35
celui des “sentencing guidelines”, des recommandations de sanction ou “lignes directrices
pour le prononcé de la peine”. Le juge s’y transforme en une sorte de distributeur automatique
des peines, sont rôle consiste à appuyer sur quelques boutons. Pour chaque infraction, le juge
utilise deux paramètres. Le premier se réfère à la gravité de l’affaire, le second au passé
judiciaire de l’accusé. Horizontalement, une ligne figure le passé judiciaire du prévenu, les
infractions y étant classées par un système de points dans un ordre de gravité croissante.
Verticalement, une autre ligne figure la gravité de l’infraction reprochée classée par niveaux de
1 à 43. Le juge n’a qu’à se rendre à l’intersection de ces deux lignes pour y constater la peine.
Il peut certes légèrement la modifier en raison de circonstances aggravantes ou atténuantes,
mais sa marge de manoeuvre est étroite. Le juge doit justifier de son écart et un appel est
possible.
Ce système peut être la source de graves injustices. Tout simplement parce que juger est tout
sauf une opération mathématique. La sanction est un équilibre qu’il faut rechercher à chaque
fois. Il n’est de pire injustice que d’être pris pour un objet. Une sanction efficace est une
sanction humaine à laquelle le condamné peut adhérer. Or personne ne peut adhérer à une
démonstration mathématique, on peut simplement l’admettre, car les mathématiques existent
en dehors de nous.
Droit et démocratie
Si le juge veut garder sa place, la place naturelle que les principes premiers de la démocratie
lui assignent, il lui faudra être plus que jamais juriste. Car le droit lui impose de ne pas se
contente de la peine qu’on lui souffle. Deux principes constitutionnels sont en jeu qui
traduisent la nécessité d’adapter la peine au cas par cas, à l’individu jugé plutôt qu’à l’acte
commis. Le premier principe est celui qui veut que la peine prononcée soit proportionnelle à la
gravité de l’acte commis. Ce principe est posé depuis 1789 par la Déclaration des Droits de
l’Homme (article 8) et rappelé régulièrement par le Conseil Constitutionnel français. L’autre
principe est celui de l’individualisation des peines qui nécessite que sa personnalité soit prise
en compte par le juge: “l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle
et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du
condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle
réinsertion”.
Il lui faudra aussi prendre rang parmi les barbares. Fièrement. En revendiquant sa place parmi
ceux qui écoutent, qui entendent, qui attendent, qui observent avant d’agir. On ne peut rien
guérir que l’on ne connaisse. On ne peut rien punir que l’on ne comprenne.
(1) Décisions n°86-215 du 3 septembre 1986 et 93-334 du 20 janvier 1994
36
Chapitre IV
MINEURS DÉLINQUANTS.
LE DÉBUT DE LA BARBARIE?
Le premier problème de sécurité.
“Le premier problème de sécurité qu’il nous reste aujourd’hui à résoudre, c’est l’affaire des
mineurs” (Emission “à vous de juger” du 30 novembre 2006). “Lorsque je dis qu’un mineur
de 2006 n’a plus grand chose à voir avec un mineur de 1945, ce n’est pas pour le dénoncer,
c’est pour chercher un moyen de le préserver. Or l’ordonnance de 1945 ne nous le permet
pas, même si elle a été retouchée à plusieurs reprises pour apporter des débuts de réponse à
ce phénomène, et dernièrement encore en mars 2004. Il ne faut donc pas s’interdire des règles
nouvelles. Je le dis solennellement, si nous continuons avec la même quasi-impunité garantie
aux mineurs délinquants, nous nous préparons à des lendemains très difficiles, et nous
n’aurons à nous en prendre à nous. Sur les dix dernières années, le nombre de mineurs mis en
cause a augmenté de 80%. Si ce n’est pas un signal d’alarme, je ne sais pas ce que c’est.
