Dans la Tradition, la pierre occupe une place de choix. Il existe entre l'homme et la pierre un rapport étroit. Suivant la légende de Prométhée, procréateur du genre humain, des pierres ont conservé une odeur humaine. La pierre et l'homme présentent un double mouvement de montée et de descente. L'homme naît de Dieu et remonte à Dieu. La pierre brute descend du ciel ; transmuée, elle s'élève vers lui". [1]
De tout temps, les hommes ont été fascinés par les pierres et particulièrement par les pierres précieuses, ne serait-ce que pour leur mystérieuse beauté voulue par Dieu créateur de toutes choses ici bas. C'est ainsi que sont apparus ces recueils que nous appelons lapidaires.
Le terme ne remonte pas au-delà du XIIe siècle : c'est un calque du latin lapidarius qui, dans les textes médiévaux, désignait ces traités sur les propriétés des pierres rares et précieuses, aussi bien que celui qui taillait les gemmes ; il fut étendu, par commodité, à tous les ouvrages décrivant les minéraux en général.
Les historiens des sciences ne sont pas toujours d'accord entre eux pour établir les sources des lapidaires médiévaux, mais grâce notamment aux auctoritates que citent les compilateurs du XIIIe siècle, on peut, entre autres, nommer le lapidaire du grec Damigeron (vers le 1er siècle, traduit en latin au Ve siècle), le Polyhistor de Solin (qui vivait au IIIe siècle semble-t-il), les Etymologiae vel Origines de saint Isidore de Séville (560-636, l'auteur le plus lu du moyen âge occidental), le De physicis ligaturis de Costa ben luca, ainsi que des traités médicaux comme le De materia medica du grec Dioscoride (1er siècle, traduit en latin au VIe siècle, puis mis dans l'ordre alphabétique de la lettre et enrichi d'éléments divers au XIe siècle, sans doute par Constantin l'Africain) et le De gradibus du même Constantin enfin. Il s'agit là des sources principales.
Le premier en date et le plus célèbre des lapidaires proprement médiévaux est le De Lapidibus de Marbode de Rennes. Né en Anjou vers 1035, chancelier de l'école cathédrale d'Angers en 1069, élu évêque de Rennes en 1096, Marbode est mort au monastère de Saint-Aubin près d'Angers en 1123 ; il rédigea son lapidaire avant 1096 et sa célébrité fut telle que les écrivains des siècles suivants citent auteur et son ouvrage confondus sous le titre de "lapidarius" et dans les versions françaises "Le lapidaire". Il est le modèle de tous les traités ultérieurs sur les minéraux, ou pratiquement.
En 1968, John M. Riddle, historien américain de la pharmacie, afin d'étudier les lapidaires médiévaux, a recensé les manuscrits des bibliothèques d'Europe, en a trouvé 616, pour la plupart en latin, dont 125 de celui de Marbode [2]. Le nombre de ces manuscrits conservés jusqu'à nos jours prouve avant tout que le lapidaire était l'un des genres les plus populaires, si ce n'est le plus populaire, de la littérature scientifique médiévale. Quant au traité de Marbode, il a été de loin le plus grand "best-seller" dans cette catégorie, et ce pour plusieurs siècles : à côté des textes latins, il subsiste de nombreuses traductions vernaculaires, et d'abord du De Lapidibus [3].
En général, on distingue trois type de lapidaires : les lapidaires magiques ou astrologiques, les lapidaires symboliques chrétiens et les lapidaires scientifiques. Notons toutefois que, bien que repris par des historiens des sciences comme Joan Evans ou George Sarton [4], ce classement en trois types est commode; mais ceux-ci ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et interfèrent le plus souvent en fait : les lapidaires symboliques décrivent aussi les pierres et les lapidaires scientifiques rappellent parfois leur sens symbolique ; les uns comme les autres citent leurs propriétés magiques. Le De Lapidibus de Marbode peut ainsi apparaître comme un exemple du genre scientifique, mais il est évident que son auteur n'a jamais eu conscience d'une quelconque classification ; il a écrit en outre trois lapidaires plus courts qui sont consacrés aux douze pierres de la Bible, mais on ne peut les classer catégoriquement comme lapidaires symboliques, surtout le deuxième qui expose les utilisations des douze pierres en médecine.
