant au jugement réservé et prudent de ceux qui n'aiment
point à se prononcer à la légère et ne se pressent pas de trancher des questions dont la solution est encore
impossible à l'heure présente, il va sans dire qu'il ne compte pour rien, car il faut à la masse des conclusions
nettes et décidées.
« Vous n'osez pas affirmer que la médiumnité est une chose bonne, saine, normale, enviable, qu'il faut
développer et cultiver partout où on le peut, et que les médiums nous mettent en relation avec un monde
invisible supérieur, mais c'est donc que vous tenez cette disposition pour funeste, malsaine, morbide,
détestable, digne d'être extirpée ou anéantie partout où elle fait mine de se montrer et que vous regardez
les médiums comme des détraqués. » Voilà la logique imperturbable du vulgaire, le dilemme taillé à
coups de hache dans lequel le milieu ambiant spirite, et non spirite, s'amuse parfois à m'enfermer et
qu'il ne cesse de faire résonner aux oreilles de Mlle Smith. On conviendra que cela explique et justifie
amplement qu'elle se préoccupe parfois de ce que l'on dit et pense de sa santé, et que Léopold lui-même
croit devoir s'en mêler.
C'est aussi juste que bien exprimé.

RÉVEIL DU PASSÉ PENDANT LA TRANCE
1 Id., p.41.

Voici encore un cas que j'emprunte à nos voisins d'Outre-Manche1.
Il y a une vingtaine d'années, je revenais de la Cité par une belle journée de printemps et j'achetai
par hasard, sur mon chemin, un numéro de Saturday Review qui venait de paraître. En arrivant chez
moi, je trouvai ma femme atteinte d'un violent mal de tête. Je lui conseillai de se coucher et je l'aidai à
s'endormir en lui faisant quelques passes magnétiques. En cinq minutes, elle fut plongée dans un
profond sommeil et, m'installant près de la fenêtre dans un confortable fauteuil, je tirai mon journal et
me disposai à en déguster le contenu. Je ne tardai pas à m'absorber dans la lecture d'un article sur la
situation politique en France. Je me trouvai arrêté par une phrase passablement obscure, lorsque, à ma
grande surprise, ma femme commença à traiter la question et me fit un petit cours des plus intéressant
et instructif sur l'état politique et les affaires de France à propos de l'article susdit, me montrant la plus
grande connaissance de l'histoire de France qui lui paraissait tout à fait familière.
Tout d'abord je crus qu'un esprit la contrôlait et parlait par sa bouche, je lui demandai donc qui il
était. Elle me répondit : « Ce n'est pas un esprit étranger, mais le mien. Quand vous m'avez magnétisée,
mon corps s'est endormi et mon esprit s'est trouvé libre, aussitôt. Je me suis aperçue du profond intérêt
que vous causait la lecture de cet article et je me mis à l'étudier à votre profit. - Mais, lui dis-je,
comment se fait-il que vous soyez si bien au courant de l'histoire et de la politique française, tandis
que dans votre état normal vous n'en savez absolument rien, et n'y prenez aucun intérêt ? - Lorsque je
reprends mon corps, ces choses et beaucoup d'autres que je connais fort bien à l'état d'esprit s'effacent à
l'instant et je ne me rappelle plus rien. - Mais comment les sujets que vous venez de traiter sont-ils
devenus si familiers à votre esprit? Vous paraissez avoir les connaissances les plus stupéfiantes sur
la diplomatie française. - Certainement je connais parfaitement la France et les Français, ayant été
jadis une dame française et ayant même joué un rôle historique des plus importants. » La conversation
dura encore un certain temps, puis elle me dit : « Je dois maintenant reprendre mon corps ; le moment est
venu. Bonsoir. »
Une minute plus tard ma femme se réveillait bien reposée et tout à fait guérie de sa migraine. Je dois
faire remarquer que cette conversation de son esprit avec moi se distinguait par le choix de l'expression
le plus élégant et le plus raffiné. A l'état normal, elle parle facilement, mais sa phrase est plutôt brusque et
souvent hors de mesure. Au contraire, lorsque son esprit est dégagé, ses discours sont, si j'ose m'exprimer
ainsi, en quelque sorte éthérés, et elle fait preuve de la plus grande délicatesse de style. J'ai
toujours constaté que pendant ses périodes de trance son esprit pouvait répondre à toutes les
questions que je lui posais. Les connaissances qu'il manifestait étaient merveilleuses et me
semblaient être la preuve la plus décisive de l'élévation que peuvent atteindre nos esprits, lorsqu'ils se
dégagent de leurs corps.
Quoique ces phénomènes se soient produits il y a bien des années, ils ont fait sur moi une telle
impression qu'il me semble encore que c'était hier.
Robert H. RUSSEL DAVIS,
Buckingham, place Brighton.
Cet exemple confirme le réveil des connaissances acquises antérieurement pendant la
période de trance qu'amène l'état somnambulique. Ayant été observé spontanément il
n'en a que plus de valeur, car l'auteur ne pouvait connaître les travaux de MM. de
Rochas et Flournoy, son observation leur étant de beaucoup antérieure.

CAS COMPLEXE DE RÉMINISCENCES
Le prince de Sayn Wittgenstein est bien connu des spirites. Aksakoff, dans son livre
Animisme et Spiritisme, cite son témoignage au sujet du testament du baron Korf dont
l'esprit indiqua au Prince, à Paris, l'endroit où ce testament avait été caché en
Russie.
1 Revue scientifique et morale du spiritisme, septembre 1905, p. 179.