(Discours au Sénat, le 13 septembre 2006, lors de l’examen du projet de loi sur la prévention
de la délinquance). “Et je demande une chose précise: qu’un mineur de 16 à 18 ans qui est un
multirécidiviste, l’excuse de minorité lui soit supprimée pour qu’il soit condamné comme un
majeur parce que pour Mama Galédou, cette jeune femme qui a été brûlée dans le bus de
Marseille, être brûlée sur 62% de son corps... par un mineur ou un majeur, le résultat pour la
victime est le même”. (Emission Riposte, la 5, le 10 décembre 2006). “Face aux actes de
violences gratuits, face à la délinquance des mineurs, la réponse de l’autorité judiciaire doit
être plus ferme. Si l’on excuse la violence, il faut hélas, s’attendre à la barbarie. C’est
pourquoi j’ai souhaité une première réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs. C’est
pour répondre à cette violence de plus en plus dure, qui peut conduire les plus jeunes jusqu’au
crime, que j’ai demandé des sanctions adaptées aux mineurs d’aujourd’hui. La loi sur la
prévention de la délinquance constitue, à cet égard, un premier pas. D’autres étapes sont
devant nous”. (conférence de presse du 11 janvier 2007, Ministère de l’intérieur).
Une élection et cinq années de gouvernement pour réformer la justice des mineurs
À écouter Nicolas Sarkozy parler de la délinquance et de la justice des mineurs, on se demande
parfois si, depuis cinq ans, nous n’avons pas été victime d’hallucinations. 2001-2002: le
principal sujet de campagne n’a-t-il pas été l’insécurité? Les deux principaux candidats de
l’époque n’ont-ils pas déjà âprement discuté du sort à réserver aux mineurs délinquants
précisément? Dans cette bataille, que certains ont peut-être oubliée, Lionel Jospin proposait de
37
créer de nouvelles structures d’hébergement des mineurs délinquants. Il était fier de dresser la
liste des 51 centres d’éducation renforcés et des 43 centres de placement immédiat dont le
nombre allait augmenter en cas de victoire. Il proposait de réformer l’ordonnance de 1945 pour
tenir compte d’un contexte social profondément modifié en développant notamment l’accueil
des mineurs dans des structures fermées. Jacques Chirac n’était pas en reste. Son programme
était étonnamment proche de celui de la droite d’aujourd’hui. Que proposait-il?
“- objectif: impunité zéro
- adapter l’ordonnance de 1945 sur les mineurs
- création de centres préventifs fermés pour les mineurs délinquants en instance de jugement
- création d’établissements éducatifs fermés pour les mineurs multirécidivistes...”
Après la victoire de Jacques Chirac, la droite, toute la droite, a mis en oeuvre les réformes
promises. Depuis 2002, quatre réformes de l’ordonnance de 1945 ont eu lieu. Toutes ont le
même objectif: modifier la philosophie de l’ordonnance de 1945, mettre fin à une soi disant
impunité dont bénéficieraient les mineurs, calquer la justice des mineurs de celle des majeurs,
les faire juger plus vite, plus sévèrement, créer des structures fermées pour mineur... La loi
“d’orientation et de programmation pour la justice” du 9 septembre 2002 dite “Loi Perben I”
est la loi la plus aboutie en la matière. Elle contenait tout un titre (le titre 3) “portant réforme
du droit pénal des mineurs”. 21 articles de cette loi modifiaient l’ordonnance de 1945! Toutes
les dispositions de cette loi allaient dans le sens de davantage de répression. Les centres
éducatifs fermés étaient créés. Apparemment toutes ces réformes faites par un gouvernement
où Nicolas Sarkozy a été presque constamment ministre ne suffiraient pas. Les mineurs ont
encore changé, il faudrait, cette fois-ci, les traiter comme des majeurs à partir de 16 ans et les
mettre davantage en prison. Depuis 2002, leur impunité n’aurait donc pas cessé malgré tous les
efforts du gouvernement et la délinquance juvénile aurait augmenté malgré la politique du
ministre de l’intérieur.
Les mineurs de 2006 et ceux de 1945: l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans.