Nous passerons rapidement sur les lapidaires magiques ou astrologiques qui remontent à quelques auteurs de l'Ecole d'Alexandrie mais ne connaissent pas la diffusion des deux genres suivants. Ils établissent une correspondance entre les pierres précieuses, les métaux et les planètes :
Le Cristal correspond à l'Argent et à la Lune ;
l'Aimant au Mercure et à la planète du même nom ;
l'Améthyste, la Perle, au Cuivre et à Vénus ;
le Saphir et le Diamant à l'Or et au Soleil ;
l'Emeraude et le Jaspe au Fer et à Mars ;
la Cornaline et l'Emeraude à l'Etain et à Jupiter ;
la Turquoise et les pierres noires au Plomb et à Saturne. [5]
Ils sont certainement d'origine orientale. Dans la tradition islamique, les pierres précieuses sont utilisées, comme dans l'Antiquité gréco-romaine, pour d'innombrables pratiques magiques multipliant les jeux de correspondances. On en trouve quelques échos dans les traités chrétiens par la compilation de certains ouvrages arabes.
I.
Le second genre, celui des lapidaires symboliques, a connu un indéniable succès puisqu'il en reste 94 manuscrits dans le relevé de John M. Riddle ; ces lapidaires chrétiens décrivent essentiellement les douze pierres mentionnées dans la Bible, sur le pectoral (ou rational) d'Aaron dans l'Exode ou dans la description de la Nouvelle Jérusalem dans l'Apocalypse de saint Jean :
Les assises de la muraille de la ville sont parées de toute pierre précieuse ; la première assise est de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d'émeraude, la cinquième de sardonyx, la sixième de sardoine, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième de hyacinthe, la douzième d'améthyste.[6]
Cela signifie que, dans cet univers nouveau toutes les conditions et tous les niveaux d'existence auront subi une transmutation radicale dans le sens d'une perfection sans égale ici-bas et de nature toute lumineuse ou spirituelle. [7]
Nous avons un bon exemple de l'exploitation littéraire de cette tradition dans la première vision du Paradis qu'ont le bon abbé Brandan et ses moines, au terme de leur errance sur les eaux de l'Océan, vision que décrit ainsi Benedeit au début du XIIe siècle :
Ils voient d'abord un mur qui s'élève jusque dans les nuages [...]. C'est le Roi céleste qui l'a érigé [...]. Il est parsemé de gemmes qui projettent une grande lumière éclatante : chrysolithes de choix tachetées d'or en grande quantité ; le mur flamboie, resplendissant de topazes, chrysoprases, hyacinthes, calcédoines, émeraudes sardoines ; en bordure, des jaspes et des améthystes luisent avec éclat ; il y a aussi la jacinthe brillante, le cristal et le béryl qui se renvoient leur luminosité. [8]
Quittons un instant les lapidaires pour nous attarder sur la tradition perpétuée par certains évêques de l'Église d'Occident de porter le pectoral d'Aaron où les douze gemmes figuraient les douze tribus d'Israël. Le texte de l'Exode décrit minutieusement les vêtements du Grand Prêtre investi par Moïse sur le commandement de Dieu. A propos du pectoral, nous lisons ceci :"
Tu lui sertiras une sertissure de pierres : quatre rangées de pierres. Sur une rangée, une sardoine, une topaze et une émeraude, la première rangée ; la deuxième rangée : une escarboucle, un saphir et un diamant ; la troisième rangée : une opale, une agate et une améthyste ; la quatrième rangée : une chrysolithe, un onyx et un jaspe. Elles seront piquées dans l'or par leurs sertissures. Les pierres seront au nom des fils d'Israël". [9]