C'était un homme sincère et loyal dont nous pouvons accepter le témoignage en
toute confiance. Voici ce qu'il nous rapporte1 :
Le prince Emile de Sayn Wittgenstein raconte : Un médium écrivain français très distingué, Mme C...,
était venu dans l'été 1869 passer quelques semaines dans ma maison de Nieder Walley.
Ayant fait des séances, nous demandâmes s'il était possible ou non d'évoquer pendant son sommeil
l'esprit d'une personne vivante. Peu de temps après, il tomba du plafond sur la table où était Mme C...
une petite médaille ovale en bronze terni, avec un peu de terre sèche adhérente, portant d'un côté
l'effigie du Christ et de l'autre celle de la Vierge Marie et semblant par son exécution remonter au
XVIème siècle. Nous fûmes informés que cette médaille avait été ensevelie avec une personne
décédée de mort violente, qui l'avait constamment portée. Cette personne était maintenant incarnée en
Allemagne. On avait apporté cette médaille pour établir entre elle et nous un rapport fluidique, afin de
la soulager d'une sorte d'obsession douloureuse.
Nous sûmes que son nom commençait par un A et que nous devions l'appeler en mémoire de la Ville
de Dreux. Nous tînmes une série de séances les jours suivants avec Mme C... que j'avais magnétisée.
Le médium tenant un crayon écrivit : « Je suis ici ».
D. - Comment se fait-il que vous soyez déjà endormi. (Il n'était que 10 heures.)
R. - Je suis au lit, malade de la fièvre.
D. - Pouvez-vous nous dire votre nom actuel.
R. - Pas encore. Quand je portais la médaille, je vivais en France sous le règne de Louis XIV ; je fus
tuée par un homme qui enlevait une pensionnaire du couvent où j'étais nonne.
D. - Pourquoi vous a-t-il tuée ?
R. - Je revenais de Dreux, où j'avais été convoquée par notre abbesse ; je les ai surpris et comme je
les menaçais de crier, l'homme m'a donné un coup sur la tête avec le pommeau de son épée, afin
de m'étourdir, mais le coup fut si violent qu'il me tua.
D.- Comment avait-il pu entrer dans le couvent ?
R.- Avec la connivence du portier, qui faisait semblant de dormir lorsqu'on lui enleva ses clefs. Mon
agresseur me voyant morte fut effrayé, et avec l'aide de son domestique ils m'enterrèrent dans le
premier endroit qui leur parut commode. Cet emplacement est maintenant recouvert par une maison,
mais mes restes sont toujours enfouis dans un jardin.
D. - Dans quel endroit est-ce ?
R. - Le Pré aux Clercs.
D. - L'homme qui vous a tué était-il noble ?
R. - Oui, il appartenait à la famille Lesdiguières.
D. - Qui était la pensionnaire enlevée ?
R. - Une novice de famille noble. Il l'avait fait monter dans un carrosse qui l'emporta
immédiatement, car ils devaient se rencontrer plus tard. Elle ne sut jamais rien de mon meurtre, étant
morte quelques années après, dans un pays étranger où tous deux s'étaient réfugiés.
D. - Que fit votre esprit après avoir quitté votre corps ?
R. - Je me rendis directement chez notre abbesse, qui fut terriblement effrayée ; elle me vit et se crut en
proie à un cauchemar. Ensuite j'errai autour de la chapelle, me croyant encore vivante. Je ne m'aperçus
de mon état d'esprit que lorsque ceux qui me mirent en terre prièrent pour moi. Un grand trouble
m'accabla et je me sentis incapable de leur pardonner.
Maintenant encore, j'ai eu une grande difficulté à répondre à votre appel, parce que je me sens
forcée de retourner à Dreux et de hanter l'église sous mon aspect d'autrefois comme je le faisais déjà
avant mon incarnation actuelle. C'est une suggestion terrible qui nuit à mon progrès en m'empêchant
pendant mon sommeil d'entrer en contact avec les bons esprits qui nous réconfortent pendant la nuit.
Emile, vous devez m'aider à me libérer. (Après quelques mots d'encouragement et la promesse de
l'aider, nous continuâmes.)
D. - Dans quelle rue de Paris était situé votre couvent ?
R. - Rue de l'Abbaye.
D. - Sous le patronage de quel saint ?
R. - Saint Bruno : la congrégation des dames de la Passion.
D. - Le couvent existe-t-il encore ?
R. - Saccagé et détruit par la Révolution.
1 Extrait du livre : Les Esprits devant nos yeux, par William Harrison.
D. - En reste-il encore quelque chose ?
R. - Un mur.
(Après ceci, j'écrivis à un ami qui m'informa qu'après de longues recherches, il avait bien
découvert, incrusté entre des maisons, un vieux mur qui autrefois avait dû appartenir au
couvent.)
D. - Avez-vous dans l'incarnation actuelle le souvenir de celle qui l'a précédée.
R. - J'ai une sorte d'appréhension comme si je devais mourir d'une mort violente, une blessure à la
tête ; cela me rend nerveuse quelquefois. Je vois maintenant que c'est un reflet du passé. Il
m'arrive de rêver de fantômes en robe monacale et d'assassins qui se précipitent sur eux.
D. - Habitez-vous loin d'ici ?
R. - En Allemagne.
D. - Votre nom est-il allemand ?
R. - Oui, ces questions me font de la peine.
D. - Est-ce que je vous connais ?
R. - Assurément, oui.
D. - Où habitez-vous ?
Le médium commence à tracer avec difficulté F... Fu... Je crie sous une inspiration brusque, Fulda. Au
même moment, Mme C... poussa un cri et eut un soubresaut violent, renversant presque sa
chaise comme si elle eût ressenti une commotion électrique. Je compris immédiatement que l'esprit
contrôleur était celui de ma cousine Amélie de Y., demeurant à Fulda où elle occupe un haut poste
dans un chapitre protestant de la noblesse.
D. - (Après un long intervalle.) Pourquoi avez-vous donné une si forte secousse au médium ?
R. - Je ne voulais pas que vous sachiez encore.
D. - Votre corps s'est-il éveillé ?
R. - Non, mais j'étais surprise.
Tandis que nous discutions, Mme C... et moi, sur la réalité de l'intervention de ma cousine, la main du
médium écrivit inconsciemment un nom qui mit fin à tous les doutes, car il se référait à un secret
connu seulement de la comtesse et de moi-même.
D. - Comment puis-je m'assurer de votre identité et être certain que vous n'êtes pas un esprit
farceur qui se moque de nous ?
R. - Quand vous me rencontrerez sous peu, demandez-moi si j'ai fait des rêves dans lesquels il me
semble que j'ai été tuée. Je répondrai que non, mais que je rêve parfois d'un prêtre assassiné
par des débauchés. Vous pourrez aussi me faire voir la médaille. Il me semblera déjà l'avoir vue.
Avec cette évocation prirent fin les séances consacrées aux conversations avec Amélie. Quelques
mois plus tard, je rencontrai ma cousine à la maison de campagne de ma soeur. Amélie, selon son
habitude, commençait à me plaisanter au sujet de ma croyance spirite, déclarant que tout n'était
qu'illusion et déception. Je répondis gaiement à ces attaques sans me fâcher, défendant cependant
mes théories sur les rêves, les réminiscences, les messages des esprits.
J'en vins à lui demander en plaisantant si elle n'avait jamais rêvé avoir été assassinée. Elle
répondit non. Après un instant, elle ajouta : « J'ai cependant un rêve désagréable, une sorte de
cauchemar qui me poursuit, me rend nerveuse, mal à l'aise pendant le jour suivant. « En insistant
pour avoir le détail, elle me dit enfin avoir rêvé d'un prêtre catholique en robe sacerdotale
fuyant une église qui brûlait et poursuivi par des hommes armés qui voulaient le tuer.
Après avoir changé de conversation je pris la médaille, laissant supposer que je l'avais achetée
chez un marchand d'antiquités. Après l'avoir maniée quelques instants, elle l'examina si
attentivement et si longuement que je lui demandai : qu'avez-vous ? Elle me répondit qu'elle ne
pouvait s'expliquer pourquoi cet objet lui paraissait si familier. Il lui semblait l'avoir possédé
ou tout au moins vu autrefois, mais ne pouvait se rappeler dans quelles circonstances. Alors je lui
racontai toute l'histoire de son évocation par le médium ; elle me demanda à voir l'écriture obtenue.
Cette écriture me paraissait ne pas ressembler à la sienne, car elle m'écrivait toujours en allemand à la
plume, tandis que les communications étaient écrites au crayon en caractères français.
Quand elle la vit, elle s'écria que positivement c'était son écriture, lorsqu'elle se servait d'un crayon au
lieu d'une plume. Sur-le-champ je la priai d'écrire au crayon quelques mots que je lui dictai et, en effet,
l'écriture était semblable à celle de l'original.
Maintenant elle avait peur en songeant que son âme pouvait hanter une vieille église pendant son sommeil.
Je la priai, afin de paralyser cette attraction, de faire appel à son ange gardien et de dire à haute
voix avant de se coucher : « Je n'irai pas ».
L'ayant fait, j'ai su depuis par mes guides qu'elle était débarrassée de cette obsession.

Je serais reconnaissant, ajoute le prince Wittgenstein, à toute personne qui pourrait m'expliquer ce
fait par une autre théorie que celle de la réincarnation.
Signé : Prince Emile de Sayn de Wittgenstein.
Dans ce cas, il paraît certain que c'est bien l'esprit de la cousine du prince de
Wittgenstein qui s'est manifesté, puisque l'écriture médiumnique est identique à celle
de la personne vivante.
Aucun rapport préalable n'ayant été établi entre le médium et cette dame, il n'y a
pas lieu de faire intervenir la clairvoyance.
Si cette histoire d'assassinat est fausse, il faudrait imaginer que cette dame pieuse et
bien élevée a pris plaisir à mentir, et cela sans aucun intérêt, et, de plus, pendant
son dégagement spirituel, pour accréditer la théorie des vies successives à laquelle
elle se refusait de croire consciemment.
Personnellement, j'aime mieux accepter son récit comme véridique, car rien ne me
permet d'en suspecter la réalité.

UNE RÉNOVATION DU PASSÉ
J'emprunte le cas suivant à l'ouvrage de mon ami Léon Denis : Le problème de l'Etre
et de la Destinée, page 289.
J'ai connu personnellement le prince Wiscznicwski qui m'a toujours paru digne de la
plus entière confiance. Mme Noeggerath, l'auteur du livre La Survie, a entendu le
prince faire le même récit et l'a signalé à M. de Rochas.
Le voici :
Le prince Adam de Wisznicwski, 7, rue du Débarcadère à Paris, nous communique la relation suivante.
Il la doit aux témoins eux-mêmes dont quelques-uns vivent encore et n'ont consenti à être désignés
que par des initiales.
Le prince Galitzin, le marquis de B..., le comte de R... étaient réunis pendant l'été de 1862 aux eaux de
Hombourg.
Un soir, après avoir dîné très tard, ils se promenaient dans le parc du casino ; ils y aperçurent une
pauvresse couchée sur un banc. L'ayant abordée et interrogée, ils l'invitèrent à venir souper à l'hôtel.
Après qu'elle eut soupé avec un grand appétit, le prince Galitzin, qui était magnétiseur, eut l'idée de
l'endormir. Après de nombreuses passes, il y réussit. Quel ne fut pas l'étonnement des personnes
présentes lorsque, profondément endormie, celle qui, dans la veille, ne s'exprimait qu'en un mauvais
dialecte allemand se mit à parler très correctement en français, racontant qu'elle s'était incarnée
pauvrement par punition pour avoir commis un crime dans sa vie précédente, au XVIIIe siècle. Elle
habitait alors un château en Bretagne, au bord de la mer. Ayant pris un amant, elle voulut se débarrasser
de son mari et le précipita à la mer du haut d'un rocher. Elle désigna le lieu du crime avec une grande
précision.
Grâce à ces indications, le prince Galitzin et le marquis de B... purent plus tard se rendre
en Bretagne, dans les Côtes-du-Nord, séparément, et se livrer à deux enquêtes dont le résultat fut
identique. Ayant questionné nombre de personnes, ils ne purent recueillir d'abord aucun renseignement.
Ils trouvèrent enfin de vieux paysans qui se rappelèrent avoir entendu raconter par leurs
parents l'histoire d'une jeune et belle châtelaine qui avait fait périr son époux en le précipitant à la
mer. Tout ce que la pauvre femme de Hombourg avait dit dans l'état somnambulique fut reconnu
exact.
Le prince Galitzin à son retour en France, repassant à Hombourg, interrogea le commissaire de police
au sujet de cette femme. Ce fonctionnaire lui déclara qu'elle était dépourvue de toute instruction, ne
parlait qu'un vulgaire dialecte allemand et ne vivait que des mesquines ressources d'une femme à
soldat.
Cette fois, l'amnésie en ce qui concerne le passé a si bien disparu pendant le
sommeil somnambulique que la malheureuse femme a non seulement ressuscité son