“Croyez-vous réaliste qu’un jeune de 17 ans et demi, de 1m90, qui a commis des violences
répétées, soit présenté devant un juge qu’on appelle un “juge des enfants”? (Discours du 25
mars 2006)12. “Comment expliquer à une grand-mère qui se fait agresser par un jeune de 17
ans et demi, qui fait 1m80, qu’il n’est pas responsable parce qu’il est mineur?” (Discours du 3
juillet 2006). Les mineurs délinquants - ceux de 16/18 ans en tout cas - ont beaucoup changé,
nous dit Nicolas Sarkozy qui évoque à loisir “des agressions à main armée, des viols, commis
par des jeunes gens mineurs mais parfaitement adultes physiquement”. Ils n’ont “plus rien à
voir” avec ceux de 1945. La jeunesse change! Belle découverte! Que n’a-t-on entendu ce
discours, à tous les âges, à toutes les générations, à tous les siècles. Les “apaches” de la fin du
XIXème siècle et du début du XXème, ces bandes de jeunes désoeuvrés des faubourgs de
Paris, violents, “assassins”, “violeurs”... Les blousons noirs des années soixante, ces “géants”
de l’époque, qui se déplaçaient en bande, dé préférence en moto et terrorisaient les banlieues.
Emile Garçon, un des plus grands pénalistes du XXème siècle, écrivait en 1922: “quoiqu’il en
soit, le problème de l’enfance coupable demeure l’un des problèmes les plus douloureux de
l’heure présente. Les statistiques les plus sûres comme les observations les plus faciles,
prouvent, d’une part que la criminalité juvénile s’accroît dans des proportions fort
12 25 mars 2006, discours d’accueil des nouveaux adhérents de l’UMP, www.u-m-p-paris.org
38
inquiétante, et, d’autre part que l’âge moyen de la criminalité s’abaisse selon ne courbe très
rapide”. Effectivement l’adolescence est une période difficile de la vie. Difficile pour la
société, pour les parents, les éducateurs... mais pour l’adolescent aussi. On a du mal à croire
que les conseillers de Nicolas Sarkozy aient une vision si élémentaire de ce qu’est un mineur.
On entend le ministre se gausser parfois de la taille de ces grands délinquants. Comme si ces
1m 90, voire 1m 80, qui l’effrayent tellement pouvaient avoir un rapport quelconque avec ce
qu’est réellement un mineur. C’est d’ailleurs une des sources de la difficulté de cet âge que de
s’habituer à vivre dans un corps qui le dépasse subitement. L’enveloppe change mais
l’intérieur ne suit pas forcément. On ne devient pas majeur par l’effet de sa taille. La maturité
ne se mesure pas en centimètre. L’adolescent est un être qui est encore en grande évolution,
en recherche d’une adaptation au monde. Cette recherche se fait souvent dans la douleur,
parfois dans la violence contre les autres ou contre lui-même. L’opposition au monde des
grands est une des composantes constantes de cet âge. C’est par sa vie sociale que le jeune va
pouvoir accéder au statut d’adulte en abolissant les différentes dépendances qui le rattachait à
sa famille ou au milieu de son enfance. L’adulte, c’est celui qui arrive à vivre de façon
autonome, à s’assumer. La France a déjà en 1974 (et non en 1945), modifié l’âge de la
majorité qui est alors passé de 21 à 18 ans. La majorité pénale française est d’ailleurs celle de
pratiquement tous les autres pays européens. Cet âge reste encore aujourd’hui une limite
raisonnable entre le statut d’adolescent et celui d’adulte. Certes, dans leur comportement, les
jeunes de 16/18 ans changent. Comment en serait-ils autrement compte tenu de l’évolution
rapide du contexte social, culturel, économique... Mais si l’adolescent accède aujourd’hui plus
tôt à certaines informations, s’il s’inscrit différemment dans la société, sa problématique de
base reste la même. On peut même constater que son entrée dans le monde adulte se fait de
plus en plus tard, que son “inscription sociale” prend de plus en plus de retard. Les amis de
Nicolas Sarkozy veulent, en fait, abaisser l’âge de la majorité pénale à 16 ans et faire juger les
mineurs de 16 à 18 ans par les tribunaux ordinaires. Tel est d’ailleurs le sens d’une proposition
de loi que Christian Estrosi, l’ami fidèle du ministre, a déposé à l’Assemblée Nationale le 30
janvier 2001 (Proposition n°2895). L’article 1er de a proposition pénale était clair: “la majorité
pénale est fixée à 16 ans”. Il faut savoir quel tel est le projet réel du candidat actuel qui avance
lentement sur ce terrain en le pilonnant préalablement à coups d’idées aussi simples que
fausses. L’adolescent de 2007 reste un adolescent. Il reste le homard, qui, une fois sa coquille
tombée, est obligé d’aller se cacher sous les rochers, le temps de sécréter une nouvelle
coquille, vulnérable, incertain, compensant ses faibles défenses par des attitudes parfois
excessives, parfois déviantes, parfois délinquantes. Mais peut-être faudrait-il aussi réécrire les
textes de Dolto qui eux aussi commencent à dater. La taille des homards a sûrement dû
changer..