Selon Guy Denys [10], les noms de ces douze pierres, qui ne sont pas tous traduits par la tradition rabbinique, posent un problème car les traducteurs chrétiens, à partir de la Septante ou de la Vulgate, leur donnent des noms en grec ou en latin, mais ces vocables, interprétation du texte juif primitif, ne concordent pas tous. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces traductions, nous contentant ici de renvoyer à l'article fort documenté de Guy Denys qui donne un tableau des noms des douze pierres selon les versions les plus courantes. Nous reprendrons seulement la liste de la Vulgate, légèrement différente de celle de la traduction du chanoine Osty citée ci-dessus : sardoine, topaze, émeraude ; escarboucle, saphir, jaspe ; hyacinthe, agate, améthyste ; chrysolithe onyx, béryl. [11]
Guy Denys a relevé quelques exemples qui prouvent que l'Eglise catholique connaissait aussi le pectoral à douze pierres précieuses. Il cite d'abord Viollet-Le-Duc :
Au moyen âge, on portait à côté du Rational d'étoffe un pectoral de métal directement imité du pectoral du Grand prêtre. On en trouve mention chez Guillaume de Poitiers (né vers 1020, décédé comme Archidiacre dans le diocèse de Lisieux à une date inconnue) dans son Histoire de Guillaume le Conquérant ; lors de la conquête de l'Angleterre, il décrit l'habillement d'Hugues, évêque de Lisieux, et énonce avec précision qu'il portait sur ses habits le Rational". [12]
Viollet-le-Duc rappelle également la statue de saint Sixte, le premier évêque de Reims, au trumeau de la porte centrale du transept nord de la cathédrale de Reims (vers 1230). Guy Denys, en application des coutumes de l'emblématique et de l'héraldique médiévales, fait observer que le saint, sur sa chasuble, porte le rational dont le pectoral n'est plus de quatre fois trois pierres mais de trois fois quatre pierres:
la lecture symbolique médiévale n'acceptant pas que le chef soit relégué à un rang inférieur [...] les quatre tribus dirigeantes sont sur la ligne du haut". [13]
L'un des plus importants théologiens du XIIIe siècle, Guillaume Durand dit "le Spéculateur" (né près de Béziers v. 1230, mort à Rome en 1296), fut un temps évêque de Mende où il écrivit en 1286 le Rationale divinorum officiorum [14]. Dans le chapitre "Des vêtements de l'ancienne loi", il décrit le pectoral :
[Il] s'appelait en hébreu heen, en grec logion et en latin rationale [...]. Or, on l'appelait le rational du jugement parce qu'il contenait les pierres par la splendeur desquelles les Israëlites connaissaient que Dieu leur était propice". (La liste de ces pierres est celle de la Vulgate).
D'après l'archiviste paléographe François Eygun, "le Pectoral ou Rational a été porté jusque dans les années 1930, sous des formes diverses", par les archevêques de Paderborn en Rhénanie et de Cracovie en Pologue, et aussi par l'évêque de Toul, après avoir été "très répandu du Xe au XVIe siècle parmi les évêques membres ou voisins du Saint Empire Germanique" [15]. Le sens de cette tradition nous est donné par Durand de Mende :
Porter comme le Grand Prêtre le jugement des fils d'Israël sur sa poitrine et en la présence du Seigneur, c'est discuter les causes de Ses sujets par la seule considération du Juge des coeurs.
Constatant que, de son temps, il est difficile de faire un ornement correspondant au Rational "parce que nous n'avons pas l'abondance des pierres précieuses", il en voit la réplique dans le livre de l'Evangile que le pontife porte devant sa poitrine en présence de tout le peuple :
Or, là était écrit : Doctrine et Vérité, et l'évêque doit avoir dans le coeur la vérité de l'Evangile et sa doctrine dans la bouche, en tant que pour le manifester, et cela peut être la cause pour laquelle, en quelques églises, on orne les plats du Livre des Evangiles d'or, d'argent et de pierres précieuses [...]. C'est que dans ce livre resplendissent l'or de la sagesse, l'argent de l'éloquence et les pierres précieuses des miracles.