tragique passé, mais cela en employant la langue française dont elle ignorait le premier mot
à l'état normal.
Si nous possédions beaucoup d'exemples aussi caractéristiques, la certitude que nous
revenons un très grand nombre de fois sur cette terre ne ferait plus de doute pour
personne.
Il est à désirer que des savants impartiaux se livrent à l'étude de ces phénomènes, et j'ai
la conviction qu'ils ne tarderaient pas à recueillir des faits aussi démonstratifs que celui-ci.
Extrait de la Conférence sur la Réincarnation faite au Congrès Spirite de Liège, le 28
août 1923, par M. le Dr Torrès :
Il y a 23 ans, un frère et un neveu de mon père demeurant dans un petit village de ma province
furent assassinés à la suite de querelles locales.
Quelque temps après cette mort violente, mon oncle se communiquait par un médium dans ma
famille. Il était très satisfait de tout ce qui lui était arrivé. Il nous expliquait comment, dans une
existence antérieure, dans une ville très éloignée, à Daroca, province d'Aragon, dans une maison qu'il
décrivait très minutieusement, et à la date qu'il précisait, d'accord avec le neveu assassiné qui se
trouvait être alors l'épouse de mon père actuel, ils s'entendirent pour tuer mon père afin de satisfaire des
passions charnelles.
Mon oncle était satisfait de son état dans l'espace et d'avoir subi l'épreuve choisie dans sa dernière
existence. Il remerciait Dieu de lui avoir permis de solder ce compte si douloureux.
Les enquêtes faites à Daroca, ville complètement ignorée de nous tous, confirmèrent en tous points
les détails précis donnés par l'Esprit de mon oncle. Les noms de la rue et de la maison, la date du crime
resté impuni, les noms des personnages, tout fut exactement contrôlé.
Il y a lieu de supposer que la clairvoyance du médium ne peut être invoquée comme
explication, puisque c'est spontanément que ces révélations furent faites par l'Esprit
de l'oncle du docteur.
Après avoir pris connaissance de ce récit, Je fis écrire au Dr Torrès pour lui demander
quelques précisions relativement au médium, au cercle, et pour savoir si un procèsverbal
avait été dressé. Voici les renseignements qu'il fournit :
La séance eut lieu chez moi, dans ma famille où les séances sont très fréquentes. Nous ne faisons pas de
procès-verbaux, étant tous très convaincus de la vérité spirite, nous considérons le fait spirituel comme
un fait naturel de notre vie. La séance eut lieu en présence de six personnes.
Le médium appartenait à ma famille et connaissait seulement l'assassinat de mon oncle et du neveu
de mon père. Mais il ignorait tout de la ville, du drame et des circonstances indiquées par l'Esprit de
mon oncle, de même que les noms des acteurs du drame accompli à Daroca.
La médiumnité eut lieu par la trance ou incorporation complète, avec inconscience totale du
médium au réveil.

UNE EXPIATION
Terminons cette trop courte revue des cas expérimentaux en citant le rapport
emprunté aux archives du groupe de la ville de Huesca dirigé par M. Domingo-Montréal.
Il est assez instructif comme on va pouvoir en juger.1
De 1881 à 1884, on rencontrait dans les rues de Huesca un individu que l'on ne connaissait que sous le nom
de fou Suciac. Il était vêtu d'une façon burlesque, parlait seul, tantôt courait sans but, tantôt marchait
solennellement et ne répondait à aucune des questions qui lui étaient adressées. A la fin, comme il devenait
dangereux, on dut le soumettre à une étroite surveillance.
Dans la même ville se forma un groupe d'études spirites entre personnes de culture moyenne, avec
Domingo Montréal comme président et Sanchez Antonio comme médium. Ce dernier présentait cette
1 Revue scientifique et morale du spiritisme. Presse espagnole, p. 442, année 1912.

particularité qu'étant tout à fait illettré, il écrivait souvent sans ponctuation, d'autres fois avec une
parfaite correction, de longues communications.
Le président résolut d'évoquer l'esprit du fou au moment où il lui semblait dormir et il en obtint plusieurs
messages. Enfin le fou Suciac mourut, et, spontanément, peu après, il donna par le médium illettré
Antonio un message affirmant qu'il avait été seigneur de Sangarren ; qu'il avait eu une conduite
coupable et que la vie au cours de laquelle nous l'avions connu lui avait été imposée comme
expiation. Il affirma que nous trouverions la confirmation de ses paroles dans les archives existant encore
dans ce qui fut son château.
Je me rendis en compagnie de M. Severo Lain et de M. Marvallo Ballestar dans l'antique demeure
seigneuriale, où on nous répondit qu'il n'existait pas trace d'archives. Fortement désappointés, nous
nous réunîmes en séance pour rendre compte du résultat de notre mission. Antonio écrivit
alors que si on retournait au château, on retrouverait près du foyer de la cuisine, dans une cachette,
tous les documents que nous désirions.
On le fit, et, retournés à Sangarren, nous obtînmes la permission de sonder la muraille, et à notre grand
étonnement nous trouvâmes dans un petit réduit toute une série de parchemins. On les rapporta à
Huesca, où ils furent traduits par le professeur Oscariz et confirmèrent en tous points les affirmations
de l'esprit.
Dans ce cas encore la loi morale s'exerce d'une manière indiscutable et les
documents découverts à la suite des indications de l'esprit du fou établissent la très
grande probabilité de ses affirmations en ce qui concerne son existence précédente.