L’acte ne définit le mineur
Un mineur sa définit par son âge, sa personnalité, ses structures mentales, son style de vie... Il
est autre chose que la série de ses actes. On trouve dans le discours de Nicolas Sarkozy cette
idée que l’acte posé définit son auteur et suffit à en cerner la responsabilité. Lorsque, en
novembre 2006, dans une émission de télévision, il s’adresse sur le plateau à une femme
chauffeur de bus, en la prenant à témoin de son indignation devant une agression commise à
Marseille, il a cette curieuse phrase: “d’ailleurs, quand mama Galédou se retrouve à l’hôpital
de la Timone à Marseille, qu’est-ce ça lui fait, à elle, de savoir qu’elle a été brûlée par un
39
mineur? Est-ce que vous croyez que c’est différent d’être brûlé par un majeur?” _ “Non c’est
pareil!” répond timidement son interlocutrice.
Curieuse façon d’aborder le problème des mineurs, et de la délinquance en général! Le
ministre se met à la place de la victime, et ne s’intéresse qu’à l’acte, en refusant de voir qui est
l’auteur. On peut certes s’interdire de chercher à comprendre le pourquoi d’un crime ou d’un
délit, ne rien vouloir savoir de la personnalité, du passé, du contexte de vie de son auteur, on
peut toutefois difficilement refuser de regarder l’âge du délinquant, car c’est en fait nier non
seulement la spécificité d’une quelconque juridiction pour mineurs mais nier la spécificité de
l’enfance et de l’adolescence.
Qu’en est-il du droit des mineurs?
Contrairement à ce qu’affirme Nicolas Sarkozy, la France possède un droit des mineurs
particulièrement sévère. Il est un des pays d’Europe où l’âge auquel la responsabilité pénale
peut être retenue est le plus précoce: il s’agit, selon la loi française, de l’âge du
“discernement”, fixé habituellement, selon la jurisprudence aux environs de 7 ans. Dans les
autres pays, il est plutôt autour de 14 ans (10 ans en Angleterre, 14 en Italie ou en Espagne).
La France est aussi l’un des pays où de très lourdes sanctions peuvent être prononcées dès
l’âge de 13 ans puisque à cet âge-là une peine de 20 ans de réclusion peut être infligée. Pour
les mineurs de 16 à 18 ans, les mêmes peines que les majeurs peuvent être prononcées. Un
mineur de 16 ans peut donc être condamné à réclusion criminelle à perpétuité. A titre de
comparaison, en Espagne, pour des mineurs du même âge, la peine maximum est un
emprisonnement de 8 ans.
La procédure française prévoit donc l’excuse de minorité. Cette institution que Nicolas
Sarkozy veut supprimer mérite d’être expliquée rapidement. Elle consiste à diminuer de moitié
la peine encourue par le majeur mais cette mesure ne joue pas du tout de façon automatique.