Cette fascination que l'or et les pierres précieuses ont exercés sur les puissants du monde féodal conduit certains jusqu'à l'extase mystique : la contemplation de leur beauté permet d'accéder à la splendeur divine. Ainsi Suger, plus d'un siècle avant Guillaume de Mende (v. 1081-1151) écrit :
En transposant ce qui est matériel en ce qui est immatériel, le charme des gemmes multicolores m'a conduit à réfléchir sur la diversité des vertus sacrées. [16]
Et il fit graver sur la porte de bronze de son abbaye de Saint-Denis :
Par la beauté sensible, l'âme engourdie s'élève à la vraie Beauté et, du lieu où elle gisait engloutie, elle ressuscite au Ciel en voyant la lumière de ces splendeurs. [17]
II
Nous changeons tout à fait de registre avec le lapidaire scientifique ; c'est, des trois, le genre le plus populaire. Nous en avons cité les sources principales au début de cette étude, mais il faut y ajouter, à partir du XIIIe siècle, les emprunts à Aristote, et aussi à l'un des maîtres de l'Ecole de Salerne, le médecin italien Mattheus Platearius, cité en français comme "le Platéaire". Les lapidaires scientifiques représentent environ les cinq sixièmes des manuscrits et des éditions qui nous soient connus.
Le De lapidibus de Marbode de Rennes, que nous prenons comme premier exemple, décrit en vers soixante pierres et suit en général un même plan pour chacune : description, endroit où l'on peut la trouver, ses pouvoirs (magiques) et son utilisation, presque toujours en médecine. Parfois, il donne seulement la description, ailleurs uniquement les propriétés, les vertus de la pierre. La vertu d'une pierre, c'est en quelque sorte sa "personnalité"[18]. Cette vertu est décrite dans des termes que l'on appellerait aujourd'hui médicaux, physiques ou magiques, mais de telles distinctions sont bien évidemment modernes. La question que se posent les gens du moyen âge est simple : quelles sont les vertus de telle pierre ? Marbode trouve ses réponses, parfois incomplètes, nous l'avons vu, chez les "autorités"; mais il n'en retient pas tout : c'est en fait la pratique de tous les compilateurs, qui n'utilisent pas toutes les informations dont ils disposent, et nous ne pouvons déterminer sur quelles bases ils ont fondé leur jugement critique.
Dans ce lapidaire que nous qualifions de scientifique, le magique et le surnaturel sont mêlés sans référence au Christianisme ; mais Marbode, dans le début de son poême, dit que le merveilleux pouvoir des pierres est d'origine divine. Du reste, la critique moderne a pu mettre en évidence que la tradition médiévale, suivant en cela les Institutions de Cassiodore sur les oeuvres sacrées et profanes, sépare complètement (sauf comme partie d'un tout) les études sacrées, bibliques, des spéculations scientifiques[19].
Mais avant tout, et ses utilisateurs ne s'y trompent pas, le lapidaire de Marbode est un guide médical et pharmaceutique. Toujours dans son prologue, l'auteur, en effet, souligne combien ce serait bénéfique pour l'homme si les pouvoirs des pierres pouvaient être connus par "l'art de médecine", car elles peuvent même protéger de la mort : "Le pouvoir des herbes est grand, dit-il, mais celui des pierres est plus grand encore".