RÉSUMÉ
Nous avons vu, au cours du chapitre précédent et de celui-ci, que la mémoire n'est
pas une faculté aussi instable qu'elle pourrait le paraître au premier abord. Il est
parfaitement exact que nous ne conservons pas le souvenir intégral de tous les
événements qui nous sont survenus pendant le cours de notre vie, l'oubli étant une
condition essentielle pour que l'esprit ne soit pas encombré par la multitude
innombrable des souvenirs insignifiants. Mais contrairement à ce que l'on croit
généralement, la perte des souvenirs n'est pas absolue. Toutes les sensations visuelles,
auditives, tactiles, cénesthésiques, etc., qui ont agi sur nous restent gravées d'une manière
indélébile dans la partie permanente de nous-mêmes que les savants appellent la
subconscience, et les spirites, le périsprit.
Ces sensations, nous l'avons constaté, peuvent renaître soit spontanément, soit pendant le
sommeil somnambulique naturel ou provoqué. Chaque état antérieur de l'existence actuelle
renaît avec une fraîcheur et une intensité qui équivalent à la réalité. Il semble donc que
chaque période de la vie laisse dans la trame fluidique du corps spirituel des empreintes
successives ineffaçables, des sortes de clichés ou mieux d'inscriptions phonographiques formées
par des associations dynamiques stables qui vont en se superposant sans se confondre, mais
dont le mouvement vibratoire diminue à mesure que le temps s'écoule, jusqu'au moment où ces
sensations ou souvenirs tombent au-dessous du seuil de la conscience ordinaire. Puisque
les choses sont ainsi et que le périsprit est indestructible, comme c'est en lui que
s'incarnent les archives de toute vie mentale et physique, il est naturel de supposer que
si l'on rend à ce corps fluidique des mouvements vibratoires analogues à ceux qu'il a enregistrés
à un moment quelconque de son existence, on fera renaître du même coup tous les
souvenirs concomitants à cette période du passé.
C'est ce qui a lieu, comme nous l'avons vu, dans les expériences de MM. Charles Richet, Bourru
et Burot, Pitres, etc. Dès lors, il est logique de poursuivre la régression de la mémoire
jusqu'au delà des limites de la vie actuelle d'un sujet au moyen de l'action magnétique.
C'est ce qu'ont fait les spirites et les savants dont j'ai parlé dans ce chapitre. Sans doute,
les résultats ne sont pas toujours satisfaisants, tous les sujets n'étant pas aptes à faire
renaître le passé. Ceci tient sans doute à des causes multiples dont la principale me paraît
résulter de ce que l'on pourrait appeler la densité périspritale, c'est-à-dire la grossièreté relative
de ce corps fluidique dont les vibrations ne peuvent retrouver l'intensité nécessaire pour
ressusciter le passé d'une manière suffisante, même avec la stimulation artificielle du
magnétisme. Cependant il arrive parfois que pendant l'état de sommeil ordinaire, l'âme
extériorisée temporairement du corps retrouve momentanément des conditions favorables pour
que la renaissance du passé puisse se produire. Il se peut que cette rénovation du passé ait lieu
accidentellement, comme par éclairs, à l'état normal. On assiste alors à une reviviscence
d'impressions anciennes qui donnent à celui qui l'éprouve l'impression qu'il a vu déjà des villes
ou des paysages, alors qu'il n'y est jamais allé. Ce sont ces cas que je vais étudier dans
les chapitres suivants, et l'on constatera qu'eux aussi, s'ils présentent une grande variété,
peuvent cependant se comprendre et rentrent facilement dans le cadre de la mémoire intégrale,
en admettant que celle-ci réside dans le corps spirituel qui accompagne l'âme pendant tout le
cours de son évolution continue.
CHAPITRE VIII
L’hérédité et les enfants prodiges.
Quelques remarques sur l’hérédité. – L’hérédité spécifique est certaine. – L’hérédité psychologique
n’existe pas. – Les hypothèses des savants pour expliquer l’hérédité. – Exemples de savants qui sont
issus de familles tout à fait ignorantes ; réciproquement les hommes de génie qui ont des enfants
dégénérés. – Différentes catégories chez les enfants prodiges. – Les musiciens. – Les peintres. – Les
savants. – Les littéraires. – Les poètes. – Les calculateurs.

LES ENFANTS PRODIGES
Quelques mots au sujet de l'hérédité.
Dans mon ouvrage l'Evolulion animique1, j'ai traité sommairement la question de
l'hérédité dans ses rapports avec la théorie de la réincarnation. Je ne puis donc qu'y
renvoyer le lecteur. Il me suffira ici de rappeler brièvement que la position du
problème n'a pas changé depuis ces dernières années. Nous avons vu précédemment
que l'esprit après sa désincarnation peut, pendant les séances de matérialisation,
reconstituer, au moyen de la matière et de l'énergie fournies par le médium, le corps
physique qu'il possédait dans sa vie antérieure. Il a en lui le pouvoir d'organiser la
matière suivant le type particulier qui a été le sien. Il est fort probable qu'il opère de
même en venant s'incarner sur la terre, mais alors, si aucune influence étrangère
n'agissait sur lui, il devrait renaître avec un type physique semblable à celui qu'il
possédait antérieurement. Or, il n'en est pas ainsi, car il est d'observation courante que
les enfants ressemblent plus ou moins à leurs parents et que les progéniteurs peuvent
même transmettre à leurs descendants des particularités spéciales de leur organisme.
C'est ainsi que les forts muscles du forgeron, les mains calleuses du paysan ou de
l'ouvrier, les mains plus petites dans les familles où l'on n'a jamais fait un travail
physique, le développement des aptitudes les plus différentes par l'usage, le cachet
qu'imprime à l'extérieur d'un homme la profession qu'il exerce, sont des faits très
familiers, et, bien que ne reposant sur aucune observation précise, l'idée de leur
transmission a été de tout temps observée.
M. Ribot classe ainsi les différentes formes de l'hérédité2 :
1. - L'hérédité directe qui consiste dans la transmission aux enfants des qualités paternelles et
maternelles. Cette forme de l'hérédité offre deux aspects :
a) Ou bien l'enfant tient également du père et de la mère au physique et au moral ! Cas très rare au sens absolu,
car ce serait l'idéal même de la loi réalisé ;
b) Ou bien l'enfant, tout en tenant à la fois de son père et de sa mère, ressemble plus
particulièrement à l'un des deux. Et ici encore il faut distinguer deux cas :
Le premier cas est celui où l'hérédité a lieu entre les sexes du même nom : du père au fils, de la mère à la fille ;
Le deuxième cas, qui paraît le plus fréquent, est celui où l'hérédité a lieu entre les sexes de noms
contraires, du père à la fille, de la mère au fils.
2. - L'hérédité en retour ou atavisme consiste dans la reproduction chez les descendants des qualités
physiques ou morales de leurs ancêtres. Elle est fréquente du grand-père au petit-fils et de la grand-mère à
la petite-fille.
1 L'évolulion animique, chapitre V, pages 267 et suivantes.
2 RIBOT, L'Hérédité, p. 204.

3. - L'hérédité collatérale ou indirecte, beaucoup plus rare que les précédentes, a lieu comme son nom
l'indique, des enfants à leurs ascendants en ligne indirecte, du neveu à l'oncle ou grand-oncle ; de la nièce à la
tante.
4. - Enfin, pour être complet, il faut citer l'hérédité d'influence télégonique, très rare au point de vue
physiologique et dont il n'y a peut-être pas au moral un seul exemple probant. Elle consiste dans la
reproduction chez les enfants issus d'un second mariage de quelque particularité propre au premier époux.
Telles sont les diverses formules dans lesquelles se classent tous les faits de l'hérédité.
Pour nous spirites, il y a, en somme, deux choses à distinguer dans le phénomène de
l'hérédité premièrement, le caractère spécifique de l'être qui naît et, secondement, ses
facultés intellectuelles. Je vais examiner brièvement ces deux points.
Il est tout à fait certain que les progéniteurs appartenant à une espèce déterminée
donnent naissance à un être de même espèce. C'est une loi générale et absolue, mais, dans
chaque espèce, au point de vue morphologique, on constate l'existence de races, et dans
celles-ci de grandes différences entre les produits d'un même couple suivant la prépondérance
d'un sexe sur l'autre. En somme, on doit admettre que le type structural est
fonctionnel chez les animaux et chez l'homme. Il est dû à l'action du périsprit sur la
matière ; mais les caractères secondaires, tels que la couleur des yeux et des cheveux, la
forme et la dimension de certaines parties du visage ou du corps et même des organes
internes sont le résultat de l'hérédité physique.
On a vu parfois que le père peut transmettre à l'enfant le cerveau et la mère l'estomac,
l'un le coeur, l'autre, le foie, etc.
Par quel mécanisme s'opère cette transmission, c'est un profond mystère et toutes les
théories imaginées depuis un demi-siècle pour l'expliquer sont restées totalement
impuissantes à solutionner ce problème.
On sait aujourd'hui que l'être qui va naître n'existe pas dans les organes sexuels comme
une réduction microscopique qui n'aurait qu'à grossir en développant toutes ses parties.
Le point de départ est une simple cellule qui, lorsqu'elle est fécondée, passe par une série
de formes successives et différentes avant d'aboutir au terme de son évolution qui a pour
but de représenter l'être complet de cette espèce.
Quelles sont les causes qui nécessitent cette évolution et par quels agents peuvent-elles
se produire ? Je vais citer les noms des savants les plus notoires qui se sont consacrés
à cette étude.
La grande majorité des théories imaginées en vue d'une explication des phénomènes de la
vie et, par conséquent, de l'hérédité reposent sur cette supposition qu'entre les molécules
chimiques et les organes de la cellule visible au microscope, il existerait encore une catégorie
d'unités, des particules protoplasmiques initiales qui, par leur caractère et leur mode de
groupement, détermineraient les diverses propriétés de la matière vivante.
C'est par la définition des propriétés et des arrangements de ces particules
infinitésimales que chaque auteur s'est efforcé d'expliquer les cas si complexes de
l'hérédité.
Herbert Spencer, en 1864, a le premier jeté les fondements de la théorie parcellaire.
Elle fut développée en 1868, par Darwin, sous le nom de Pangenèse. Dans son système, les
particules sont des gemmules. En 1884, Noegeli imagine que ces petites unités, qu'il
désigne sous le nom de micelles, forment des réseaux qui composent ce qu'il appelle
l’idioplasma, et celle non orientées, le plasma nutritif.
En 1902, Weismann complique encore ce système en imaginant non seulement deux
sortes de plasma, mais encore des ides déterminantes et des biophores.
Toutes ces théories, pour ingénieuses qu'elles soient, ne nous fournissent pas encore une
explication réellement scientifique des phénomènes de l’hérédité. C'est ce que ne
craignent pas de déclarer les auteurs du livre les Théories de l'Evolution. En effet,
disent-ils, qu’est-ce qui, dans la composition du protoplasma, détermine son caractère
de vie ? Là nous sommes entièrement réduits aux hypothèses. Elles ne sont pas
directement vérifiables et ne peuvent être jugées par nous qu'à ce point de vue seul :
telle conception donne-t-elle une explication vraisemblable des différents phénomènes
vitaux : ontogenèse, hérédité, variation, etc. ?