Elle peut être écartée par le tribunal ou la cour d’assises “à titre exceptionnel et compte tenu
des circonstances de l’espèce et de la personnalité du mineur” (article 20-2 de l’ordonnance
de 1945). Et dans la pratique, il arrive, en cour d’assises en tout cas, qu’elle soit effectivement
repoussée. Pourquoi ne pas faire confiance au tribunal pour enfants qui est composé,
rappelons-le, de deux assesseurs citoyens, ou au jury de la cour d’assises? Est-il inconcevable
qu’un mineur de 17 ans qui a commis un crime sorte de prison à 32 ans plutôt qu’à 47? Faut-il
rappeler au ministre de l’intérieur que Patrick DILS avant d’être acquitté en avril 2002 et
d’être indemnisé par l’Etat d’une somme d’un million d’euros s’est vu refuser l’excuse de
minorité alors qu’il avait 16 ans à l’époque où il était censé avoir commis les faits? Il avait été
condamné une première fois à la perpétuité en 1989 et à 25 ans de réclusion en 2001!
L’explosion de la délinquance des mineurs? Faux: la part de la délinquance des mineurs
baisse depuis 1998
Nicolas Sarkozy affirme donc pour justifier son cri d’alarme permanent que la délinquance des
mineurs a explosé. Il avance constamment le chiffre terrible d’une augmentation de 80% en
dix ans. Il citait encore ce chiffre en septembre 2006 au Sénat. Voyons donc les chiffres. Ils ne
correspondent absolument pas à cette version. En effet la part des mineurs dans la délinquance
en France ne cesse de baisser depuis 1998. Cette année-là, les mises en cause de mineurs
représentaient 21,8% du total. En 2005, derniers chiffres publiés, les mineurs n’en représentent
40
plus que 18,15%. Nous avons retrouvé le niveau de 1980! De plus le chiffre 80%
d’augmentation est lui aussi faux. Le nombre de mineurs augmente mais dans des proportions
bien moindres. Si l’on prend la période des dix dernières années de 1996 à 2005 (dernière
année statistiquement disponible pour le ministre quand il s’exprime en septembre 2006), on
passe de 143.824 mineurs mis en cause à 193.663, soit une augmentation de + 49.839
mineurs, ce qui représente, par rapport à 1996, en pourcentage +34,6% et non +80%!. Nous
pensons qu’en fait Nicolas Sarkozy, qui est pourtant très au fait de la moindre évolution
statistique, a délibérément menti en prenant un chiffre retenu en 2002 par un rapport du Sénat
sur la délinquance des mineurs. Les Sénateurs avaient relevé qu’entre 1992 et 2001! le nombre
de mineurs mis en cause avait progressé de 79%. En définitive Nicolas Sarkozy serait bien
inspiré d’affirmer que la délinquance des majeurs a augmenté plus rapidement ces dernières
années que celle des mineurs, mais il lui faudrait revoir ses slogans. S’en tenir à la vérité, ce
n’est pas refuser la réalité de cette délinquance, c’est refuser le mensonge.
Année Mineurs
mis en
cause
%
1980 104.200 18%
1994 109.338
1995 126.233 15,9%
1996 143.824 17,8%
1997 154.437 19,4%
1998 171.787 21,8%
1999 170.387 21,3%
2000 175.256 21,0%
2001 177.010 21,2%
2002 180.382 19,9%
2003 179.762 18,8%
2004 184.696 18,1%
2005 193.663 18,15%
L’aggravation de la délinquance des mineurs?
Si les interpellations augmentent, la nature des infractions commises par les mineurs a-t-elle
changé ? C’est ce que l’on nous serine en permanence: les mineurs sont plus grands, plus forts
et leurs actes sont beaucoup plus violents. Nicolas Sarkozy reste par ailleurs focalisé sur un
certain type de délinquance des mineurs, celle des quartiers difficiles. Il évoque sans cesse les
mineurs “soumis au caïdat de leur quartier”. Mais la délinquance des mineurs est bien loin
d’être réductible à la seule délinquance de groupe ou même à celle de quartiers sensibles. Tous
les mineurs délinquants ne vivent pas en groupe, en bande ou en banlieue. Il s’agit d’une
vision simpliste de plus.