Les compilateurs du XIIIe siècle vont accroître assez considérablement les premiers lapidaires et y ajoutant diverses roches et minerais. Pour donner un rapide aperçu du contenu de ces traités sur les minéraux, nous prendrons comme modèle le De proprietatibus rerum du franciscain Barthélemy l'Anglais dont le livre XVI est intitulé "De gemmarum", et plus prosaïquement mais plus justement dans la traduction de Jean Corbechon, Le livre des proprietez des choses (1372) : "Des pierres et des metaulx". Barthélemy traite de quelque 104 pierres, roches et terres, minerais et métaux en 102 chapitres d'inégale longueur et selon le même schéma de présentation que Marbode[20], suivant la même méthode d'emprunts sélectifs aux "autorités" ; les chapitres se suivent dans l'ordre alphabétique de l'époque, seule la première lettre de chaque nom de "pierre" étant prise en compte ; dans la translation française, l'ordre des chapitres reste celui de l'original latin quel que soit le nom vulgaire de la pierre. On passe ainsi du sable (arena, "araine ou sablon") à l'argile (argilla, "arsille"), à l'albâtre (alabastrus, "alebastre"), à l'or (aurum, "or"), au laiton (auricalcum, "laiton"), à l'arsenic (auripigmentum vel lapis arsenicus, "orpin ou arcenic") et ainsi de suite.
Les savants du moyen âge se sont bien sûr demandé comment s'étaient formées toutes ces pierres. Nous retiendrons ici deux réponses. Barthélemy l'Anglais, au livre VIII de son encyclopédie, dit que les pierres et les métaux sont engendréés dans les "veines de la terre" par la "lueur" qu'il distingue soigneusement de la lumière :
Dans le ventre de la terre où la lumière ne peut entrer pénètre la lueur, comme on peut s'en rendre compte par les mines d'or, d'argent, de fer et des autres minéraux qui y sont engendrés. Car tout corps composé des quatre éléments a besoin de la lueur qui diminue la contrariété des éléments qui le composent[21].
Avicenne, pourtant source fréquente de Barthélemy, donne une autre origine aux minéraux :
Ce qui reste de vapeur et de fumée dans la terre est l'origine des couches de substances minérales. En certains groupes de ces substances, il y a davantage de fumée : par exemple le sel ammoniac et le soufre. En d'autres groupes, la vapeur l'emporte et devient comme une eau solidifiée : par exemple le rubis et le cristal de roche qui fondent difficilement tant ils sont solides, inaltérables et résistants aux coups[22].
Pour donner une idée de contenu de ces traités savants sur les minéraux, nous résumerons quelques chapitres, choisissant par exemple une roche commune, le sable, une gemme, le diamant, et un métal, l'or, avant de nous introduire quelques instants dans la "pharmacie" de Barthélemy.
Araine que nous appelons sablon" (Corbechon). Il est si sec que, lorsqu'on le presse entre les mains ou sous le pied il "crie" (il brait) et si on en jette sur un vêtement, il n'en reste rien quand on le secoue (référence : Isidore). Le sable se trouve dans l'eau de la mer "sans lymon et sans ordure" ; il est si sec qu'il ne peut former un bloc comme la pierre ; il est plus dur que la terre mais plus mou que les pierres. Il est froid, sec, menu, très lourd et "coulant" ; il est stérile par manque de chaleur et d'humidité naturelles. La pluie ne le ramollit pas : au contraire, il devient plus dur et se tasse (référence : Aristote, Livre des propriétés des éléments). Le sable arrête le flot de la mer et l'empêche de dépasser la limite que Dieu lui a assignée, comme le dit saint Jérôme (glose sur le XVe chapitre de Jérémie, et plus loin Barthélemi se réfère à une autre glose pour décrire les mouvements du sable dans le delta du Nil). Le sable enfin est utilisé pour filtrer l'eau qui le traverse ; il "éclaircit" les métaux et ote la rouille quand on les en frotte. En médecine, il refroidit les abcès et les enflures et les fait désenfler (référence : Constantin).