Ces hypothèses sont nécessaires, car nous ne pouvons nous résigner à n'avoir aucune
idée sur ces questions qui nous passionnent plus que toutes les autres1.
En somme, l'hérédité morphologique est la loi, bien qu'elle présente des exceptions si
nombreuses pour les caractères secondaires qu'il n'y a presque jamais identité entre les
progéniteurs et leurs descendants.
Au point de vue intellectuel, il en est tout à fait de même, car il existe un nombre
considérable d'exemples de grands savants, qui sont sortis des milieux les plus
ignorants. C'est ainsi, par exemple que Bacon (Roger), Berkeley, Berzélius, Blumenbach,
Brewster, Comte, Copernic, Claude Bernard, Descartes, Galien, Galvani, Hegel, Hume, Kant,
Kepler, Locke, Malebranche, Priestley, Réaumur, Rumford, Spinoza, Sixte-Quint, Young,
etc., etc., sont issus de milieux peu cultivés, et rien ne pouvait faire prévoir les
remarquables facultés qui les distinguèrent à des degrés si éminents. Réciproquement, il
existe un nombre considérable de grands hommes dont les descendants furent même audessous
de la moyenne. Périclès engendra deux sots, tels que Paralos et Xantippos. Le
sage Aristippe donne le jour à un furieux comme Clinias ; du grand historien Thucydide,
naquit un inepte Milesias.
Socrate et Thémistocle n'engendrent que des fils indignes. Chez les Romains, même
remarque Cicéron et son fils, Germanicus et Galigula, Vespasien et Domitien, le grand
Marc-Aurèle a pour fils un furieux tel que Commode. Dans l'histoire moderne, le fils de
Henri IV, de Louis XIV, de Cromwell, de Pierre le Grand, comme ceux -de La
Fontaine, de Crébillon, de Goethe et de Napoléon, dispensent de tant d'autres exemples
qu'on pourrait citer.
Mieux encore : les enfants prodiges nous prouvent, avec une irrésistible évidence, que
l'intelligence est indépendante de l'organisme qui sert à se manifester. Car les formes
les plus hautes de l'activité intellectuelle se montrent chez eux à un âge où le cerveau
n'a pas acquis son plein développement. C'est une des meilleures objections que l'on puisse
opposer à la théorie matérialiste.
Les formes les plus élevées de l'art et de la science se montrent chez les enfants dès l'âge le
plus tendre. Je vais en citer des exemples assez nombreux pour qu'il ne reste aucun doute à cet
égard2.

LES MUSICIENS
On trouve des exemples de prodigieuse précocité à toutes les époques et dans tous les pays.
Au XVIIe siècle, Haendel à 10 ans composait des motets charités dans l'église de Halle.
Le cas de Mozart est bien connu. Il est notoire qu'à l'âge de 4 ans il exécutait une sonate, et sa
faculté musicale se développa si rapidement qu'à 11 ans il composait deux petits opéras Finla
simplice, et Bastien et Bastienne ; l'on sait avec quel succès il poursuivit sa brillante carrière.
Celui que l'on a appelé le Dieu de la musique, Beethoven, se distinguait déjà à 10 ans par son
remarquable talent d'exécutant.
Dans un autre genre, la précocité du grand violoniste Paganini fut telle qu'à l'âge de 9 ans on
l'applaudissait dans un concert à Gênes.
A 6 ans, Meyerbeer possédait déjà assez de talent pour donner des concerts fort appréciés.
Liszt, merveilleux virtuose dès sa plus tendre enfance, donne, à 14 ans à peine, un opéra en
un acte, Don Sanche ou le Château d'amour.
Rubinstein, amené de Russie à Paris à l'âge de 11 ans, excita l'admiration universelle par la
virtuosité de son jeu sur le piano.
Sarasate, à 11 ans, montrait ses qualités de pureté de son et de style qui en ont fait le plus
grand violoniste de notre époque.
Saint-Saëns, virtuose précoce, à 11 ans, donnait son premier concert de piano et n'en avait que
16 lorsqu'il fit exécuter sa première symphonie.
1 DELAGE et GOLDSMITH, Les Théories de l’Evolution, p. 100.
2 Voir également les ouvrages de Léon DENIS, Le Problème de la destiné ; du Dr. PASCAL,
L'Evolution humaine ; et de M. LANCELIN, La Vie posthume.

De nos jours même, certains enfants se sont révélés avec des dispositions véritablement
remarquables pour la musique.
J'ai eu le plaisir de voir au congrès de Psychologie de 1900 le jeune Pépito Ariola, qui à 3 ans
1/2 jouait et improvisait sur le piano des airs variés.
Le professeur Charles Richet a publié sur ce cas une étude dans laquelle il est dit : « qu'il a
joué devant le roi et la reine d'Espagne six compositions de son invention qui ont été notées,
car lui-même ne connaît pas les notes et ne sait ni lire ni écrire.
Il a imaginé un doigté spécial : il remplace l'octave par des arpèges adroitement exécutés et
très habiles. Il est souvent bien difficile, poursuit le professeur Richet, quand on entend un
improvisateur, de dire de qui est l'invention et ce qui est reproduction par la mémoire d'airs et
de morceaux déjà entendus. Toutefois, il est certain que, lorsque Pépito se met à improviser, il
n'est presque jamais à court, et il trouve souvent des mélodies extrêmement intéressantes qui
ont paru plus ou moins nouvelles à des assistants. Il y a une introduction, un milieu, une fin, et
en même temps une variété, une richesse de sonorité qui, peut-être, étonneraient s'il s'agissait
d'un musicien de profession, mais qui chez un enfant de 3 ans 1/2 deviennent absolument
stupéfiantes. »
Plus récemment encore, le jeune Ferreros, dès 4 ans 1/2, a dirigé avec une sûreté et une
maîtrise tout à fait remarquables l'orchestre des Folies-Bergères. Toute la grande presse
parisienne, ordinairement si sceptique, en a fait l'éloge.
Le Journal disait :
Michel-Ange n'avait pas fini d'user sa première culotte que son maître Ghirlandajo le renvoyait de l’atelier,
n’ayant plus rien à lui apprendre. A 2 ans, Henri de Heinecken parlait trois langues. A 4 ans, Baptiste Raisin
témoignait sur le violon une rare virtuosité. A 6 ans, Mozart composait son premier concert.
Aujourd’hui, c'est Willy Ferreros qui stupéfie Paris par la sûreté, l'attention, l'art et la fantaisie avec lesquels
il dirige l'orchestre dans la Revue des Folies-Bergères.
Il n’y a plus d'enfants.
Comoedia :
C’est un tout petit homme pas plus haut que ça ; il porte déjà gaillardement l'habit noir, la culotte de satin, le
gilet blanc et les souliers vernis ; le monocle à l’oeil, la baguette en mains, il dirige avec une netteté, une précision
incomparables un orchestre de 80 musiciens, attentif au moindre détail, soucieux des nuances, scrupuleux
observateur du rythme.
L'autre jour, au hasard d’un voyage dans le Midi, M. Clément Bannel découvrit ce petit prodige, s'enthousiasma
pour un tel instinct musical, et ramena l’enfant à Paris, qu'il conquit dès hier soir, au cours de la
Revue des Folies-Bergères. Willy Ferreros conduisit avec les cadets de Souza, Sylvia, de Léo Delibes,
puis notre Nationale Caroline, etc., etc., etc... Ce fut un succès éblouissant.
L'Intransigeant, 22 juin 1911 :
Cinq ans, pas même. De longs cheveux bruns qui frisent, la figure joufflue d’un petit amour de Boucher.
Nos amis l’ont vu au Trocadéro dirigeant son orchestre avec un flegme imperturbable, une stupéfiante
autorité.
Je l’ai vu chez ses parents dans la claire chambrette au papier fleuri qu’il anime de sa turbulence de gosse
bien portant. Rien en lui ne subsiste de l'enfant prodige. Il n'est pas le moins du monde infatué de son mérite et
il n’y songe même pas un instant.
J’ai installé sur mes genoux le plus jeune chef d’orchestre du monde : Eh ! raconte-moi une histoire, veux-tu ? -
Je pars lundi, je suis content. Je vais à Turin où je verrai grand'mère et puis je vais diriger des concerts
classiques, j’aime mieux ça que les valses et les chansonnettes.
- Dis-moi, que préfères-tu dans tout ce que tu connais ?
- J'aime bien la symphonie de Haydn et la Marche du Tannhauser et surtout j’aime mieux que tout la danse
d’Anita de Grieg. Je l'ai entendue à Cannes, dans un concert classique avec papa et j’ai dit : Il faut
m'apprendre ça, papa ; je veux la conduire. Et papa me l’a apprise, je vais la diriger à l’exposition de
Turin. Je suis content.
Regarde, M. Bannel m'a donné tous ces jouets aux Folies-Bergères et puis ceux-là... Il est gentil... Mais tout de
même, quatre mois et demi dans le même music-hall, c’est la barbe. »