41
Si l’on examine les infractions commises par les mineurs, pour une période de onze ans, de
1994 à 2004, les deux catégories d’actes les plus graves, les vols à main armée et les
homicides ont diminué. Si on y ajoute les viols et les séquestrations, l’ensemble de cette
délinquance très grave ne représente que 1% de la délinquance des mineurs. En réalité, la
hausse de la délinquance des mineurs est avant tout due à l’augmentation considérable du
nombre de vols simples (+78%), des vols à l’étalage (+40,8%) et des vols avec violence
(+83,1). Autres augmentations considérables, les outrages et rebellions (de 1655 à 5179), les
coups et blessures volontaires (de 5637 à 16791) et les usages de stupéfiants (de 3506 à
17989).
En 2005, le tableau suivant permet de bien mesurer quelle est l’importance des actes graves
dans la délinquance des mineurs. Si l’on cumule les homicides, les coups mortels, les viols,
les vols à main armée, les vols avec violence, ces infractions représentent 4,6% de la
délinquance totale. Il est donc exagéré d’affirmer que les mineurs se livrent à des actes de plus
en plus graves.
Infractions Part dans la
délinquance des
mineurs
Total des crimes et délits recensés par
la police
193.663
vols à main armée 290 0,01%
vols avec violence 8852 4,57%
Autres vols 64881 33,5%
Recels 10976 5,6%
Infractions économiques et financières 3387 1,7%
homicides et tentatives 89 0,04%
violences volontaires suivies de mort 15 0,007
Coups et blessures volontaires 18966 9,8%
Autres atteintes aux personnes 8499 4,4%
Viols 1509 0,78
Autres infractions sexuelles 3139 1,62%
Stupéfiants 21232 10,9%
Infractions police des étrangers 3786 1,95%
Dégradations 29201 15,1%
Les statistiques des condamnations prononcées par les cour d’assises en France sont un
excellent indicateur de l’évolution de la gravité des actes de délinquance des mineurs. On
constate un accroissement important jusqu’en 1999 du nombre de condamnations criminelles,
mais depuis lors, sur une période de 6 ans, leur nombre semble s’être stabilisé dans une
fourchette de 560 à 630
42
Année 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Total
condamnations
pour crimes
224 310 392 503 583 559 631 498 559 626
Meurtre 28 37 27 44 49 23 19 27 26 29
Violences
criminelles
13 22 13 26 45 51 38 28 33 23
Viols 136 202 264 330 403 385 433 363 421 486
Vols aggravés 47 49 86 100 80 97 130 68 60 76
Condamnations par les cours d’assises de mineurs, source: annuaire statistique de la justice
Au total, il apparaît que les mineurs commettent assez peu d’actes très graves. L’augmentation
de cette délinquance grave s’est stabilisée depuis 1998/1999. Là non plus, il ne s’agit pas nier
une réalité qui reste préoccupante mais de s’en tenir à une vérité qui se suffit à elle-même.
Cette vérité c’est une frange de ces mineurs délinquants qui fait preuve d’une grande violence,
violence dont il faut trouver les causes et qu’il faut traiter et sanctionner avec fermeté et
clairvoyance.
“La quasi-impunité garantie aux mineurs délinquants”. Un déluge de mensonges.
Le mensonge le plus dangereux concerne le traitement actuel de la délinquance des mineurs et
le rôle de la justice des mineurs. Nicolas Sarkozy affirme à longueur de discours que la justice
des mineurs est laxiste, qu’elle cherche trop à comprendre, qu’elle ne punit pas assez et que
cette impunité est une calamité. Décidé à faire croire que les juges des enfants sont laxistes, il
ose dire que des mineurs auteurs de viol ou de main à armée sont punis d’une admonestation
ou d’une simple remise à parents. N’importe qui d’autre oserait soutenir un tel mensonge se
verrait aussitôt rappelé à l’ordre, ne serait-ce que par le ministre de la justice. Le ministre de
l’intérieur semble avoir tous les droits. Peut-être ses mensonges sont-ils si énormes qu’ils
laissent sans voix. On relit à deux fois ses phrases pour être bien sûr que c’est un ministre qui
parle et qu’il ne s’agit pas d’une discussion de bistro. Non, c’est bien au Sénat qu’il s’exprime
le 13 septembre 2006: “face à cette réalité, nous vivons dans la culture de la répétition de
mesures comme l’admonestation ou la remise à parents; comment espérer que ces mesures
aient un quelconque effet pour des faits aussi graves que des agressions à main armée, des
viols...” Le ministre de l’intérieur va d’ailleurs très loin, accusant la justice de non assistance à
personne en danger: “j’ajoute que c’est de la non assistance à personne en danger que de ne
pas sanctionner un mineur quand il fait quelque chose de grave au prétexte qu’il est mineur.