Le diamant, "petite pierre que l'on trouve en Inde", est plus dur que le fer et les Grecs l'appelaient "la force qu'on ne peut apprivoiser". Remarquons que le diamant aurait été découvert environ 800 ans avant J.C., effectivement aux Indes. Selon Guy Denys, "bien que connu des Grecs et des Romains, il n'a été réellement apprécié qu'au moyen âge, époque où l'on découvrit la taille de cette pierre" qui était considérée comme la substance la plus dure que l'on puisse trouver dans la nature. On a longtemps cru que le diamant ne pouvait être brisé, comme l'atteste l'expression "c'est un diamant sous les marteaux" que Furetière (1690) explique ainsi :
homme ferme et constant, qui résiste aux persécutions. Par une vieille erreur populaire qui a fait croire qu'un diamant ne peut être brisé par les marteaux ; ce qui est si faux qu'un orfèvre en cassera autant qu'on voudra.
Cette propriété du diamant en fait un symbole de constance au Moyen Age (et l'article du dictionnaire de Furetière nous atteste que cette croyance n'est pas éteinte à la fin du XVIIe siècle) : le diamant, dit Barthélemy se référant à Dioscoride, est la "pierre d'amour" et de réconciliation" ; en effet, si un mari est courroucé envers sa femme et que celle-ci porte un diamant, il lui pardonne plus facilement. Cette pierre a bien d'autres propriétés magiques : si un "vrai diamant" est mis sous la tête d'une femme pendant son sommeil, son mari peut savoir si elle le trompe car elle le prend par le cou, tout en dormant, si elle est chaste, mais dans le cas contraire, elle s'écarte de lui et se laisse tomber du lit "comme indigne de sa compagnie". Dioscoride et Marbode rapportaient la même chose mais à propos de l'aimant et non du diamant. Barthélemy déclare ensuite comme Marbode que cette pierre, quand on la porte au côté gauche, protège contre "les ennemis, la folie, les disputes, les fantômes et les mauvais rêves, les poisons" et enfin "les diables qui couchent avec les femmes sous l'aspect d'hommes" (il n'y a pas d'utilisation à proprement parler médicale).
L'or tire son nom de l'air, selon Isidore, parce qu'il "brille par la réverbération de l'air" (c'est d'ailleurs la nature de tous les métaux) ; plus l'or est fin et de bonne qualité, plus il resplendit. Selon Aristote, il est formé comme les autres métaux de "fin soufre rouge et de vif argent" (les différences de proportions donnent les différents métaux). L'or est le plus lourd et le plus résistant des métaux : il garde son poids et ne diminue pas de volume quand on le fait fondre. Il est aussi le plus souple des métaux, le plus facile à travailler au marteau sans se briser : on peut en faire les feuilles les plus minces et le fil le plus fin. L'or est enfin le plus beau des métaux, c'est pourquoi "la couleur dorée est la plus belle". L'or est très employé en médecine, car il est "le plus vertueux métal" qui soit grâce à sa pureté, selon le Platéaire. Par sa "vertu confortante", il ôte les superfluités qui sont assemblées dans le corps ; d'après Avicenne, il empêche que la lèpre soit trop visible "par dehors". Citons quelques recettes, dans l'ordre où elles figurent dans le texte :
- La limaille d'or mêlée à du jus de bourrache est bonne contre les défaillances du coeur et contre une maladie très dangereuse que l'on appelle la "passion cardiaque.
- Le vin dans lequel on a "éteint de l'or ardent" est très utile contre les maladies de la rate et bien d'autres "passions", notamment la mélancolie.
- Quand il est nécessaire de cautériser une plaie, il vaut mieux le faire avec un instrument en or qu'en fer ou en un autre métal, car on évite qu'il s'infecte ("l'on garde le membre de puantise")
- La poudre d'or ote les tâches des yeux "quand on la met dedans".
- Pour enlever les poils, Constantin conseille de frotter les parties du corps à épiler avec de l'or brûlant, et jamais plus ils ne repousseront. |
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