Et après sa confidence, le jeune musicien glisse de mes genoux et va tenir compagnie à un nègre de bois,
tandis que ses parents me racontent qu'à un an déjà il retenait de longs morceaux et se précipitait sur la scène
pour saluer le public après le numéro où avaient joué son papa et sa maman.
Je pourrais allonger la liste de ces enfants prodigieux, qui montrent dès le plus jeune âge un
talent remarquable qu’ils n'ont pu acquérir dans cette vie par l’éducation et qu’ils doivent
nécessairement apporter avec eux comme l'héritage d'une ou plusieurs vies antérieures
consacrées au développement de cet art.
Je vais montrer, toujours par des exemples, que les autres facultés de l'esprit s'affirment chez
certains individus avec une puissance aussi évidente que chez les musiciens. Il s'agit de la
peinture, car nous allons constater que les manifestations de cet art, qu'il est si long et si
difficile d'acquérir par la pratique, se présentent chez certains individus véritablement
prédisposés.

LES PEINTRES
Giotto est encore un exemple des dispositions innées que l'on apporte en naissant. Tout enfant,
simple pâtre, il traçait déjà d'instinct des esquisses si pleines de naturel que Cimabué, l'ayant
rencontré, le prit avec lui.
Un des plus beaux génies de l'Italie, Michel-Ange, à l'âge de 8 ans, connaissait déjà assez
la technique de son métier pour que son maître, Ghirlandajo, lui affirmât qu'il n'avait plus rien à
lui apprendre.
Dès son enfance, Rembrandt manifesta tant de passion pour le dessin que Lombroso
affirme qu'il savait dessiner comme un grand maître avant d'avoir appris à lire.
Le peintre Marcel Lavallard a eu son premier tableau reçu au salon, lorsqu'il n'avait que 12
ans.
Le 12 août 1873, à 10 ans et 11 mois mourait le jeune Van de Kefkhore, de Bruges, qui
laissait 350 tableaux dont quelques-uns, dit Adolphe Siret, membre de l'Académie Royale des
Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Belgique, auraient pu être signés des noms de Diaz,
Salvator Rosa, Corot, etc.
Un autre critique, le peintre Richter, le puissant coloriste français, ayant eu accidentellement
l'occasion de voir une vingtaine de panneaux du jeune prodige, félicita le propriétaire de
posséder des esquisses de Théodore Rousseau en si grande quantité. On eut toutes les peines du
monde à le détromper, et quand il connut la vérité, il ne put retenir une larme sur tant
d'avenir évanoui.

LES SAVANTS, LES LITTÉRATEURS ET LES POÈTES
Hermogène, dès l'âge de 15 ans, enseignait la rhétorique au sage Marc-Aurèle.
Pascal fut incontestablement le plus beau génie du XVIIe siècle. A la fois géomètre,
physicien et philosophe, il est également un littérateur de grande race. Dès ses premières
années, il marque un goût pour l'étude et tout particulièrement pour la géométrie. A l'âge de
13 ans, il avait trouvé les trente-deux premières propositions d'Euclide et il publiait un traité
des sections coniques. Son génie s'affirma plus tard par ses recherches sur la pesanteur de l'air,
l'invention de la brouette et du haquet. Mais c'est surtout comme philosophe que son esprit
s'est élevé jusqu'aux plus hauts sommets de la pensée.
Pierre de Lamoignon, dès le même âge, composait des vers grecs et latins que l'on trouvait fort
remarquables, et il n'était pas moins avancé dans la culture du droit que dans la culture
des lettres.
Gauss de Brunswick, astronome et mathématicien, résolvait des problèmes d'arithmétique alors
qu'il n’avait que 3 ans ; l'on sait avec quel succès il poursuivit sa carrière mathématique.
Ericson, mort en 1869, montrait un tel génie pour les sciences mécaniques qu'à 12 ans il était
nommé inspecteur du grand canal maritime de Suède par le gouvernement. Il dirigeait
600 ouvriers.
Victor Hugo, notre grand poète national, témoignait dès l'âge de 13 ans de sa magnifique faculté
de versification par le prix qu'il obtint aux Jeux Floraux de Toulouse. On l'avait nommé
l'enfant sublime.
William Sidis, de l'État de Massachussets, savait lire et écrire à 2 ans. A 4 ans, il parlait
quatre langues et à l'âge de 12 ans, il résolvait des problèmes de géométrie, était
admis au Massachussets Institute of Technology, où l'âge d'admission est 21 ans et faisait
à l'Université de Harward, à la stupeur des professeurs de hautes mathématiques qui
l'écoutaient, une conférence sur la quatrième dimension de l'espace.
Young, qui imagina la théorie des ondulations de la lumière, possédait dès l'âge le plus
tendre un grand développement intellectuel, car il était capable à 2 ans de lire
couramment et à 8 ans il connaissait six langues à fond.
Un autre enfant, William Hamilton, étudiait l'hébreu à 3 ans ; à 7 ans il possédait des connaissances
plus étendues que la plupart des candidats à l'agrégation.
« Je le vois encore, disait un de ses parents, répondre à une question de mathématiques
ardue, puis s'éloigner en trottinant, traînant après lui sa brouette. A 13 ans, il connaissait douze
langues. A 8 ans, il étonnait tous les gens de son entourage au point qu'un astronome Irlandais
disait de lui :
« Je ne dis pas qu'il sera, mais qu'il est déjà le premier mathématicien de son temps. »
Scaliger qualifiait de génie monstrueux l'Ecossais Jacques Christon qui, âgé de 15 ans,
discutait en latin, en grec, en hébreu, en arabe sur n'importe quelle question.
Pic de la Mirandole fit preuve de la plus grande précocité par ses connaissances approfondies
du latin et du grec, et plus tard de l'hébreu et de la langue arabe. A 20 ans, c'était
l'esprit le plus cultivé de son époque.
Barattier Jean-Philippe, né en 1721 à Schwabach, dans le margraviat d'Anspach, mort en
1740, à Tans savait l'allemand, le français, le latin, l'hébreu. Deux ans après, il composa un
dictionnaire des mots les plus difficiles ; à 13 ans il traduisit de l'hébreu en français
l'Itinéraire de Benjamin Tudèle et l'année suivante il fut reçu magister à l'Université de Halle.
Il publia vers le même temps plusieurs dissertations savantes dans la Bibliothèque
germanique. Il mourut épuisé de travail en 1740.
Henri de Henneke, né à Lubeck en 1721, parla presque en naissant ; à 2 ans, il savait trois
langues. Il apprit à écrire en quelques jours et s'exerça bientôt à faire de petits discours.
A 2 ans 1 /2, il subit un examen sur la géographie et l'histoire moderne. Il ne vivait que
du lait de sa nourrice. On voulut le sevrer ; il dépérit et s'éteignit à Lubeck, le 17 juin 1725,
dans le cours de sa cinquième année, en affirmant ses espérances en l'autre vie. La lame avait
usé le fourreau.
Parmi les linguistes qui se distinguèrent de bonne heure, il faut citer un contemporain, M.
Trombetti, qui surpasse de beaucoup tous ses prédécesseurs. Tout jeune il apprit à l'école
le français et l'allemand ; il lisait Voltaire et Goethe. Il apprit l'arabe rien qu'en lisant une
vie d'Abd-el-Kader.
Un Persan de passage à Bologne lui enseigna sa langue en quelques semaines. A 12 ans, il
apprit simultanément le latin, le grec et l'hébreu. Depuis il a étudié presque toutes les
langues vivantes ou mortes. Ses amis assurent qu'il connaît aujourd'hui trois cents
dialectes orientaux.