Car on l’encourage à s’enfoncer dans la délinquance la plus forte” (Emission à vous de juger
du 30 novembre 2006).
La réalité judiciaire est assez simple à analyser. Ces dernières années, les procureurs de la
République traitent avec plus de sévérité les mineurs. Rappelons ce qu’est le travail d’un
procureur de la République. Il écarte d’abord les affaires qui “ne tiennent pas”. En 2005,
25.000 procédures traitées par la police ont ainsi été écartées tout simplement parce qu’il
n’était pas possible, en droit, de les poursuivre. 20.000 ont été écartées parce que les
43
procureurs de la République estimait que le préjudice était peu important, que les recherches
étaient infructueuses, que le plaignant s’était désisté... Les parquets procèdent donc à beaucoup
moins de classements sans suite.
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Classements
sans suite
49412 53619 53210 51826 51548 46028
Les parquets veulent absolument donner une réponse pénale aux infractions portées à leur
connaissance. Ils utilisent beaucoup les alternatives aux poursuites pour des affaires qui,
auparavant étaient simplement classées sans suite. Ces alternatives, ce sont des rappels à la loi,
des procédures de médiation-réparation. Elles sont en forte hausse depuis 2000
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Alternatives
aux poursuites
45326 48113 50017 53505 59113 63408
Quant aux poursuites - devant le juge des enfants, le juge d’instruction, ou, depuis peu,
directement devant le tribunal pour enfants, elles sont remarquablement stables depuis 2000.
Leur nombre oscille autour de 58.000 chaque année. Simplement parce que la délinquance des
mineurs depuis 2000 ne mérite pas davantage de poursuites.
Année 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Poursuites 57280 59476 58842 57831 58148 58738
Quant à dire que les mineurs ne vont pas assez en prison, il y a quelque incohérence à le
regretter alors que la principale innovation de cette dernière législature a été de créer des
centres d’éducation fermée qui avaient vocation à remplacer la prison dans des cas graves de
délinquance répétitive. Ces centres se sont ouverts progressivement, souvent dans la difficulté,
mais ils existent, de plus en plus nombreux. Ils ont eu pour effet de faire effectivement baisser
dans un premier temps puis de stabiliser le nombre de mineurs détenus. Mais cet effet est
voulu et le ministre de la justice n’en est pas peu fier! 20 de ces centres étaient déjà été
ouverts en novembre 2006, 20 autres sont prévus en 2007 et 4 en 2008 pour environ 500
places au total. Il reste que la détention des mineurs est relativement stable depuis 1999. Au
premier janvier de cette année-là, il y avait 714 mineurs en prison. Il y en avait 727 au 1 er
janvier 2007.
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Mineurs 18
ans détenus
573 561 628 669 714 718 616 826 808 739 623 732 727
44
Quant aux peines prononcées, elles sont sévères et le recours à l’emprisonnement n’a pas
faibli, loin de là. C’est la prison qui sanctionne presque systématiquement les crimes. Quant
aux délits, pour presque la moitié d’entre eux (40%), les tribunaux pour enfants prononcent
des peines d’emprisonnement avec ou sans sursis. Les mesures éducatives, elles, ont augmenté
en nombre mais pas en proportion. Elles ne représentent plus que la moitié des sanctions:
50,3% en 2004 contre 54,6% en 1994.
Nous sommes donc, là encore, très très loin du laxisme dénoncé.
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