LES CALCULATEURS
La faculté de calculer avec une extrême rapidité nous est apparue déjà avec une
singularité surprenante chez les chevaux d'Elberfeld, ainsi qu'avec Rolf et Lola. Nous
allons voir qu'il en est de même pour l'humanité.
Henri Mondeux, né en 1826 près de Tours, d'un paysan dépourvu de toute instruction,
se révéla de bonne heure comme une prodigieuse machine à calcul. A 14 ans, il fut présenté
à l'Académie des Sciences de Paris ; il n'avait d'ailleurs pas d'autres facultés.
En 1837, un tout jeune berger, « Vita Mangiamel », presque un enfant, attirait les
savants de tous les pays par son incomparable faculté de calcul.

A un mathématicien qui lui posait cette question : quel est le nombre qui, élevé au cube
et additionné de la somme de cinq fois son carré, est égal à 42 fois lui-même plus
quarante ? Il répondit en moins d'une minute : « c'est le nombre cinq ».
Jacques Inaudi, simple berger, exécutait les calculs les plus compliqués avec une aisance
et une rapidité déconcertantes. Il fut examiné à l'Académie des Sciences en 1892 et
donna avec une vitesse stupéfiante la solution des problèmes les plus difficiles.
On peut signaler encore les facultés de calcul du jeune Franckall et de l'incroyable
Diamandi.
Le nouveau monde nous offre aussi des exemples variés de précocité dans tous les
genres. C'est ainsi que dans les arts mécaniques Georges Steuler obtint à 13 ans le
diplôme d'ingénieur
Henri Dugan parcourut les Etats-Unis, n'ayant pas encore 10 ans et fit pour la maison
qu'il représentait les meilleures affaires.
Si l'on en croit la presse américaine, assez souvent sujette à caution, un enfant de 5 ans,
Willie Gewin, aurait été reçu Docteur par l'Université de la Nouvelle-Orléans, et un enfant de
11 ans a récemment fondé un journal qui se tirerait à 20.000 exemplaires.
L'immortel auteur de la Jérusalem délivrée versifiait remarquablement vers l'âge de 7
ans.
La petite Joan Maude (5 ans), fille de l'acteur anglais Maude, publie à Londres son
premier ouvrage : Derrière les ténèbres de la nuit.
Ces exemples si nombreux et si variés de précocité intellectuelle sont inconciliables avec
la théorie qui veut que l'intelligence soit un produit de l'organisme. Même si l'hérédité
jouait un rôle dans la genèse de ces prodigieuses facultés, il resterait incompréhensible
qu'un cerveau à peine formé fût capable d'engendrer les plus hautes et les plus
puissantes formes de l'intelligence, car on ne les trouve à ce degré que chez certains
hommes, lorsqu'ils sont arrivés au plein développement de leur cerveau.
L'hypothèse spirite de la préexistence de l'homme est la seule qui donne une explication
logique des enfants prodiges.
On peut se demander comment l'âme d'un Baratier a pu manifester, presque à la mamelle,
des connaissances qui exigent non seulement une mémoire formidable, mais des dons
d'assimilation et de raisonnement indispensables pour la compréhension et l'usage de
langues aussi difficiles à s'assimiler que le grec et l'hébreu. Il est fort probable que l'esprit
de ces jeunes prodiges n'était pas encore complètement incarné ou que c'était
pendant des périodes d'extériorisation qu'il recouvrait la mémoire du passé, et au lieu
d'apprendre ne faisait que se ressouvenir.
Certains spirites voudront sans doute expliquer ces cas si étonnants en supposant que ces
enfants étaient de simples médiums. Cette interprétation me paraît défectueuse, car en bonne
logique il est inutile de multiplier les causes sans nécessité. Puisque nous savons, nous
spirites, que l'âme a existé antérieurement à la vie actuelle, il n'est aucunement nécessaire
de faire intervenir la présence d'entités étrangères. D'ailleurs la médiumnité n'est pas une
faculté constante ; elle n'obéit pas à la volonté du médium, tandis que les enfants dont nous
avons parlé pouvaient à toute heure et en toute circonstance donner immédiatement les
preuves de leurs surprenantes aptitudes.
Sans aucun doute, les enfants prodiges sont des exceptions, mais cependant, bien qu'à un
degré moindre, on retrouve chez certains élèves de nos écoles les dispositions les plus
variées pour les arts et les sciences ; alors même qu'ils sortent des milieux les moins
cultivés, ils se développent avec une telle rapidité qu'ils surpassent tous leurs condisciples.
Ce n'est pas une intuition proprement dite qui leur donne le pouvoir de s'assimiler les notions
nouvelles, mais une sorte de réminiscence qui leur permet de s'approprier les matières les
plus nouvelles qui ne font, en réalité, que se réveiller dans leur subconscience.
Je vais examiner maintenant certains phénomènes dans lesquels ces réminiscences
semblent être réellement des souvenirs de vies antérieures.

CHAPITRE IX
Etudes sur les réminiscences.
Remarques générales sur l’interprétation des phénomènes. – Difficultés de dégager les véritables
causes d’un fait. – A propos des réminiscences il ne faut pas confondre avec le sentiment de déjà vu. –
Exemples de clairvoyance pendant le sommeil. – Celle-ci lorsqu’elle se réveille au cours de la vie est
une réminiscence des choses perçues pendant l’existence actuelle. – Les cas Berthelay et de la Dame
anglaise. – Réminiscences paraissant provoquées par la vision de certains lieux. – Les récits du major
Welesley, du Clergymann. – Curieuse coïncidence. – Réminiscence ou clairvoyance de Mme de
Krappoff. – Souvenirs persistants pendant la jeunesse d’une vie antérieure.

LE SENTIMENT DU DÉJA VU.
Les phénomènes du spiritisme présentent une très grande variété dans leurs manifestations.
Depuis un demi-siècle, ils ont été soumis aux contrôles les plus sévères et les plus réitérés,
non seulement de la part des spirites, mais aussi par les savants qui ont pris la peine
d'examiner les facultés des médiums.
On s'est aperçu alors qu'à côté de faits certains, indubitables, provoqués par les esprits, il en
existait d'autres qui n'ont, avec les premiers, qu'une ressemblance extérieure, mais qui ne
sont pas de véritables communications spirites.
Déjà Allan Kardec, Rudson Tuttle, Aksakoff, Metzger, etc., avaient pris soin de nous
mettre en garde contre ces causes d'erreurs, et les critiques des incrédules ont porté
principalement sur ces pseudo-phénomènes pour essayer d'enlever au spiritisme ce qui fait sa
véritable force, c'est-à-dire la démonstration de nos rapports avec les âmes de ceux qui
ont quitté la terre1. C'est ainsi qu'ils ont attribué toutes les communications par l'écriture
à l'automatisme, et les renseignements qui y sont contenus à la cryptesthésie des sujets
ou à des transmissions de pensée qui leur seraient faites télépathiquement.
De même, les phénomènes d'incarnation ne proviendraient, suivant MM. P. Janet, Flournoy ou
Morselli, que des auto-suggestions des médiums qui s'imaginent représenter des personnalités
étrangères. C'est la thèse que vient de reprendre encore Charles Richet dans son retentissant
ouvrage sur la Métapsychique.
Pour les savants qui admettent la réalité des matérialisations, nous serions dans tous les
cas en présence du phénomène de dédoublement du médium ou d'ectoplasme modelé par
idéoplastie du sujet ; de même la photographie spirite serait due à une cause identique.
Ce qui rend l'étude expérimentale si délicate, c'est qu'en effet l'automatisme, l'autosuggestion,
le dédoublement, l'idéoplastie se mélangent parfois d'une manière presque
inextricable avec les phénomènes réels, de sorte qu'il faut déjà une grande expérience pour ne
pas se laisser tromper par ces manifestations aux allures décevantes. Lorsque l'on saura bien
faire le départ entre les vrais phénomènes médianimiques et ceux provenant de l'animisme,
on pourra marcher plus hardiment dans la voie expérimentale.
On rend donc un véritable service à la science spirite en signalant aux chercheurs les
écueils auxquels ils peuvent se heurter, en les empêchant de prendre pour des révélations de
l'au-delà les élucubrations des pseudo-médiums, ou d'attribuer à certains phénomènes une valeur
démonstrative qu'ils ne possèdent pas en réalité.
Dans cet ordre d'idées, je crois utile d'appeler l'attention des lecteurs sur une catégorie
de faits présentant des analogies avec les preuves certaines qui me servent à établir le bien
1 G. DELANNE. Voir mon ouvrage : Recherches sur la médiumnité
fondé de la théorie des vies successives, mais qui n'en ont que l'apparence : je veux parler des
souvenirs relatifs aux existences antérieures.
Assez souvent on nous objecte que la réincarnation n'est qu'une spéculation
philosophique ne reposant sur aucune preuve matérielle. A ceux-là je réponds que si le
souvenir des vies antérieures ne se constate pas généralement, il se présente cependant
avec assez de fréquence chez certains individus, de sorte que ces réminiscences ne peuvent
s'expliquer que si l'âme a vécu antérieurement.
Pas du tout, répondent maintenant certains docteurs, ce que vous prenez pour le souvenir des vies
passées n'est attribuable qu'à une maladie de la mémoire, signalée il y a longtemps déjà par M.
Ribot, qui l'appelle la fausse mémoire, ou constituant, suivant le Dr Chauvet, le sentiment du
déjà vu ou du déjà éprouvé ; ou encore la fausse reconnaissance. On lui a donné aussi le nom de
paramnésie.
Voici exactement, d'après le Dr Chauvet, en quoi le phénomène consiste :
Parfois c'est un homme qui, en présence d'une femme inconnue de lui, reconnaît subitement sa silhouette,
ses attitudes, sa démarche, l'expression de son visage, sa voix.
Dans d'autres cas, les plus nombreux et de beaucoup, c'est une scène d'intérieur ou bien un paysage ou
encore un aspect de ville qui donne l'impression du déjà vu.
Pénétrant dans un intérieur jusqu'alors inconnu, entouré de personnes dont on vient de faire connaissance,
sentir tout à coup qu'on a déjà assisté, il y a bien longtemps à la même scène, dans le même cadre aux
objets confusément familiers, avec les mêmes personnes ayant les mêmes attitudes et les mêmes jeux de
physionomie, exprimant les mêmes idées avec les mêmes mots et les mêmes intonations, en les
soulignant des mêmes gestes ; ou si l'on était dans les mêmes lieux entrain de parler, s'apercevoir
subitement que dans ce même cadre, étant dans le même état affectif que la première fois, on vient de dire
et de faire ce qu'on a déjà fait : voilà une façon assez commune de ressentir l'illusion du déjà vu.
Suivant le Dr Chauvet, ce sentiment du déjà vu aurait des caractéristiques spéciales ; il
s'imposerais d'emblée à l'attention et porterait sur la totalité des perceptions. Ensuite
le sujet est intimement persuadé que ce qu'il voit est la reproduction d'une scène
antérieurement perçue. Ces impressions suscitent les mêmes états émotionnels que
ceux qu'il aurais ressentis jadis : joie, ennui, indifférence, etc. Enfin cesse sensation
est extrêmement courte, mais chez certains sujets elle s'accompagne de sentiment
d'angoisse, d'agacement.
Jules Lamaître1 a éprouvé plusieurs fois l'impression en question. A propos de vers de Verlaine qu'il
citait, il écrivit en 1888 : « Le poète veut rendre ici un phénomène mental très bizarre et très pénible, celui
qui consiste à reconnaître ce qu'on n'a jamais vu. Cela vous est-il arrivé quelquefois ? On croit se
souvenir, on veut poursuivre et préciser une réminiscence très confuse, mais dont on est sûr pourtant que
c'est une réminiscence, elle fond et se dissout à mesure, et cela devient atroce. C'est à ces moments-là que l'on
se sent devenir fou. Comment s'expliquer cela ? Oh ! Que nous nous connaissons mal. C'est que notre vie
intellectuelle est en grande partie inconsciente, continuellement les objets font sur notre cerveau des
impressions dont nous ne nous apercevons pas et qui s'y emmagasinent sans que nous en soyons avertis. A
certains moments, sous un choc extérieur, ces impressions ignorées de nous se réveillent à demi ; nous
en prenons subitement conscience avec plus ou moins de netteté, mais toujours sans être informés d'où elles
nous sont venues, sans pouvoir les éclaircir, ni les ramener à leur cause, et c'est de cette impuissance que
nous nous inquiétons. » (Les Contemporains, p. 105.)
Wigan2, dans son livre bien connu sur la Dualité de l'esprit, rapporte que pendant qu'il assistait au
service funèbre de la princesse Charlotte, dans la chapelle de Windsor, il eut tout à coup le sentiment
d'avoir été autrefois témoin du même spectacle. L'illusion ne fut que fugitive. Lewes rapproche avec
raison ce phénomène de quelques autres plus fréquents. Il arrive, en pays étranger, que le détour
brusque d'un sentier ou d'une rivière nous met en face de quelque paysage qu'il nous semble avoir autrefois
contemplé.
Introduit pour la première fois près d'une personne, on sent qu'on l'a déjà vue. En lisant dans un livre des
pensées nouvelles, on sent qu'elles ont été présentes à l'esprit antérieurement.
1 Observation rapportée par E. Leroy.
2 Riaoz, Les Maladies de la mémoire, p. 150.

Quelle est l'explication que les psychologues nous offrent de ces phénomènes ?
Suivant M. Ribot, il n'y aurait là qu'un rappel de sensations antérieurement
enregistrées en nous, qui suffirait à faire croire que l'état nouveau en est la répétition.
Si cette hypothèse peut être admise pour les cas simples où le sentiment du déjà vu
est vague, elle n'est guère admissible dans le cas suivant, rapporté par M. Ribot :
Un homme instruit, raisonnant assez bien sur sa maladie, fut pris vers l'âge de 32 ans d'un état mental
particulier. S'il assistait à une fête, s'il visitait quelque endroit, s'il faisait quelque rencontre, cet événement
avec toutes ses circonstances lui paraissait si familier qu'il se sentait sûr d'avoir déjà éprouvé les mêmes
impressions, étant entouré précisément des mêmes personnes ou des mêmes objets, avec le même ciel, le même
temps.
Faisait-il quelque nouveau travail, il lui semblait l'avoir déjà fait dans les mêmes conditions. Ce
sentiment se produisait parfois le jour même au bout de quelques minutes ou de quelques heures, parfois le jour
suivant seulement, mais avec une parfaite clarté.
Il parait bien évident qu'ici il ne s'agit pas de réminiscence, mais d'une anomalie du mécanisme mental de la
mémoire encore assez mal expliqué, bien qu'un grand nombre d'auteurs s'en soient occupés1.
Ce qui nous importe, c'est de remarquer que lorsque le sentiment du déjà vu s'impose
à l'observateur pour des faits contemporains, des conversations ou des lectures, il
résulte d'une maladie de la mémoire, et il n'y aura pas lieu d'en tenir compte lorsque
nous voudrons réunir des documents pour établir la réalité des vies antérieures basée
sur des souvenirs.
En effet, ce sentiment du déjà vu qui projette pour ainsi dire les mêmes sensations
visuelles ou auditives sur deux plans différents, ne peut en rien renseigner celui qui
l'éprouve sur des circonstances qui ne sont pas contemporaines. C'est-à-dire qu'elles ne
lui permettent pas en assistant à une scène, alors même qu'il lui semble l'avoir déjà
vue, de prévoir, par exemple, un accident qui surviendrait un peu plus tard ; ou bien,
en présence d'un paysage qui parait déjà familier, d'indiquer des aspects de ce
paysage qui sont hors de sa portée visuelle.
La paramnésie, tout en donnant le sentiment du déjà perçu, ne révèle rien de
réellement nouveau à celui qui l'éprouve.
Il en va tout autrement pour la réminiscence. A la vue d'un paysage qu'il n'a jamais
contemplé de son vivant, non seulement le sujet a la certitude qu'il l'a connu
antérieurement, mais ce sentiment s'accompagne et se complète par la connaissance de
choses et de détails de ce paysage, qu'il ne peut voir actuellement et qu'il décrit
cependant avec une parfaite exactitude.
De même, nous devons être en garde contre une autre cause d'erreur plus difficile à
découvrir qui serait produite par la faculté que nous avons de nous dégager pendant le
sommeil.
Camille Flammarion, dans son livre L'Inconnu et les Problèmes psychiques2 cite des cas
dans lesquels les dormeurs ont vu en rêve des villes qu'ils n'avaient jamais visitées, mais
qu'ils reconnurent tout de suite lorsqu'ils s'y rendirent effectivement: En voici plusieurs
exemples.
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L’immortalité et la réincarnation ; livre en version complete par GABRIEL DELANNE (Spiritualité, Nouvel-Age - Réincarnation)    -    Auteur : Melanie - Canada


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